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Les tics de langage d’une époque sont parfois agaçants par leur côté répétitif jusqu’à l’indigestion. Vous vous souvenez comme moi des “ parfaitement” utilisés en lieu et place du brave vieux oui ? Mais parfois ces façons de parler reprises un peu par tout le monde en disent bien plus long qu’il ne le semblerait. Depuis quelques mois, avant le rituel “bonne fin de soirée”, notre moderne “au revoir” qui met fin à un échange commercial, vous avez bien été obligé de formuler une demande d’un produit, ou d’un service, au vendeur.
Avez-vous remarqué comme il est fréquent, gestion “ pointue” des stocks exige, qu’il faille attendre que le fameux petit bidule qui vous fait si cruellement défaut fasse l’objet d’une commande à un grossiste ? Lointain et mystérieux personnage dont les humeurs, doublées de celle de cet autre ectoplasme imprévisible qu’est le livreur dont votre satisfaction - contre juste rémunération préalable - dépend. Comme tout cela risque fort de faire fondre votre confiance dans la bonne issue de votre quête comme neige au soleil, arrive la formule magique. “Pas de souci” vous est dit avec tout le liant relationnel apaisant dont dispose votre vendeur.
Si votre (très) chère automobile vous donne quelques signes de faiblesse, si votre ordinateur ( chéri) vous refuse tout service, le réparateur vêtu d’une combinaison de cosmonaute ou d’une blouse blanche du plus sérieux effet vont vous le susurrer à l’envie après avoir doctement ausculté les entrailles de la bête récalcitrante. Oui, ce passe-partout sous forme de “ pas de souçi “. Il me semble me souvenir qu’il y a encore peu de temps, le professionnel à qui vous soumettiez votre demande, j’allais dire à qui vous demandiez de se prononcer sur un diagnostic et un pronostic parlait un peu autrement. Un péremptoire, sonore et un brin macho : “ pas de problème” tombait de ses lèvres. Y aurait-il donc une différence importante de nature entre un souçi et un problème ? Pourquoi notre langage a-t-il opéré discrètement ce glissement sémantique? Amis détectives, sortez vos loupes et tous les gadgets de la police scientifique dont nous raffolons: vos lumières vont nous éclairer. Ah bon ? Vous répondez aussi à l’auteur : “ Pas de souçi “? Vous le laissez tout seul face à sa conscience ?
Tant pis, même si cela dépasse largement son domaine de compétence, il se jette à l’eau, et de toute sa hauteur, notre auteur. Un problème, cela vous a un bon relent de tableau noir et de calcul. Un homme qui vous affirme que pour lui cette bizarrerie à l’issue incertaine pour vous est aussi claire et aussi facile à résoudre qu’une équation algébrique pour un bon élève : quel soulagement, non ?
Avec notre fameux “ pas de souçi”, nous plongeons dans un autre univers. Le valeureux professionnel se met ainsi bien mieux à l’abri. Il ne vous promet pas du tout que les choses vont être réglées du seul fait de sa compétence personnelle. Il se garde même bien de vous dire clairement si problème il y a pour satisfaire votre demande bien légitime. Il vous le dit, bon sang de bonsoir, que pour lui il n’y a pas de souçi.
Finalement, cette incantation aurait plutôt comme effet recherché d’anesthésier l’anxiété, bien légitime encore, de celui en face, ce client, qui n’a pas ce qu’il désire. Sous les traits plutôt bonassement altruistes du vous faites pas de souçi ne se dissimulerait-il pas la marque sournoise d’une déresponsabilisation personnelle galopante ? Encore un marqueur de l’état de santé de notre société à surveiller cliniquement, amis lecteurs.
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