Poésie - Jacques Grieu
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Biographie

Jacques Grieu

- Adresses : 98 Bd Clémenceau 76600 Le Havre (du 15 oct. Au 15 mai) Tel 02 35 41 77 87
Les Poulpikans, Pen Mern, 56870 Baden (du 15 mai au 15 oct.) Tel 02 97 57 16 87

• Né le 15-07-30 à Lisieux (Calvados)

- Ascendants : originaires de Fécamp (grande pêche) depuis plusieurs générations.

- Formation : Ingénieur ETP (Paris)

- Famille : Divorcé, remarié, 3 enfants, 8 petits-enfants.
Sauf pour ses études, a toujours vécu au Havre (vacances dans le Golfe du Morbihan dès 1950)
Depuis 1990 vit à mi-temps près de Vannes (à Baden )
- Sports :
Voile (compétitions internationales en dériveur et course-croisière, co-fondateur du GCL avec A.Gliksman et A.Maupas). Lauréat du Neptune avec Eric Tabarly etc
Ski (moniteur dans les chasseurs alpins, 13ème BCA)
Golf
- Hobbies :
Les échecs
La peinture (huile)
L’écriture.
Publications récentes :
• Aux éd. A. SUTTON :
Brouillard en Baie de Seine (Roman dit « policier ») en 2003
Le Havre de A à Z (Abécédaire sentimental) en 2005
Vannes de A à Z ( Abécédaire sentimental) en 2006
• Aux éd. DU PIERREGORD
Un Peu De Neige dans la Mer, roman, en 2007
Le Foin du Diable, roman (ISBN 978-2-35291-017-6) en avril 2008
Le Golfeur Foudroyé, roman en février 2009
- Aux ed. ELYTIS
Histoires Peu Ordinaires de Vannes (fin 2008)

Primé pour différentes nouvelles ( prix des Baronnies, prix de la ville de Nyons, etc)


   Aloïs

Hier soir chez Etienne, on a bu du bordeaux
Un médoc si fameux, qu’on ne voulut pas d’eau
Ce qui fait que cette nuit, en très grand philosophe
J’ai vu que d’un génie, j’avais sans doute l’étoffe.
J’ai critiqué Rousseau, j’ai encensé Voltaire
Les théories d’Hegel, je les ai toutes fait taire.
En rêvant d’Aristote, de Kant, de Kierkegaard
Mon attention extrême que je craignais faiblarde
Fût en réalité d’une telle acuité
Que jamais ne connus pareille lucidité

C’est donc dès ce matin qu’une grave question m’obsède
Elle m’oppresse, elle me nuit, elle me tue, elle m’excède
C’était, j’en suis certain, une question magnifique,
Un de ces grands problèmes de pure métaphysique
Qui vous transporte l’âme vers des hauteurs sublimes
En poussant votre esprit à ses sursauts ultimes
Mais voilà, ma mémoire n’a pu suivre la cadence.
Et j’ai beau la fouiller, elle avoue sa carence
Je ne l’y trouve plus : ma question est partie.
J’ai beau me concentrer : est-ce la bonne stratégie?
Et pourtant, elle est là, sur le bout de ma langue
Je la sens bien vivante, elle est loin d’être exsangue.
Sur le bout de ma langue, et ça me gêne un peu,
Ça devient encombré, c’est parfois sauve-qui-peut.
Car depuis quelques mois, c’est de trop de questions
Qu’elle me paraît chargée, pleine d’interrogations.
Mais ça va revenir, tout ça est passager
Je ne suis pas inquiet, ne suis pas affligé.
De mon puissant cerveau, quelques neurones sans doute,
Se seront échappés. Ce n’est pas la déroute !
Ou deux ou trois synapses, pas très bien réveillées
Après cette nuit d’agapes, encore toutes barbouillées,
N’ont pu se connecter, passèrent en court-circuit ?
Encore quelques minutes et ce hiatus fortuit,
Aux augures malveillants rabattra leur caquet
Je ne suis pas inquiet, pas inquiet, pas inquiet.

Le grand Victor l’a dit, ces choses-là sont rudes
Il faut pour les comprendre, avoir fait des études.
Et comme précisément des études, j’en ai faites,
Ma question va surgir de son obscure retraite
Ma mémoire est intacte, n’en faisons pas un drame !
Pourquoi pas d’Aloïs brandir l’effet infâme,
Pendant que vous y êtes ! Et pourquoi pas gâteux,
Dans un tel scénario, diraient des facétieux !
Il faut raison garder, redevenir sérieux
Faire taire les alarmes pour se souvenir mieux.
J’ai perdu mon sang-froid quand tout-à-l’heure j’ai eu
A Aloïs, c’est vrai, cette allusion indue.
A mouvement de panique, ce fut réponse idiote
Recherches et réflexion sont meilleures antidotes
Loin de moi des idées de telles pathologies
Qui font qu’on oublie tout en tristes amnésies.
Pourtant j’ai un souci, quand j’évoque ce sur-homme :
J’ai oublié son nom ! Il faut que je le nomme
Du prénom d’Aloïs que seulement ma mémoire
Veut bien me resservir comme une farce vexatoire.
Ce champion de l’oubli, je ne peux l’oublier !
Je sais qu’incessamment il va me réveiller.
Je ne connais que lui ! Voilà qui est trop fort !
Mais je sens que ça vient, qu’aucun souvenir n’est mort.
Sur le bout de ma langue, à nouveau ça chatouille
Je sonde, j’essaie encore, mais en ressort bredouille.
Car de son patronyme que ma mémoire mendie,
Ce savant baptisa sa lente maladie.

Alors pour m’en rappeler, mon esprit rationnel
Tente tous les moyens qui traversent ma cervelle :
La maladie de James, c’est celle de Parkinson !
Alors pour AloÏs ? Dites-moi comment ça sonne !
Avec sans doute des Z et peut être des H ?
Le nom d’un étranger, des syllabes qui arrachent ?
Soudain en un éclair, je vois beaucoup plus clair
Ça y est, j’en suis sûr, ça se termine en « er »
Et comme je suis golfeur, je pense à Leadbetter
Peut être camembert, ou chester ou munster ?
Mais avec leurs odeurs, je m’en serais souvenu
Sûrement pas Lucifer, ce serait mal venu.
Ni Hitler ni Himler ? Ou alors Chichester ?
Moi qui suis mélomane : Wagner ou bien Mahler ?

Et si c’était comme ça que le mal débutait ?
Et si sournoisement, l’Aloïs me guettait ?
Car c’est une atrophie cérébrale et diffuse
Comme disent savamment ceux dont la mémoire fuse.
Déjà on me signale que parmi les syndromes
Il y aurait l’oubli, l’oubli de ce qu’on nomme.
Ou encore des erreurs sur l’emplacement des choses …
Moi qui distraitement, mes lunettes dépose
Dans la boîte à cirage ! Ou laisse mes chaussons
Parfois dans le frigo, ou sur le paillasson ...
Et quand d’acheter le pain, j’oublie la commission,
C’est du nom que je cherche que ma femme fait mention.
Autre syndrome décrit, ce sont les « sautes d’humeur »
Alors moi, l’émotif, l’hypersensible, j’ai peur.
Car c’est toutes les heures que je ris ou bien geins
Selon mes souvenirs plus ou moins importuns
Selon mes déconvenues, mes succès, mes fiascos
Au golf ou au tennis, aux échecs, au boulot
Est-ce grave docteur-ma-femme ? Est-ce bien une Aloïs ?
Il n’y a pourtant là aucun vilain indice.
Et ces petites erreurs ne sont que peccadilles !
Résider dans la lune n’est pour moi qu’une vétille
Si je suis étourdi, je l’ai toujours été
Et brandir l’Aloïs est pure méchanceté.
Je reprends ma recherche en toute sérénité,
Explorant ma mémoire avec sagacité :
Corbière ? Ou Sylvaner ? Peut être Gewurtztram …
Ça y est ! Je le tiens ! Le vin est un sésame !
Je le savais, pardi ! Dès qu’on pense chopine
On ouvre toutes les portes y compris en médecine.
Alzheimer mon grand homme ! C’est comme ça qu’il se nomme !
De cette grave maladie, c’est l’inventeur, en somme.
Peut être l’a-t-il brevetée pour ne pas qu ‘on lui pique
Une telle création si hautement scientifique ?

En tout cas, je respire, me voilà rassuré
Je ne suis pas atteint, c’est un fait avéré
Ma mémoire d’éléphant est le bon démenti
A toutes ces rumeurs, à tous ces chuchotis
Vous en êtes bien témoins, pour le dire à ma femme
Je l’ai trouvé tout seul, et ça, je le proclame.
Mais une pensée m’obsède à propos d’Alzheimer
Ce génie magnifique aux travaux si amers :
Ce chantre de l’oubli, de quoi est-il donc mort ?
Le hasard a-t-il fait que par un coup du sort
Poussant loin l’humour noir en un trait de malice
Sa belle tête chenue ait fait une Aloïs ?
Alzheimer vers sa fin, emporté par lui-même!
Le grand génie tué par son trop beau système !
Sans le savoir, bien sûr, puisque précisément
L’ignorance de ce mal est son propre châtiment .
Mourir d’une Alzheimer, il faut être lucide
Pour le grand Aloïs, cela tient du suicide
Et pourtant, quelle belle mort ! Et que moi j’ai envie
D’écrire un dernier vers tout en perdant la vie …

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