La séméiologie clinique permet de décrire les signes et les symptômes des maladies. Connue depuis l’antiquité elle n’a pas évoluée durant des siècles jusqu'à ce que Laennec en fasse une description pratiquement inchangée à ce jour. Celle ci repose sur les corrélations entre les constations de l’examen clinique de ses patients et les constatations anatomiques faites à leur décès a l’autopsie. Aujourd’hui la séméiologie médicale a-t-elle progressé et bénéficié notamment des progrès techniques? Quelle est sa place dans l’exercice et l’enseignement de la médecine ?
Le symptôme est un élément essentiel de la relation malade-médecin car c’est lui qui amène le patient à consulter, mais l’identification de la plainte essentielle peut présenter des difficultés si les symptômes sont multiples, simultanés ou successifs. Par ailleurs, l’expression d’un symptôme est souvent subjective, voire trompeuse, elle varie selon les patients, leur culture, leur ethnie, leur milieu socio économique; etc ... Bref, le symptôme est il suffisamment fiable pour être le fil conducteur de la prise en charge médicale ? De même l’examen clinique, temps essentiel de la consultation, laisse souvent un doute au médecin quant à son exhaustivité, en résumé, l’examen clinique est il encore suffisamment fiable pour éclairer et guider le médecin dans son exercice ?
La réponse à ces deux questions est donnée par le constat de l’inflation croissante des demandes et des pratiques d’examens complémentaires. (qui sont d’autant mieux acceptés par les patients que non invasifs, gratuits et promus par les médias). Cette défiance vis-à-vis de la clinique à de lourdes conséquences (en dehors du coût) sur la prise en charge du patient car sans fil conducteur le médecin aura peu de chance, en dehors du hasard , de faire la bonne approche. Ceci est d’autant plus probable que chaque patient est un cas particulier et qu’on ne peut trouver, par définition, que ce que l’on cherche.
Aujourd’hui, Il est indéniable que la clinique a perdu de son importance dans la prise en charge des patients. Cette tendance, facilitée par le développement des spécialités médicales, s’est faite au bénéfice des explorations et des techniques mais également des médecines parallèles qui (elles) revendiquent toutes une approche globale du patient
Ce recul de la clinique est lié également à l’insuffisance de l’enseignement et de la recherche pédagogique en médecine. Ainsi, par exemple, l’enseignement initial de la séméiologie à la Faculté est réduite à 3 heures en moyenne par grand appareil, (cœur, poumon etc.). Certes celui ci est complété par un enseignement pratique délivré au cours des stages hospitaliers (obligatoires), mais là encore la réalité est toute autre. Ainsi, ce contact avec la clinique et les malades est devenu une contrainte et “ du temps perdu “ pour une majorité d’étudiants. En effet aujourd’hui l’objectif essentiel est d’être bien classé au concours final validant et classant,
(clef majeure de leur carrière future) et donc de valider les modules d’un programme toujours plus chargé chaque année. De ce fait, le stage clinique est considéré comme ‘”peu rentable” et beaucoup d’étudiants préfèrent bachoter chez eux, limitant leur présence au minimum (variable selon les services), délaissant, lors du choix des stages hospitaliers , les services actifs, exigeants, avec gardes au profit des services plus tranquilles ou des laboratoires !
Par ailleurs les étudiants ont obtenu des Conseils de Faculté que les stages hospitaliers soient de courte durée (2 mois en moyenne contre 6 mois avant 1968), probablement persuadés qu’ils pourront ainsi mieux orienter leur choix futur. Cette périodicité, qui implique une rotation rapide et fréquente des étudiants, ne permet pas d’assurer un tutorat efficace, base traditionnelle de la formation médicale. Peut on sérieusement espérer réussir le transfert du savoir-être et du savoir-faire médical sur des périodes aussi courtes, en multipliant les tuteurs ? En réalité, ces stages sont encore écourtés car amputés des jours de congés : fêtes nationales, religieuses, vacances, récupérations de garde, périodes de préparations aux examens et concours etc.…
De plus, ce tutorat médical, qui a toujours été considéré comme une tradition valorisante, est reconsidéré aujourd’hui par beaucoup de praticiens hospitaliers (PH) comme une charge supplémentaire, et relevant des prérogatives des médecins dits bi appartenant (hospitaliers et universitaires PU-PH, PHU , MCU, CCA) . Le statut différent des médecins hospitaliers date de 1958. (Réforme Debré) A cette époque il était nécessaire pour assurer la création des Facultés de Médecine ou la transformation des écoles de médecine mais depuis plusieurs années il crée un malaise croissant *.
Jusqu'à maintenant les praticiens hospitaliers (PH) non universitaires participaient dans leur grande majorité, à travers le tutorat, à l’enseignement de la médecine, mais actuellement cette aide traditionnelle est remise en question. En effet les obligations du tutorat viennent s’ajouter aux tâches quotidiennes croissantes de ces praticiens : obligations de service (35h) obligations administratives et de gestion (T2A), obligations légales (d’informer, d’éduquer, de communiquer etc.). Ces tâches quelquefois contradictoires ( enseignement au lit du malade et respect de son intimité, séjour de plus en plus court des patients et des étudiants rendant leur “ rencontre “ difficile ) ont des effets probablement néfastes sur la formation des jeunes soignants (médecins , infirmières ,.) . Ainsi par exemple l’organisation rationnelle de la prise en charge des patients conduit la plupart des services à programmer et à planifier l’hospitalisation des malades au cours de consultations externes. Dans cette démarche, l’approche du praticien qui a géré l’hospitalisation n’est pas visible et pour les non initiés , le motif de l’hospitalisation et sa gestion risquent d’être perçus comme un bilan systématique, nécessaire et suffisant. Cette démarche où la clinique parait absente (donc inutile) sera reproduite (copier coller) par les jeunes médecins dans des situations apparemment voisines, mais sans remise en question ou justification de leur démarche.
Ce désintérêt de la clinique au pays de Laennec est manifeste si l’on considère les modalités de nomination des futurs professeurs. En effet, les compétences, et l’investissement pédagogique du candidats, ne sont pas valorisés car leur recrutement repose exclusivement sur des épreuves de titres et travaux scientifiques . De ce fait, le jeune interne qui souhaite faire une carrière hospitalo-universitaire sait qu’il devra se libérer durablement (10 à15 ans) de la clinique pour assurer d’abord un DEA, puis une Maîtrise, puis une Thèse de Sciences, trouver un laboratoire d’accueil pour développer ses recherches et publier, publier en premier dans les meilleurs revues en anglais , mais aussi partir à l’étranger, savoir communiquer et faire du lobbying au sein de sa Faculté, de son Hôpital, durant toutes ces années, mais également auprès de ses collègues, des soc iétés savantes de sa discipline, et finalement du conseil national des universités (CNU) . Celui-ci émettra alors un avis favorable à sa nomination si le candidat a respecté ses règles (variable selon les CNU et les disciplines !) et si un poste de PU-PH a pu être libéré ou créé dans la discipline du candidat. Ainsi après tant d’efforts, mais sans la moindre obligation de qualifications pédagogiques (en dehors d’une maîtrise parfaite de la présentation Power Point !) sans expérience des relations humaines et des responsabilités médicales,souvent hyper spécialisé,le jeune PU PH aura la lourde tâche et responsabilité d’enseigner et de soigner, ( voire d’assurer la chefferie d’un service!). Certains, mieux préparés, échapperont peut être à cet échec programmé des institutions et des hommes, mais ils risquent demain d’être de moins en moins nombreux (comme aujourd’hui les candidats à l’agrégation). On prendra conscience, à la lecture des ces quelques réflexions personnelles mais largement partagées par de nombreux médecins hospitaliers, de l’ampleur des enjeux et de l’urgence à reconsidérer la place de l’enseignement de la clinique dans l’avenir de notre système de santé
Le mode de recrutement des futurs médecins est probablement un point essentiel à prendre en compte dans cette réforme. En effet, beaucoup d’étudiants admis n’ont pas d’affinité particulière, voire pas du tout pour les sciences humaines, Ils proviennent pour la majorité d’entre eux de filières scientifiques favorisées par le mode de sélection qui valorise les matières fondamentales. Les réflexions actuelles sur les critères de cette sélection tendent à nous rapprocher de celle des autres pays européens et vont dans le bon sens, mais trop lentement .À quand la valorisation des qualités humaines, éthiques, artistiques ou de communication, du candidat ? Par ailleurs, rien ne changera véritablement dans le comportement des médecins français s’ils ne sont pas très tôt éduqués et entraînés à travailler en groupe, à échanger, à partager le savoir et les données. En effet, jusqu'à maintenant, la sélection en médecine a développé un faux esprit de concours permanent, souvent renforcé au delà de la faculté par la rivalité ville hôpital, l’appartenance au service privé ou public , ou entre généralistes et spécialistes. Cet individualisme qui se forge au cours des études médicales est un très grand handicap à moyen terme pour les médecins, les patients, et le système de santé français. L’évolution des nouvelles modalités de prise en charge (réseaux de soins et de patients, téléconsultation, cabinets de groupe) ne pourra pas se réaliser uniquement par le partage de données du patient à partir d’un dossier informatique (DMP) (à quand la pratique quotidienne des sports collectifs à l’école et au collège ?).
La réforme du mode de recrutement des futurs professeurs est indissociable de celle des études médicales. Les qualités pédagogiques d’un candidat doivent être prises en compte au même titre que ses qualités scientifiques (qualité à communiquer, investissement dans la pédagogie, dans l’enseignement universitaire et /ou Postuniversitaire). Parallèlement un mode d’évaluation des enseignants, actuellement inexistant, doit être mis en place et compter dans l’évolution des carrières (changements d’échelon). La séparation entre PH et PU PH doit être supprimée (bi appartenance), le médecin ayant alors, selon ses souhaits, la possibilité au cours de toute sa carrière de passer des soins à l’enseignement ou à la recherche et inversement pour des périodes prolongées (5 ans). En fin de carrière il pourrait également proposer son expérience du terrain pour assurer la gestion, l’expertise, ou l’évaluation de procédures administratives. Au cours de ce nouveau plan de carrière, la gradation des émoluments serait calquée sur celles des responsabilités et des résultats obtenus. Mais le renouveau de la clinique pourrait aussi venir du développement de la recherche pédagogique En effet celle ci reste le parent pauvre des facultés (même si chaque année les commissions pédagogiques remettent les programmes en conformité avec les changements de textes ou les réformes de l’éducation nationale !!). On pourrait par exemple ‘’réactualiser’’ la méthode anatomo-clinique de Laennec en croissant les données cliniques des patients avec les techniques d’explorations modernes (imagerie, biologie, immunologie…etc.) . Ainsi un symptôme ou une pathologie pourraient être représentés en fonction de données multiples plus compréhensives ou faciles à mémoriser. (Anatomiques, anatomopathologiques, physiopathologiques, numériques, fonctionnelles, thérapeutiques etc.). Aujourd’hui, les capacités de l’enseignement virtuel sont probablement sans limite mais ce réeclairage de la clinique nécessiterait de revoir également les critères retenus pour justifier les programmes et leurs contenus, en fonction de la fréquence des pathologies et des besoins des patients.)
L’avenir de la séméiologie clinique, et donc sa place en médecine, dépend donc de nombreux facteurs, mais quels que soient les progrès techniques réalisés dans le futur, sa prise en compte ne pourra être effective que si le patient est considéré dans sa globalité, certes de ses antécédents et de son dossier (DMP) mais aussi de sa présentation, de sa voix, de son attitude, de son faciès, de ses origines, de son statut social, de ses croyances, de son mode de vie , de sa profession. Informations précieuses, qu’un médecin attentif (empathique), recueille en quelque secondes et qui lui sont suffisantes, le plus souvent, pour comprendre la demande de son patient et l’aider.
*(Le Monde 17/08/2007 Faculté de médecine, le malaise R. Frydman)
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