Plus nous progressons dans nos échanges exmédiens par Internet, plus une évidence nous saute aux yeux. Malgré de louables efforts de revitalisation de quelques pionniers depuis des dizaines d’années en France, la médecine générale demeure la grande délaissée de la formation des praticiens. La volonté politique affichée de doter enfin notre université d’une véritable filière de médecine générale est-elle suffisante pour mettre un terme à l’inévitable pénurie de généralistes dans les toutes prochaines années ?
Il est grand temps d’oser parler ouvertement à tous ceux qui veulent bien nous prêter l’oreille. L’université, quelle que soit l’image infinie que suggère son nom, a ses limites. La question est loin d’être nouvelle. François 1er, dès les premières années de la Renaissance, fut le premier à vouloir rogner les ailles de cette vénérable et médiévale dame ne parlant que latin. Non seulement il ordonna que les actes publics soient obligatoirement rédigés en français et non plus en latin, mais il créa un grand concurrent au pouvoir universitaire. Ce fut le Collège de France, dont les cours ont été ouverts à tous sans discrimination par des professeurs nommés et rétribués par le roi. Beaucoup plus près de nous, et dans notre domaine médical, l’université ne fut pas la seule à assurer le rôle de la formation des médecins. Parallèlement à leurs cours à la faculté, les carabins suivaient une formation parallèle à l’hôpital. C’était là, où le soir, ils venaient participer, et à leurs frais personnels, à de petits groupes de préparation aux concours hospitaliers, externat puis internat. Le cursus universitaire et le cursus hospitalier étaient naturellement dissociés. Avant 1968, au temps où il n’existait encore qu’une faculté de médecine à Paris, les passants de la rue de l’Ecole de médecine pouvaient lire deux inscriptions intéressantes. D’un côté de la rue un bâtiment annonce qu’il est la faculté de médecine. Celui d’en face, tout aussi noble dans son architecture du 19 ème siècle, signale qu’il a été conçu pour abriter l’école pratique de médecine. D’un côté la théorie des cours ex cathedra et de l’autre la formation dite pratique.
Les règles rigides de l’université française, avec son monolithisme, son statut de vénérable service public, son appartenance à la fonction publique, ses règles hiérarchiques, ne peuvent pas s’adapter à l’acquisition d’un métier qui échappe obligatoirement à toutes les règles collectives, qui ne peut être exercé que par des hommes seuls et pleinement responsables de tous leurs actes. La vieille tradition du compagnonnage des artisans semble celle qui serait la plus proche des besoins véritables des généralistes en formation. On est là aux antipodes de l’enseignement universitaire tel qu’il est, et ne peut qu’être avec ses règles actuelles. Comprenons-nous bien, il ne s’agit aucunement de vouloir replonger dans une sorte d’obscurantisme mitigé d’un corporatisme dont les dérapages ne sont une simple vision de l’esprit. L’université a un rôle indispensable de transmission d’une culture intellectuelle et scientifique a jouer. Ceci demeure d’une importance primordiale, nous en sommes bien d’accord. Mais, hélas, si cela est nécessaire car il ne peut y avoir de médecin qui ne soit pas dôté d’une solide culture médicale, c’est insuffisant pour former les médecins généralistes dont nous avons plus que jamais besoin. Le désintérêt croissant des carabins pour la médecine générale, tel qu’il se manifeste au moment du choix des postes d’internat en dit plus long que tous les discours ! Et la désertification médicale n’est pas une illusion dans de nombreuses régions.
Il est donc quelque peu agaçant de constater que, pour ne pas oser faire sauter quelques verrous de la citadelle universitaire, il demeure impossible à nos dirigeants de mettre en place les dispositifs en moyens et surtout en hommes compétents en pratique généraliste pour combler cette tragique lacune. Des praticiens expérimentés et assez amoureux de leur métier de généralistes pour avoir le talent nécessaire pour former des jeunes à leur vrai métier, cela existe. Nous en avons croisé beaucoup ici à Exmed. Il suffirait d’avoir la volonté d’en établir l’inventaire afin de pouvoir les solliciter afin qu’ils prennent leur juste place dans la formation des médecins généralistes. Nous ne nous lancerons pas dans un catalogue des mesures qu’il faudrait prendre pour y parvenir. Cela sort totalement de notre domaine de compétence. Audace, imagination et bon sens, voilà trois ingrédients qui aideraient bien ceux qui ont la très lourde responsabilité devant la société de “ renforcer la compétence” de nos médecins généralistes, véritable espèce en voie de disparition. Faudrait-il un bouillant écologiste médiatique pour le faire entendre ?
En attendant, il n’est peut-être pas sans intérêt de prendre connaissance de ce que nous écrivions en juin 2003 dans la LEM 297 “ Osons le mentorat”. Lien http://www.exmed.org/arlem/arlem0028.html#lem297
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