Il est
de bon ton dans nos pays favorisés de se dire
humaniste, sans vraiment prendre la peine dexpliquer
exactement ce quon entend par là. Sagit-il
dune simple préoccupation de salon de doux
rêveur idéaliste ? En 2006 encore, les
déferlements atroces des conséquences
mondiales de tous les fanatismes, au nom de quel dieu
ou doctrine que se soit quils emprisonnent, torturent,
pillent, violent, tuent, oppriment les humains montrent
bien lactualité de la question.
Car,
il y a déjà longtemps quon parle
des grands humanistes sous nos cieux. En fait, depuis
la Renaissance, cette période qui a suivi notre
Moyen-âge. Pour fixer les choses pour nos lecteurs
qui ne sont pas familiarisés avec notre histoire
occidentale à la charnière du 15 ème
et du 16ème siècle de notre ère
chrétienne. Avec Colomb, Magellan, Vasco de Gama,
Diaz, Cabot et bien dautres,les limites de nos
horizons connus explosent. La vieille Europe catholique
romaine connait de fait ce que certains nommeraient
aujourdhui sa première mondialisation.
Tous les schémas anciens de perception du monde,
toutes les connaissances quon croyait établies
pour toujours - y compris la médecine- sen
trouvent fortement ébranlées. Et pour
couronner ce tableau, un certain Gutenberg venait juste
de mettre au point un système dimprimerie
à caractères métalliques mobiles.
Incroyable bon en avant technique qui allait révolutionner
la transmission et léchange à distance
des connaissances humaines.
Cet Internet qui nous émerveille tant nen
est quun perfectionnement et un prolongement dont
nous sommes bien loin davoir pu mesurer toutes
les conséquences.
Dans
ce monde en pleine mutation, un homme domine. Fils illégitime
dun prêtre, rapidement orphelin puis moine,
on ne sait pas grand chose de cet homme qui se fit appeler
Erasmus Roterdami. Car ce nest quen latin
quil parla et écrivit toute sa vie. Langue
religieuse et savante, certes, mais surtout langue internationale.
Erasme ne fut lhomme daucun pays, et déménagea
de nombreuses fois, au gré des événements.
Il fut surtout lun des premiers à demander
que la toute puissante église qui dirigeait tous
les pays se regarde en face et mette fin à des
pratiques devenues bien éloignées de lEvangile.
Retour aux textes fondateurs de la religion, voilà
le message quil diffusa. Dans le même temps,
il écrivit de multiples livres, se livra à
de nombreuses traductions, cultiva avec acharnement
et discrétion tous les savoirs, entra en contact
avec des correspondants de toute lEurope. Cet
homme eut une énorme notoriété,
une influence intellectuelle, y compris auprès
des princes et des puissants dont nous ne pouvons plus
imaginer lampleur. Erasme choisit toujours de
protéger son indépendance et sa liberté
dexpression. Jamais, il se sassocia à
quelque mouvement que se soit. Jamais, il ne devint
riche. Son ennemi irréductible portait un nom
: le fanatisme. Pour le combattre, il répugna
à toute polémique et ne prôna quun
remède : la connaissance. Il refusa tout engagement
partisan, et entra dans un combat avec le moine Martin
Luther. Lhistoire du moment conclut que le vainqueur
fut sans aucun doute Luther. Le militant intraitable,
le guerrier impitoyable, le chef envoûteur de
foules eut le dessus sur le lucide et discret Erasme.
Avec hélas, la suite que lon connaît,
et ses terrifiants guerres de religions qui déchirèrent
toute lEurope, et ses élites, pendant des
dizaines et des dizaines dannées. Daprès
celui qui nous a servi de guide ( Stefan Zweig, Erasme,
Livre de Poche 2001 ), cest par ce fiasco que
se termine lépopée de cette grande
idée de la Renaissance : cest par la connaissance
que lhomme peut sortir de lignorance et
échapper ainsi au pire ennemi des hommes , le
fanatisme. Cet ouvrage comporte en guise de sous-titre
la formule : Grandeur et décadence dune
idée. Il nest pas inutile de savoir que
Zweig, juif autrichien, écrivit ce texte en 1935.
Déjà la montée du nazisme était
évidente, et Zweig, désespéré,
avait quitté son pays. Réfugié
finalement au Brésil, il décida en 1941
de mettre fin à ses jours, avec sa compagne.
Et bien, nous pouvons le constater soixante dix ans
après, lidée des Humanistes, finalement
ne mourut pas. Ces frontières entre religions,
entre états, entre langues, finalement nous sommes
parvenus à les faire sauter en grande partie
dans notre vieille Europe. Tout ny est pas parfait,
cest évident. Mais dans un monde où
les fanatismes sentretuent toujours aussi méthodiquement,
car ils ne peuvent rien produire dautre, il existe
un espace dans lequel se construit jour après
jour notre avenir, nos systèmes de valeur. Ce
mouvement, mis en route il y a si longtemps, qui a connu
de tels revers, de telles fluctuations, personne nest
plus en mesure de le détruire définitivement.
Finalement, réjouissons-nous que le programme
qui permet aux étudiants de tous les pays dEurope
daller faire une partie de leur études
dans un autre pays, et de donner ainsi chair au mixage
européen se nomme : Erasme.
Erasme, quon ne sy trompe pas, est le grand
vainqueur de notre société actuelle, lui
qui fut lami et le correspondant acharné
de Montaigne et de notre cher François Rabelais,
pour nous ramener à la médecine. Trente
à quarante lettres manuscrites par jour jusquà
la mort, toutes en latin, la langue de la connaissance
de toutes les connaissances, et à la plume, ça,
cest un véritable homme de lettres. A lopposé
absolu dun quelconque militant qui fera infiniment
plus parler de lui. Un désir de connaissance
sans le moindre souci des frontières entre les
multiples chapelles de lesprit, des lieux ni même
des temps, mais avec la volonté de ne pas éviter
la question fondamentale du bien et du mal, ou si vous
préférez de ce qui est bon et de ce qui
est mauvais, sain ou malsain, pour les hommes que nous
sommes, cela na pas pris une ride. Travailler
ainsi pour que le lent et désespérément
tortueux cheminement vers un meilleur accomplissement
de notre humanité puisse accomplir encore un
petit pas, malgré toutes les violences, cela
ne donne-t-il pas un sens à notre court voyage
terrestre ?
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NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver,
ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît,
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FMM, webmestre.
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