Dans
les deux premières LEM
n° 453 et 455 consacrées à une tentative dintroduction
à ce que nous avons nommé une systémique
médicale, quelques notions théoriques
élémentaires ont été fournies.
Certes, elles ont été accueillies sans
entraîner une avalanche de propos hostiles ou
indignés. Mais, le silence qui sen est
suivi est particulièrement digne dintérêt
et de réflexion. Tout se passe comme si nos confrères
se sentaient particulièrement mal à laise,
et même avaient franchement peur délargir
leur horizon professionnel bien au delà de ce
que leurs études leur avaient enseigné.
Quest-ce qui fait donc tellement obstacle à
ladoption par les médecins du corps dune
analyse systémique des situations pathologiques
bien classiques quils soignent à longueur
de journée dans leurs cabinets ? Laspect
purement théorique ? Certainement pas, nos lecteurs
nous lont démontré ici, tout comme
je lai vécu il y a déjà de
nombreuses années quand javais organisé
et animé un stage de formation continue avec
une quinzaine de médecins de la région.
Lorsque javais répondu à lappel
doffres dactions conventionnelles rémunérées
( et oui) par lAssurance Maladie, mon projet de
formation systémique avait été
accueilli avec le plus grand intérêt par
le Fond dAction Formation.
Pourquoi
donc, nous les médecins avons-nous tant de mal
à passer à lacte de lanalyse
systémique au cours de nos pratiques ? Il me
semble, chacun a parfaitement le droit de ne pas partager
cette idée, que la raison est la suivante. Sil
veut placer sa façon de voir les choses de la
maladie sur le plan des systèmes en oeuvre, le
praticien doit effectuer une double gymnastique personnelle.
Selon la formule bien classique de Balint, en parlant
de tout autre chose, le thérapeute doit procéder
à un changement limité mais considérable
de sa personnalité professionnelle. En fait,
le médecin doit prendre clairement conscience
quil lui faut renoncer à sériger
en juge. Certes, le serment dHippocrate, tout
comme la tradition psychiatrique nous disent bien que
nous navons pas à juger, à dire
où est le bien et le mal. Mais ... la pression
sociale est tellement forte, on attend tellement des
médecins quon ne cesse de nous demander
de dire ce qui est droit, comme ce qui est tordu, si
on veut bien me pardonner ce jeu sur le sens des mots.
Alors, quand nous sommes immergés - pas moyen
dy échapper - dans le jeu des interactions
entre les différentes personnes, nous laisser
aller à parler, et même à penser,
comme un juge du sain et du malsain, quand il ne sagit
pas même du bien et du mal dune relation
humaine, cest nous priver de toute possibilité
de compréhension des différentes forces
en jeu dans la relation. Jusque là, il me semble
quun nombre non négligeable de soignants,
du moins ceux qui ont eu la possibilité de bénéficier
dune formation approfondie, peut comprendre cette
façon de voir les choses.
Là
où cela se corse, cest quand on va plus
loin. La neutralité bienveillante
dans la relation de soins, même si elle demeure
de fait un idéal, est, hélas, encore insuffisante.
Car le médecin, pour tout ce qui concerne sa
relation avec les patients et leur entourage doit encore
se tenir soigneusement à lécart
dun autre rôle dans lequel tout le monde
veut le faire aller, celui de conseiller. Attendez,
ne sautez pas au plafond trop vite, sil vous plaît.
Nous sommes bien daccord que la formation des
thérapeutes, et toute leur expérience
personnelle leur permet, et même leur impose souvent
de donner des conseils dans le domaine bien limité
de leurs connaissances professionnelles. Il ny
a pas si longtemps que cela, au temps où le médecin
composait lui-même ses remèdes, sous forme
de prescription magistrale, que le pharmacien était
chargé de préparer dans son officine,
une formule rituelle figurait en tête de lordonnance.
Cétait la suivante : Je conseille. Le médecin
nest pas en position dimposer quoi que ce
soit à qui que ce soit, et heureusement.
Il doit parvenir à convaincre le malade que ce
quil propose pour améliorer sa santé,
comme au non malade pour éviter de le devenir
est pertinent et conforme aux connaissances médicales
reconnues du moment. Que la tentation de la manipulation,
soit pour le bien du patient, soit pour le bénéfice
personnel du soignant, demeure toujours présente
ne peut surprendre personne. Là où la
position de conseiller devient anti-thérapeutique,
nayons pas peur de le dire, cest quand le
professionnel se laisse aller à donner des avis
sur des choses qui sont hors de sa compétence
médicale ( ou psychologique, cela va de soi).
Quand, par exemple, un soignant se permet de recommander
à telle ou telle personne de prendre ou ne pas
prendre telle décision dans sa vie ( par exemple
adopter un enfant, partir en vacances ou divorcer),
il se disqualifie définitivement pour comprendre
comment fonctionne le système des interactions
de son patient. Il sest fait aspirer et est devenu
un acteur comme les autres du système.
La formulation de ces deux écueils courants de
la pratique médicale est déjà complexe,
peut-être même incompréhensible,
voir scandaleuse pour un grand nombre. Parvenir à
ce que les jeunes médecins puissent éviter
de tomber dans ces pièges, dangereux avant tout
pour les patients, et la qualité de la relation
thérapeutique, donc des soins, ne semble, hélas,
pas encore envisageable. Il y a tellement à apprendre
dans nos métiers que la façon dont nous
mettons en oeuvre ces connaissances ne semble pas prise
en compte par nos systèmes universitaire et hospitalier.
La compétence médicale technique, certes,
cest indispensable, cest nécessaire
mais ... cest très insuffisant.
Toutes les tentatives de standardisation, de guides
de bonnes pratiques, darbres de décision,
de contrôle sont des illusions de planificateurs
en chambres. Elles sont vouées à léchec
parce quelles passent à côté
de lessentiel. Ce sont de véritables enseignants
de médecine clinique - en particulier de médecine
générale- dont nous avons besoin. Des
hommes qui puissent aider au cas par cas, pas de façon
globale, leurs confrères à se poser les
questions les plus importantes sur la pertinence de
leur attitude relationnelle avec leurs patients et ...
leur entourage. Personne nentend actuellement
ce point de vue ? Cest possible, mais nous le
répéterons aussi longtemps que nous, et
bien dautres, le pourront.
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NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
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