Peut-on lutter contre la délinquance par
la médicalisation du très jeune enfant
? Certains acteurs du champ de la santé n'en
sont pas convaincus. Les professionnels de l'enfance
des PMI ( protection maternelle et infantile),
de la médecine scolaire, de la pédopsychiatrie,
de la pédiatrie et de la psychologie font
circuler, depuis plusieurs semaines, la pétition «
Pas de zéro de conduite pour les enfants de trois
ans » qui a déjà recueilli
plus de 61 000 signatures. En réponse au
rapport de l'INSERM(1) sur le trouble des conduites
chez lenfant et ladolescent, assorti dun
programme de prévention.
Dans la pétition, certains points du rapport
de l'INSERM susceptibles d'annoncer un parcours vers
la délinquance, ont été mis en
exergue. Les professionnels de la petite enfance
sont invités à repérer des facteurs
prénataux et périnataux ( pré-berceau
et berceau ), génétiques, environnementaux
liés au tempérament et à la personnalité .
Chez ces jeunes enfants, déceler le plus vite
possible la froideur affective, les manipulateurs précoces,
le cynisme. Dépister dès 36 mois (traduire
3 ans), l'indocilité, l'hétéroagressivité,
le faible contrôle émotionnel, l'indice
de moralité bas. « Faudra-t-il dénicher
à la crèche les voleurs de cube ou les
babilleurs mythomanes?» est linterrogation
de ces professionnels de lenfance. La moindre
bêtise de l'enfant risque d'être interprétée
comme l'expression d'une personnalité pathologique
évoluant vers un comportement antisocial. Dans
le rapport de l'INSERM, des solutions associant
rééducation et psychothérapie sont
proposées pour venir à bout des têtes
fortes. Et après ce délai de grâce
de la prime enfance, à partir de 6 ans,
pourquoi ne pas recourir aux médicaments, psychostimulants,
thymorégulateurs?
Lobjectif des signataires de la pétition
«pas de zéro de conduite» est
dêtre entendu des pouvoirs publics car ils
craignent un amalgame entre le repérage des facteurs
de risques mis en relief dans lexpertise collective
de lINSERM et la répression réclamée
par le Syndicat des commissaires de police depuis quelques
années. Ils ne sont pas les seuls. A l'INSERM
même, on s'inquiète d'un éventuel
détournement de ce rapport car les ministères
de l'intérieur et de la santé s'appuient
sur cette expertise collective.
Déjà, en décembre 2003, dans
un avant-projet de loi de la prévention de la
délinquance, il était écrit que
« Plus tôt les enfants sont pris en charge,
moins ils auront à l'adolescence des attitudes
autodestructrices ou agressives pouvant amener à
la délinquance.» La crise des banlieues
qui marqua la fin de lautomne 2005 navait
pas encore éclaté.
D'autres reproches fusent sur le rapport de l'INSERM
comme celui dêtre trop médical, pas
assez pluridisciplinaire et davoir fait limpasse
sur le côté multi-factoriel du trouble
mental. L'un des experts du rapport, le sociologue
Laurent Mucchielli qui a longtemps étudié
les conditions économiques et sociales qui favorisent
l'émergence du trouble des conduites, a constaté
que ses remarques n'avaient pas été écoutées.
Depuis sa sortie, la polémique fait rage dans
la presse. La revue l'École des parents s'inquiète
d'une éventuelle connotation médicale
ou policière de cette expertise collective. Des
parents craignent que l'on en vienne à leur enlever
la garde de leurs enfants s'ils refusent de les psychiatriser,
de les droguer comme aux États Unis en
toute légalité avec de la Ritaline.
Si lexpertise collective de lINSERM sur
le trouble des conduites chez lenfant et ladolescent
a ses détracteurs, elle a aussi ses partisans.
En commençant par Jeanne Étienne, la biologiste
qui a dirigé le comité d'experts de l'INSERM,
qui s'étonne des réactions parues dans
la presse et de la polémique engendrée
par la publication du rapport. D'autres pédopsychiatres
lui emboîtent le pas et sont favorables à
une détection précoce du trouble des conduites.
Tous les jours, ils sont confrontés à
des enfants qui sont en opposition perpétuelle,
qui tapent, qui mordent qui ont des difficultés
d'apprentissage, « qui ont la tête explosée
» parce qu'ils regardent la télévision
dès le réveil, qui renversent leur bureau
en cinq minutes, qui font preuve d'incivilité
et insultent leurs professeurs. Pour Michel Dubec,
on en serait à la troisième génération
du trouble des comportements dans certaines familles-femmes
et enfants battus, en Seine-Saint-Denis.
Certains résultats de lexpertise de lINSERM
ne sont pas à prendre à la légère.
Ainsi, les personnalités antisociales ont
des antécédents de trouble des conduites.
Et le risque d'évoluer pour l'enfant atteint
d'un trouble des conduites vers un trouble de la personnalité
antisociale est statiquement de 50 %. Le trouble des
conduites est souvent associé lui même
à d'autres troubles mentaux comme le TDHA ( trouble
du déficit de l'attention et de l'hyperactivité),
le TOP (trouble oppositionnel avec provocation), les
dépressions déclinées sous diverses
formes, les stress post-traumatiques. Sans
omettre l'inévitable facteur de risque de conduites
de toxicomanie: cannabis, psychoactifs, alcool et tabagisme,
etc. Les conduites à risque et l'âge de
la mère justifieraient la surveillance médicale des
relations synergiques entre lenfant et la mère.
Pourquoi le rapport de lINSERM suscite-t-il tant
de remous et d'inquiétudes?
Son but est de situer « le trouble des conduites
au sein du phénomène social qu'est la
délinquance. Ce dernier est un concept légal
dont les limites dépendent en grande partie des
changements des pratiques policières ou judiciaires.
» Il étudie le comportement antisocial
qui caractérise les troubles des conduites et
qui peut signifier acte de délinquance. Un adolescent
qui brûle des voitures et saccage des écoles
n'est pas nécessairement atteint d'un trouble
des conduites. Jeux de mots ou sémantique qui
dédouane ce rapport idéologiquement?
Mais où est la frontière entre la délinquance
et le trouble des conduites?
Dans cette expertise, tous les champs de la vie
de l'enfant et de son entourage familial et social sont
passés au crible. La synthèse a été
réalisée à force de résultats
des nombreuses enquêtes, à dominante
psycho-biologique, linclusion d'études
comportementalistes avec des animaux de laboratoire
qui auraient la faveur dIvan Pavlov (1849-1936),
l'ami des chiens et de Burrus.F Skinner (1904-1990),
l'inventeur du behaviorisme radical et l'ami des pigeons.
Selon certains commentateurs, les acteurs de la santé
auraient du mal à se faire à l'étiquetage
des symptômes qu'on pratique couramment chez les
anglo-saxons sous le nom de DSM IV (2) et utilisé
dans le rapport de l'INSERM. Et l'on sait que la France
est très attachée à la psychanalyse.
Pour beaucoup de professionnels, le trouble se soigne
aussi avec du social, ce qui est contraire à
l'esprit du rapport qui favorise "le tempérament
et la personnalité". Force de constater
que le rapport de l'INSERM a délaissé
létude des facteurs environnementaux dans
la compréhension du trouble des conduites
et des comportements délinquants (sic) et innove
par celui de « l'étude de la personnalité
et du tempérament», en vigueur dans
les pays anglo-saxons.
Les programmes de prévention du trouble des conduites,
ceux qui auraient faits leurs preuves au niveau international,
portent tous des noms anglo-saxons. Les programmes
"Elmira Visitation" pour les enfants de 0
à 2 ans, et le "Perry Preschool Study /Preschool
Curriculum Comparison Study" pour les autres de
3-4 ans, sont-ils adaptables aux mentalités françaises
et applicables sur le terrain ? Même si
la France pèche par une absence de littérature
scientifique relative à la prévention
du trouble des conduites ou de la violence, cela ne
veut pas dire qu'elle n'a pas d'idées et qu'elle
se révèle incapable d'élaborer
démocratiquement ses solutions.
Mais pourquoi parler de dépistage des troubles
de la conduite quand il faut neuf mois pour obtenir
un rendez-vous dans un CMP (centre médico-psychologique),
douze pour une consultation sur lhyperactivité
à lhôpital Debré ? Le risque
zéro de créer un ghetto psychiatrique
pour certains enfants et adolescents est-il vraiment
écarté?
Sources:
INSERM: expertise collective Trouble des conduites chez
l'enfant et l'adolescent:
http://ist.inserm.fr/basisrapports/trouble_conduites/trouble_conduites_synthese.pdf
Pétition « Pas de zéro de conduite»:
http://www.pasde0deconduite.ras.eu.org/
Le Nouvel Observateur n°2138, semaine
du jeudi 27 octobre 2005.
Les enfants terribles, Anne Fohr, Gérard
Petitjean:
http://www.nouvelobs.com/articles/p2138/a284514.html
Le quotidien du médecin, 26 février 2006,
Une pétition des professionnels de
l?enfance, Non à la traque du trouble des
conduites à de fins d?ordre public, Philippe
Roy:
http://www.quotimed.com/journal/index.cfm?fuseaction=viewarticle&Dartidx=363859&dnews=169599&Newsid=20060222
(1) INSERM : l institut national de la santé
et de la recherche médicale est en France lorganisme
dEtat qui a le monopole de la recherche publique.
NDLR
(2) DSMIV : 4ème édition dun système
américain de recueil de symptômes psychiatriques
fondé sur la seule description, et à but
essentiellement statistico scientifique et non diagnostique
comme on le croit trop souvent. NDLR
NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver,
ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît,
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