Pour une fois, mettons au premier rang la personne
qui vient de fermer lhuis, ou la porte si vous
voulez, du cabinet médical. Le médecin
nest, dans ce huis-clos, que le second humain.
Second, ce choix de mot nest pas secondaire :
car, soumis au secret, il ne devrait jamais être
autre chose que le deuxième et dernier intervenant
de cet acte médical. Notre consultant, quimporte
son sexe, son âge ou son statut social, est là
pour éclairer son médecin sur ce qui lui
arrive. Il raconte sa maladie à lui, avec ses
mots, avec ses explications à lui, avec ses croyances
et ses convictions. Tout praticien en formation a reçu
en pleine figure lavalanche de mots du patient
hospitalisé dont il est chargé de rédiger
la sacro-sainte observation. Que faire
de ce fatras, comment retrouver au milieu de tout cela
les symptômes des maladies qui lui ont été
enseignées ? Et bien, cest tellement difficile
de décrypter dans ces paroles ce qui est médicalement
significatif que la tentation de considérer la
parole du patient comme sans valeur médicale
est extrêmement forte. On comprend ainsi que les
jeunes blouses blanches bâclent le plus vite possible
la partie de lexamen du patient nommée
sur le modèle policier interrogatoire
et se précipitent sur les examens de laboratoire,
les enregistrements mécaniques et les images
multiples.
Dans le cabinet, le même malentendu, en fait le
véritable mal entendu, voir le pas entendu du
tout, se poursuit. Tout se passe comme si le boulot
du médecin était de traduire en termes
médicaux ce qui lui est dit. Une gène
respiratoire devient une dyspnée et une fatigue
une asthénie. La méthode est ancienne
et a fait ses preuves. Souvenons-nous de notre Molière
et de son célèbre : Le poumon,
le poumon vous dis-je . Elle a aussi ses limites.
Sa limite de validité devient celle de la personne
même du malade. Dès quun tiers est
mis en cause, par exemple : Le comportement de
mon mari me rend malade ; depuis que ma fille est partie,
je ne dors plus ; jen ai plein le dos de mon patron
etc.... Pour le médecin, il ny a
là que métaphores au mieux, simples bavardages
insignifiants ( dépourvus de sens) le plus souvent.
Gigantesque incompréhension : le patient, en
toute confiance, dit à son médecin sa
conviction que quelquun le rend malade. Le médecin
ne tient aucun compte de ce qui lui est confié,
sinon par une attitude compatissante plus ou moins sincère.
Son objectif est ailleurs. Il doit, pense-t-il, se contenter
détablir le diagnostic le plus précis
possible des anomalies de fonctionnement de son patient,
afin de pouvoir le soigner au mieux de ses connaissances.
Quand il nest pas spécialiste et se contente
alors dexplorer les seuls organes de son champ
dexercice médical.
Alors, quand un sujet déballe à son médecin
une histoire dans laquelle ce sont les conditions psychologiques
de son travail qui nuisent à son état
de santé, on a toutes les chances daboutir
à une impasse totale. Le médecin fait
le bilan de létat du consultant, et relève
une hypertension artérielle, une lombalgie chronique,
une anxiété invalidante ou un état
dépressif caractérisé. Mais il
ne va généralement pas au delà.
Il traite chaque symptôme comme il doit le faire,
y compris par la prescription dun arrêt
de travail pour maladie. A-t-il alors clairement conscience
quil enferme ainsi le sujet dans un statut de
malade ( hypertendu, lombalgique, névrosé
ou dépressif, par exemple) ? A-t-il alors clairement
conscience quen négligeant la responsabilité
dun tiers dans le déclenchement des troubles
ainsi traités, il impose à lensemble
de la population - dont le patient lui-même- de
payer par leurs cotisations les dégâts
causés par un collègue de travail ? A-t-il
pris le temps de réfléchir que dans ce
cas, il sagit dun véritable accident
du travail, quil devrait déclarer comme
tel. Avec toute la prudence nécessaire, comme
on le fait pour les certificats de coups et blessures,
cela va de soi. Le médecin ne peut certifier
que les dires du patient. En apporter la preuve auprès
de quiconque nest pas de son domaine, mais de
celui des assureurs.
Dans
ce cas de figure, cest la compétence même
des soignants qui est en cause. Ce qui se nomme harcèlement
moral en France, mobbing chez les anglo-saxons, harcèlement
psychologique au Canada est un cas typique de pathologie
systémique.
Il est donc inconnu des médecins, qui ne sont
pas du tout formés à cette dimension des
questions de santé. Le harcèlement moral
nest encore, malgré les remarquables travaux
de vulgarisation de Françoise Hirigoyen ( et
quelques autres ), quun sujet journalistique plus
ou moins à la mode. Faut-il attendre que les
vénérables responsables de lenseignement
médical finissent par prendre conscience de linsuffisance
de notre cadre actuel dobservation des questions
de santé ? Ce sont les malades mal traités
- voir maltraités- qui font tous les jours les
frais de létroitesse de notre vision médicale.
Le harcèlement moral au travail concernerait
en Europe près de 8% des salariés. Lhistoire
a montré, heureusement, que des médecins
étaient tout à fait capables de contraindre
leurs institutions à évoluer en osant
suivre leur voie personnelle. Dabord forcément
minoritaires, méprisés et ignorés,
ces pionniers ont fini par convaincre toute une profession.
Souvenons-nous de ce modeste médecin de la Creuse
profonde qui eut le culot le premier dinjecter
le vaccin antirabique du chimiste et non médecin
Pasteur. Souvenons-nous de celui qui eut laudace
incroyable de contraindre les élites médicales
à se laver les mains après une autopsie
avant daccoucher une femme. Ce qui se fit dans
les siècles précédents, rien nempêche
que cela ne se renouvelle de nos jours. Monsieur Bill
Gates nous a prouvé ces dernières années
que le temps des grandes aventures de la connaissance
pouvait encore être le fait dune personne
et non dun groupe, comme on nous le fait croire
si volontiers. La personne nest pas morte, personne
na le droit de nous dire que le travail de groupe
peut dans tous les cas la remplacer.
NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver,
ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plait, vous
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