Votre
dictionnaire favori risque de vous faire faux bond si
vous avez le curiosité bien légitime de
lui demander ce que peut bien être un débredinoir.
Si vous avez la chance de connaître un habitant
de la belle province française du Bourbonnais,
il vous dira que cest tout simplement un système
pour débrediner les bredins.
Alors
prenons notre bâton de pèlerin et mettons
le cap vers un village situé à 14 kilomètres
de Moulins dans lAllier et répondant au
doux nom de Saint Menoux. Ne me demandez pas de détails
sur ce monsieur Menoux, ni comment il a été
canonisé. Toujours est-il quil existe une
charmante église du 11ème siècle
qui abrite le fameux débredinoir. De quoi sagit-il
donc ? Et bien dune sorte de sarcophage de pierre,
légèrement surélevé, et
contenant, dit-on, les reliques du saint. Sa caractéristique
est dêtre perforé sur ses quatre
faces d'ouvertures cruciformes pouvant livrer le
passage à une tête humaine. Rite a priori
assez inhabituel dans nos églises chrétiennes.
La
légende locale veut que le fait dentrer
ainsi en contact avec les restes du saint soit doué
de vertus thérapeutiques. Et voilà que
nos bredins entrent en scène. Car ces bredins
se sont ceux qui ailleurs sont nommés les ravis,
les sifflés, les barjots ou les fadas. Autrement
dit les fous. Le grand mot est lâché :
la folie. Celle qui fut longtemps considérée
comme un signe de possession démoniaque, comme
en témoigne encore la dénomination de
grand mal ou de haut mal pour
désigner une crise généralisée
dépilepsie. Épilepsie que nos modernes
neurologues estiment depuis les enregistrements électro-encéphaliques
sans relation avec une pathologie mentale. On le voit,
on est là sur un terrain mouvant. Appelons à
notre secours un certain Erasmus Roterdami, fils naturel
dun prêtre, et génial vagabond dune
Europe qui navait pas encore sombré dans
les guerres de religion. En 1509 ( cétait
pas hier ) , cet esprit libre et indépendant
de tous pouvoir, tout ecclésiastique quil
fût, osa écrire un brûlot dont les
échos parviennent jusquà nous. Son
titre ? Éloge de la folie. Comme le latin était
la seule langue possible de ceux quon a nommé
les humanistes, cest le mot sustentia qui fut
employé. Rien à voir avec notre moderne
psychiatrie. Comme dans le langage courant, cest
de ceux qui ont la folie des voitures puissantes, qui
sont fous de leur corps ou qui sont disposés
à faire des folies pour telle ou telle chose
ou personne quil est question. Recueil de toutes
nos folies, petites ou grandes, qui, dit-on, constituèrent
des mines dinspiration pour Molière, La
Bruyère ou La Fontaine, voilà ce quest
cet éloge de la folie, seul texte encore lisible
pour des contemporains du très illustre Erasme.
Soudain, notre débredinoir prend un tout autre
relief. Un système qui nous oblige tous, que
nous soyons ou non délirants ou atteints de troubles
plus ou moins graves de lhumeur ou de la personnalité
à nous retrouver immobiles, seuls et sans lumière
ni contact extérieur quelconque dans un face
à face avec ce quon nous dit être
les restes du saint, mais qui est surtout nous-mêmes,
nest-ce pas une expérience aussi rare que
riche ? Notre chère Toile est, à lévidence,
un lieu où tous les bredins, quils soient
ou non des gredins, peuvent sen donner à
coeur joie. Ils ny manquent pas, dailleurs.
Mais Internet, du moins dans certains endroits, peut
aussi constituer un puissant contre-poison à
ces éloges constants et bruyants de toutes les
folies du siècle. Alors, les amis, nayons
pas peur de faire la promotion dun étrange,
et à mes yeux, salutaire commandement, qui pourrait
se formuler ainsi. Utilisons à fond lInternet
et débredinons-nous ainsi les uns les autres.
Et tant pis si les embredineurs y perdent leur latin,
eux qui pensaient bêtement pouvoir nous embrediner
en toute tranquillité durant toute notre courte
vie!
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NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver,
ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît,
vous déplaît ou vous semble mériter
telle ou telle réponse, d'un simple clic sur
le lien "Lui écrire" en haut de page,
un courrier électronique de votre part parviendra
à l'auteur.
FMM, webmestre.
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