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Expression
médicale
Il ne saurait exister de spécificité
à la poésie, tous les genres et toutes les formes,
toutes les circonstances et tous les auteurs peuvent lui donner
naissance.
Mais à exercer un métier aussi fabuleux et aussi
particulier, aussi prégnant et enthousiasmant, passionné
et bouleversant que celui de médecin, il apparaît
au décours des jours et des années, au détour
des chemins et des voies, pour celui qui possède cette
formule, qu'elle représentera bien des fois la seule
disponible, la seule acceptable, l'unique à la hauteur
de l'émotion, pour crier intérieurement, quand
la réserve, le maintien, l'éducation, la nature
ou le comportement, les circonstances, ne sauraient autoriser
d'autres échappatoires.
Le choix de la vingtaine de ces poèmes sera naturellement
subjectif et arbitraire, il est probable qu'une centaine peut-être
parmi la totalité résultaient de telles situations
réactionnelles, en direction de l'émotion, de
la colère, de l'effroi, du plaisir, de l'horreur, tous
sentiments et toutes sensations liées à l'exercice
au quotidien de cette profession durant plus de trois décennies.
Avec l'absolue conscience de ce que nul choix n'est de réel
hasard mais est forcément signifiant, avec la lucidité
de la répétition de certains thèmes,
j'ai tenté toutefois de répartir cette sélection
à travers diverses approches. Il va de soi que la mort
est dramatiquement présente dans ces lignes, tout comme
la détresse, la douleur, parce que les souffrances
du médecin lui-même occupent ces espaces là,
quand les bonheurs et plaisirs, les joies et les emballements
des sens de l'homme derrière le professionnel donnent
lieu à bien d'autres productions, classées autrement.
Je m'adonnerai à quelques commentaires occasionnels
de circonstances, il en est même qui figuraient directement
en italique dans les recueils dès leur parution. Tout
comme cette sorte de dédicace de départ, issue
des pages d'un de ces fascicules.
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A
vous, tous les gens de la terre,
De vos caves aux tuiles faîtières,
Constructions que les temps hâtèrent,
Déjà brisées mais faites hier
Ces constructions là vous atterrent
A vous, qui maîtrisez la mer,
Qui repérez bien les lumières,
Et qui prolongez l'éphémère
Vous dont la vie est coutumière
D'une douceur noyant l'amer
A vous, qui demeurez en l'air,
Qu'une rêverie familière
Eloigne toujours la colère
Et de la paix soit la geôlière,
Dans vos pensées qui s'envolèrent
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A vous, qui marchez dans le vent,
Toujours courant, jamais déviants,
A vous qui allez de l'avant,
Vous que l'on suit en vous enviant,
Vous gagnerez, le plus souvent.
A vous, habitants des nuages,
Vous êtes toujours en voyage,
Emportez donc dans vos bagages
De quoi parfaire un maquillage
Qui, de joie, porte le message.
A vous qui lirez jusqu'au bout
Ces impulsions qui, parfois, bouillent,
Et ces propos quelquefois fous,
Que des réminiscences fouillent,
Restez toujours, hommes, debout
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(Recueil " Repentirs " 1984)
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Un point est certain : le déterminisme d'un ordre, d'une
alternance, d'une sélection, des inspirations menant
à choisir telles strophes ou tel poème ne saurait
forcément tenir du hasard puisqu'il sera subjectif et
totalement personnel, et je l'assume ainsi. |
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1-LA
VIE TIENT A UN FIL
Quelquefois, on pense bien crever de chagrin,
Avec cette douleur qui ressemble à la mort,
Bloquée autour d'un cur qui ne peut plus suivre,
Avec pour seule envie celle de prendre un train,
Aller au plus loin pour se perdre sur un port,
Echapper au malheur qu'on ne veut poursuivre,
Qui tue la joie, l'élan et jusqu'au moindre entrain,
Qui anéantit, bouscule, torture et mord,
Recouvrant l'âme de glacis et de givre,
Tondant les champs de fleurs jusqu'à leur dernier brin,
Respirer même exige alors un effort,
Au désespoir l'être démuni se livre
Quelquefois, il semble que l'on n'existe plus
Que par un ventre, qui connaît toujours la faim,
Quand il n'est plus sûr que l'âme vive encore,
Quand seul le souvenir des jours où il a plu
Persiste, en un brouillard dont on ne voit la fin.
On est surpris qu'à tant de mal résiste un corps,
Quand l'âme n'est plus qu'un champ de douleur perclus,
Qui gît dans sa misère et qui gémit en vain,
Avec des yeux auxquels seul l'envers du décor
Apparaît, façade et mascarades exclues,
Pour que la vie redevienne lucide enfin,
Où rêve et réalité sont en désaccord.
Quelquefois la survie ne tient plus qu'à un fil,
Reliant un téléphone avec une oreille
Attentive, amicale, indulgente,
Quand on a les yeux mouillés jusqu'au bord des cils,
Et lorsqu'on n'a plus dormi depuis la veille,
La vie devenant soudain incohérente.
L'existence de ces soirs là en vaut mille,
Quand tout un jour désespérément essaye
De croire qu'elle a une fin, cette pente
Qui, inexorablement plonge et file,
Et que redeviendra paisible ce sommeil,
Où rêve et cauchemar sont en mésentente
(Recueil " Resplendir " 1985)
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D'innombrables occasions d'évoquer
ce rôle considérable, dans une vie de praticien,
de cet écouteur où se seront déversées
les confidences et les larmes, où auront éclaté
aussi imprécations et insultes, cette occasion pour tant
de patients en détresse, en désespoir, ou en interrogations
douloureuses de profiter d'un espace gommant les visages et
les yeux, pour ne conserver que la voix, le rythme, les ruptures
et les raucités, les mots pour exprimer
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2-
DESIR D'ENFANT
Elle le gardait au fond de l'âme,
Mais le laissait aller en larmes,
Si présent qu'elle le connaissait,
Souvent elle rêvait qu'il naissait,
Jusqu'au jour où son ventre en flammes
D'un flot sanglant sonnait l'alarme,
Son désespoir apparaissait
Quand en rêve elle le caressait.
Cet enfant de fumée, de rêve,
Y penser la privait de trève,
Cet enfant de rumeurs et d'idées
Vers lequel son humeur était guidée,
Encore une nuit où elle se lève,
Elle se voit vieille et ridée.
Pourtant elle était décidée
Elle le gardait au fond, au centre,
Elle avait préparé son antre,
Elle avait dit qu'il y vivrait,
Et à l'espoir elle se livrait.
Elle lui réservait son ventre,
Et ne voyait pas pourquoi diantre
Il n'y pousserait que l'ivraie,
Le bon grain lui semblait si vrai.
Cet enfant fantasme, imaginé,
Capable de l'illuminer,
Si vrai et pourtant inventé,
Qui ne cessait de la hanter,
Elle se laissait inséminer,
Dans sa pudeur efféminée,
A laquelle on a attenté,
Mais cet enfant reste absenté.
Elle le gardait au fond du corps,
En l'attendant toujours, encore,
Elle le fardait d'espérance,
Qui se muait en souffrance,
Elle avait donné son accord,
Et façonné tout un décor,
Mais chaque fois le flot garance
Vidait son corps saisi de transes.
Cet enfant que tant d'autres portent
La laisse vide et comme morte,
Enfant de l'ombre et de la nuit,
Et qui met à ses yeux la pluie,
Cet enfant là lui fait escorte,
Il est des jours qui la transportent,
Et d'autres où nul espoir ne luit.
Là bas, très loin, l'enfant s'enfuit
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Des
appellations si différentes, au fil des époques
et des périodes, ont été données
à cette sorte de mystère envoûtant,
excitant, cette fascination des techniques de naissance
chez les femmes ayant des difficultés, elles
ou leurs conjoints ou les deux, à procréer,
à fabriquer ces enfants dont elles rêvent.
En donnant à cette image les yeux du père,
de l'amant, en lui inventant des prénoms,
un destin, une évolution, un avenir
Et en guettant tous les mois, après les inséminations,
les FIV, le flux terrible qui ruinerait de rouge
leur espoir au regard vert ou bleu, en repérant
à mesure que les techniques progressent les
ovulations sur des détecteurs. En vivant
d'espoir
Et puis un jour le rêve aboutit
(Recueil " Souscrire " 1986) |
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3-SECRETS
Elle avait un sourire trop large,
Dans un visage plissé,
Comme si, écrits dans la marge,
Des secrets s'étaient glissés.
Et l'on pouvait être bien sûr,
En lisant derrière ses yeux,
Que ces plis étaient fissures
Et que le rire se faisait vieux.
Il y a des sourires qui pleurent,
Et des peines qui sourient,
Il y a des élans qui meurent
Sur des enthousiasmes pourris
Elle avait un abord d'accueil,
Et un visage sans rancur
Mais la peine était en son il ,
La douleur restait en son cur.
Mais j'aurais pu vous écouter
Jusqu'à la nuit s'il eut fallu,
Mais peut-être avez vous douté
Que votre secret l'eut valu ?
(18 Janvier 1986,
Recueil " Souscrire ")
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En apparence vous riiez,
Mais votre âme était gelée,
Votre sourire était strié,
Mais votre humeur craquelée.
Pourvu qu'il ne me demande rien,
Disaient ces fonds d'il tristes,
Maintenant je voudrais bien
Partir avant qu'il n'insiste.
Je n'ai pas interrogé, sais tu,
Parce que j'avais trop deviné,
Et la femme, soulagée, s'est tue,
Mais son sourire était raviné.
Son sourire venait, trop flagrant,
Pour parvenir à masquer le drame,
Son chagrin s'avérait trop grand
Pour arriver à cacher les larmes.
De cette femme là, tu vois,
J'ai bien voulu ne pas voir
Qu'elle était, jusqu'au bout des doigts,
La peur, dont je restais miroir
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A l'accueil offert, à l'écoute ouverte,
Mais l'interlocuteur conserve jusqu'au
Bout la maîtrise et le choix de laisser
Visiter ses propres placards, regarder
Sur les étagères de son existence, ou
Présenter sa cave, ou au contraire ne
Plus accepter au delà de l'entrée, d'un
Vestibule ou du corridor donnant sur
Les chambres les regards, même ceux
Dont le thérapeute a usage, ou besoin
Pour comprendre en sus de deviner
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