JAMES
Hier au club d’échec, lors
d’un raid solitaire
Mon fou blanc prit une tour à mon cher adversaire.
Cette ouverture était d’une telle fulgurance
Que je ne manquais pas d’en noter les séquences.
C’était un de ces jours où transpire le
génie
Où mon intelligence me paraît infinie.
Etienne, en face, me dit : mais tu as la tremblote !
Es-tu transis de froid que ta main droite grelotte ?
Etienne est un ami, un vrai. Mais susceptible.
Et voilà bien trente ans qu’il devient irascible
Dès que sur l’échiquier, par dépit
perceptible,
On le bat, il se vexe et devient impossible.
C’est donc sur ce compte-là que je mis cette
parole
Que de la part d’Etienne, je trouvais bien fofolle.
Pourtant quand hier soir, je me mis à
écrire
Un chèque au percepteur, je fus bien loin de rire :
Pas de doute, sur les lignes toutes tes lettres gigotent
Et dans les cases idoines tes pauvres chiffres flottent
Me dis-je, fort inquiet. Est-ce le destinataire
Qui te fait cet effet ? Ou ce chiffre cédulaire ?
Hélas, ce n’étaient-là qu’excuses
bien trop faciles !
Des chèques pour le Trésor j’en ai fait
plus de mille
Et n’ai jamais tremblé, si j’ai toujours
pesté.
Alors, cherchons pourquoi ma main a protesté :
Pour avoir la réponse, lever cette hypothèque
J’ai voulu à moi-même, me faire un très
gros chèque.
Résultat : négatif. Malgré le réconfort
De ce présent grandiose, je tremble tout aussi fort
!
C’est donc, à l’évidence, que je
sucre bien les fraises.
Peut être les cerises ; ce ne sont pas foutaises !
Et le Trésor Public qui souvent a bon dos
Devra être blanchi de ce vilain fardeau.
Etienne n’avait pas tort, il faut que je raisonne
Et bien voir que peut être j’étrenne un
Parkinson.
D’ailleurs pour m’habiller et mettre mon pantalon
Mes boutons récalcitrent, je termine furibond
Jurant dès cet instant de le vendre à l’encan
Pour m’acheter une braguette fermant en un instant.
Dans l’Encyclopédie, Parkinson
s’appelle James.
Et montre une telle prestance qu’immédiatement
on l’aime.
Une belle tête à moustache typique du dix-neuvième
Et un regard bien franc d’une noblesse extrême
C’est donc lui le premier qui brandit l’anathème
Contre les tremblotants et leurs sérieux problèmes
J’appris tout sur ce mal ; sur son ralentissement,
Sur sa rigidité, sur tous ses repliements
Sur son akinésie qu’on dit alternative.
Qui vous annoncent trop vite que le gâtisme arrive.
Vous l’aurez remarqué, rien n’échappe
à ma femme.
D’ailleurs, chacun le sait puisqu’elle-même
le proclame !
Surtout de mes défauts comme de mes petites tares.
Ça c’est moi qui le dit : ce n’est pas
par hasard,
C’est elle qui me signale comme un syndrome typique,
Et là c’est médisance, je m’indigne,
je réplique,
Celui peu réjouissant des petits pas traînants.
Bien sûr que le matin, me levant plein d’allant
Mes chaussons traînent un peu sur le trajet des douches
Mais parce que trop petits, je les porte en babouches !
Un autre cas clinique, c’est la mâchoire qui tremble
Mais ne voyez rien là qui de loin me ressemble :
J’ai toujours pris grand soin qu’une bonne mastication
Me protège et m’assure une bonne digestion.
On me fatigue aussi pour ma voix chevrotante :
Ce sont comparaisons qui paraissent bien tentantes
A certains bons messieurs qui jaloux de ma forme
Ne rêvent que de me voir réintégrer leur
norme
Moi, parkinsonnien ! Non mais vous vous moquez!
Un pilier d’Eurosport, c’est moi dont vous parlez
?
Au stade Roland Garros j’ai usé mes culottes
Et je sais lire d’avance les meilleurs passing-shot
!
Voyez comme les réputations légèrement
se font
Et vous classent un peu vite comme un sénile croûton.
Déjà ma femme me cherche la meilleure RPA
Une médicalisée qui me garde même gaga,
Afin jusqu’au trépas d’éviter l’hôpital.
Ce qui, disent ces dames, est problème capital.
Je me bouche les oreilles, en pensant in-petto
Que cette sage précaution débute quinze ans
trop tôt.
Il n’empêche, c’est gênant, quand
je tiens ma fourchette
Ou encore mon verre vide, trop près de mon assiette
:
Un bruit de mitrailleuse résonne sur la table
Qui fait dire à ma femme que c’est désagréable.
Dès que ma fourche langue, on héle pocour solice
Ou le sapier pompeur, augmentant mon supplice.
C’est donc bien de la chance d’avoir
à domicile
Un regard si aigu qui vous est si utile
Mais il ne faudrait pas, par conclusion rapide
Me voir parkinsonnien en un jugement morbide.
J’ai lu sur Internet, c’est donc LA vérité
Que tous ces faux mouvements peuvent être contestés.
Que mes doux tremblements peuvent n’être qu’essentiels.
En ne signalant là que présages bien véniels.
C’est une catégorie fort bénigne ma foi
Où jamais ce brave James n’a pu dicter sa loi.
Et il en est de même pour une dernière sorte
Appelée d’attitude ; ce qui me réconforte.
Parkinson, Alzheimer, arrêtons la musique
!
Dès qu’on se documente, on stoppe net cette panique
!
Tu trembles mon vieux James, de perdre ainsi ta proie
Comme ton pote Aloïs, parfois tu te fourvoies.
Le James et l’Aloïs sont-ils de connivence
Pour nous tendre leurs pièges dans toutes ces circonstances
?
Il ne m’étonnerait pas qu’ensemble les
deux compères
Cherchent à ratisser large à travers leurs critères.
Je les aurais bien vus, ces deux grands rigolos
Partir bras dessus-bras dessous pour aller au bistrot.
Et rire comme des fous si James trop fort tremblant
Quelques gouttes de bière sur le zinc en trinquant
Renversait par mégarde pendant que son complice
Reperdrait ses lunettes et comme à l’exercice,
Oublierait en partant son énorme porte-feuille.
Ils riraient en cherchant de qui ils portent le deuil !
Ces illustres cerveaux sont peut être au cimetière
Mais leurs groupies, leurs fans, rangés sous leurs
bannières
Nous tendent leurs filets générant la psychose
Sans que nous, bons patients, trop de griefs on n’ose.
Alors moi, j’ai agi et ai tout bien pesé
:
C’est en littérature bien sûr spécialisée
Que mon agitation, je l’ai analysée.
Ce bon James ne peut pas, par moi être accusé
Sa science spasmodique et tout le tremblement
Ne sont ici pour rien ; et définitivement.
Je sais pourquoi mon fou tremble sur l’échiquier,
Pourquoi mes pattes de mouche se tordent sur mon chéquier
Au diable l’akinésie et tous ces émois
vains
Ce n’est qu’une noble crampe : c’est celle
de l’écrivain.
Droits réservés
Jacques Grieu
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