A vrai
dire, nous ne savons pas grand chose sur Esope. Ce personnage
de légende, est surtout connu comme lauteur
de fables animalières que Jean de la Fontaine
sut remettre au goût du jour du Grand Siècle.
Dans la Grèce des 7èmes et 6ème
siècle avant JC, on parlait dun esclave,
laid et boiteux comme le dit son nom de « pieds
inégaux», bègue et bossu de surcroît
pour parachever le tableau. Le plus extraordinaire est
que ce célèbre fabuliste naurait
jamais écrit le moindre texte de sa vie !
Pourquoi alors linterpeller ici en lui donnant
le titre de médecin, de docteur, cest à
dire celui qui sait ou ... est censé savoir ?
Tout simplement parce quil nous a appris une chose
indispensable, à nos yeux, pour mieux nous aider
à nous soigner, de quelque côté
du stéthoscope que les événements
de notre vie nous aient situés. Souvenons-nous
de cet adage si souvent cité du sage Esope, que
nous formulons le plus souvent par : « La langue
est la meilleure et la pire des choses ». La tradition
médicale, elle-même héritière
de multiples savoirs ésotériques antiques,
a pendant fort longtemps conservé lusage
du latin et du secret. Molière a suffisamment
fait rire les honnêtes hommes depuis son 17ème
siècle avec lusage que nous faisions de
ce jargon incompréhensible pour la plupart des
gens. Ne sourions cependant pas trop vite de ce travers
: le langage technique médical quaffectionnent
les médecins actuels dans leurs échanges
dinformation, aussi indispensable soit-il devenu
avec létat actuel des connaissances et
des pratiques médicales, nest guère
plus accessible aux profanes. Vous voyez, le mot profane
surgit de lui-même sous la plume, comme si son
contraire était ,de quelque façon que
ce soit, sacré. Quand on constate la façon
dont toutes les religions, des plus grandes aux plus
confidentielles, savent utiliser le mystère pour
aiguiser la confiance ( le fait davoir la foi
en leurs croyances) de leurs fidèles, il est
possible de comprendre à quel point la médecine
peut aussi être tentée par une telle recette
pour accroître son pouvoir sur ses patients.
Combien
de fois, dans un cabinet médical, le médecin
sadresse à son patient exactement comme
il parlerait à un de ses confrères ? Sans
même se poser la question : que peut donc bien
comprendre la personne en face de moi, dans ce que je
pense être des explications ou, au moins des informations
? Quel sens le malade donne-t-il à mes mots qui
se veulent scientifiques et précis ? Quel contenu
imaginaire est-il alors amené à créer,
même - peut-être surtout - sil me
répond en tentant dutiliser lui-même
le langage médical. Il y a alors une communication
aussi apparente que trompeuse pour les deux parties.
Vous êtes naturellement en droit den douter.
Ouvrons simplement les oreilles à ce que disent
nos malades. Bien souvent, au cours dune visite
médicale, le praticien prend la peine dexpliquer
plus ou moins longuement au malade hospitalisé
de quelle pathologie il souffre. Si vous linterrogez
plus tard, il vous affirmera volontiers quil a
bien vu le médecin. Et à votre question
sur ce qui lui alors été dit, la réponse
a de fortes chances dêtre un troublant et
laconique : « Il ne ma rien dit . ».
Le praticien a eu le sentiment de faire tout son devoir
professionnel. Il est persuadé davoir donné
le plus possible dinformations à son malade.
Or ce dernier na rien entendu, rien nest
parvenu à son entendement à lui, cest
à dire quil na rien compris.
Dans un tel système de malentendu bilatéral,
de monologue de fait, les effets les plus bizarres et
les plus pervers de la parole sur létat
de santé du malade peuvent, hélas sobserver.
Car, si chacun le sait par expérience personnelle,
des paroles, même très simples, même
très brèves, peuvent nous aider à
passer un mauvais cap de notre vie, dautres expressions,
mêmes très savantes, même très
solidement étayées au point de vue technique,
même très logiquement développées
peuvent nous faire souffrir.
Peut-être nous manque-t-il, à nous médecins,
un pan important au cours de notre apprentissage ? Nous
qui avons été formés à pérorer
doctoralement, et à donner obligatoirement
une réponse à nimporte quelle question
à propos de la santé, une compétence
na pas été suffisamment renforcée
chez nous. Pour la formuler de la façon la plus
simple, je ne vois rien de mieux que lexpression
triviale suivante : Apprendre à la fermer. Ce
qui, je partage totalement votre avis sur ce point,
nest pas une mince affaire du tout !
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