Les questions qui se posent autour du DMP ( dossier médical du patient ), en particulier sur ce site (1) et dans nos échanges sur la liste méritent un éclairage supplémentaire. Voici l’expérience édifiante de ma participation pendant vingt ans à l’aventure du dossier médical informatisé des patients hospitalisés dans mon CHU ( centre hospitalier universitaire ).
Tous les CHU de France ont mis en place depuis une quinzaine d’années un Plan informatique qui comporte un dossier médical informatisé circulant. Il est remarquable de constater que chaque CHU a fait sa propre expérience de ce dossier, avec pour chacun des coûts de réalisation très élevés et ... une remarquable absence de compatibilité avec les hôpitaux généraux périphériques ! Vingt ans après les CHU disposent d'un dossier patient très modeste, quelques uns peuvent communiquer avec l'environnement médical mais c'est loin d’être la majorité. Disons-le sans langue de bois, ce dossier informatisé du patient qui n’est plus qu’un “ compte-rendu de sortie” n’est pas ce que l’on attendait.
Et pourquoi - cette interrogation est majeure ici - ne pas avoir utilisé cette expérience pour éviter le grand fiasco du DMP? Il serait intéressant d'explorer cet échec avant 2018 !
Je ne parlerai ici que de ce que je connais, c'est à dire du corps médical, car la partie administrative et comptable est compliquée. Un malade peut faire plusieurs séjours durant la même hospitalisation dans des services différents et l 'enregistrement de l'activité est donc complexe.
La question principale est la suivante. Quelles sont les informations nécessaires et suffisantes à garder dans le dossier et correspondant à un séjour ? La réponse a demandé une dizaine d'années , et de frustrations, car toutes les médecins et toutes les disciplines médicales voulaient être représentées de façon exhaustive . De ce fait, le poids du dossier et son coût informatique a été ingérables et non viables.
La seconde question concerne les données paramédicales et les images a conserver. Là encore une bonne dizaine d'années de cogitation, et toujours pas de réponses satisfaisantes. La centralisation des images doit-elle être effectuée sur le site de la Radiologie , sur celui de l’hôpital , sur support CD , ailleurs?
Les mêmes problèmes se retrouvent exactement pour le fameux DMP. Mais là encore, on n’a pas fait l'historique de l'existant et on recommence sans fin les même erreurs . Pourquoi cet échec? Pourquoi ce dossier n' a -t-il pas été expérimenté par le Ministère de la santé , testé puis déployé secondairement sur tous les hôpitaux français ?
Il est intéressant de constater, et de se demander pourquoi, la médecine des Armées fonctionne bien, y compris en temps de paix ! Que font-ils que nous ne faisons pas ?
Le dossier partagé du patient est une évolution nécessaire du fait de la fréquence actuelle des polypathologies et de la prise en charge multidisciplinaire d’un même patient. . Un exemple : le pourcentage important (> 15% ) d'hospitalisations liées aux effets iatrogènes des médicaments ou des associations médicamenteuses . Mais ce dossier est avant tout un outil, et comme tous les outils, il n'aura sa forme définitive qu’après un long usage et une réflexion critique collective. Le DMP n'a pas non plus pris ce chemin.
Que doit il contenir ? La réponse de bon sens est : ''Ce que vous utilisez au quotidien au cours de vos consultations, c'est à dire ce que vous inscrivez sur la fiche du patient et que vous conservez durant toute sa vie (et même après). Ce compte rendu du patient doit être rapidement accessible, sécurisé, synthétique, (ce qui ne veut pas dire squelettique, ni être un copié-collé )
Le problème des explorations et de l'imagerie à conserver est plus complexe. Toutes les données ? Ou celles estimées pertinentes ? Et par qui ? Le stockage des données numériques est relativement plus simple, celles ci pouvant être conservées, en attendant mieux, par le patient sur CD, ou sur un site consultable à distance, loué à des services spécialisés par exemple. Quant à là confidentialité des données, elle ne devrait pas être plus difficile a régler que celle des échanges bancaires, tout aussi sensibles !
L'erreur la plus pernicieuse, mais malheureusement pérenne dans notre pays en matière de santé, est de penser que l'on fera mieux que les autres alors que la priorité est d'abord de définir UNE politique de santé publique pour le pays, et de la coordonner avec l’éducation et la formation des professionnels de santé !.
Cette absence de politique et de coordination conduit à de coûteux échecs.
Ainsi cette tentative de dossier médical informatisé est l'exemple d'un outil
mal défini et non fini, dont on a voulu exploiter simultanément plusieurs fonctions très différentes. Par exemple assurer le suivi médical du patient mais aussi l'évaluation de son parcours, ses coûts induits , l'activité médicale , etc... L'objectif principal de relever des données médicales du patient est devenu à ses dépends un relevé beaucoup plus complexe d'activités hybrides .
La gestion des activités de santé des hôpitaux et la recherche d'économies
de santé est nécessaire . Mais pourquoi vouloir demander aux seuls médecins d'assurer cette double fonction et surtout sans leur en donner les moyens (techniques , humains, administratifs, économiques) . Ainsi à vouloir tout embrasser , le dossier médical d'hospitalisation est devenu progressivement ''une usine à gaz '' difficilement adaptable à l'évolution de l'informatique et des besoins médicaux .
Le premier objectif d'un dossier médical est de recueillir ce qui est utile aux patients et aux soignants. Cet objectif doit être atteint sans contraintes majeures , et entre autres de temps pour les soignants.
Le second objectif souhaitable du dossier informatisé est ''d' être ouvert et évolutif '', notamment dans le domaine des techniques ou des thérapeutiques . Enfin si l'évaluation des coûts des soins hospitaliers est nécessaire , celles concernant les données épidémiologiques des maladies,
l'environnement des patients, ou leurs facteurs de risques semblent tout aussi pertinentes à enregistrer que les données de consommation . Ce sont des données de santé publique.
La réalisation d'un dossier médical informatisé, sécurisé, partagé, évolutif,
d'un patient hospitalisé ou non, aura donc nécessairement un coût de travail informatique/jour élevé . Un certain nombre de points devraient être communs entre le dossier patient ( DMP ) et celui de son hospitalisation ( DPH ), même s'ils doivent être distincts (ce qui reste à démontrer ). Il faudrait donc probablement redéfinir les objectifs de ces deux dossiers (DMP et DPH).
Nos CHU n’ont pas fait cet effort, pas plus que le Ministre de la santé en 2004 ne l’a fait avec le projet du DMP.
Au fait avez vous cependant remarqué que le P de notre DMP ne signifie plus Partagé, comme au début du projet, mais Patient ? On progresse.!!
D' autres pays de l'Union Européenne( UE) travaillent sur un équivalent de DMP.
Les Anglais estimaient déjà en 1994 le budget de leur dossier à plus de 10 milliards d'euros alors que nous, nous parlions déjà d'économies de santé !.
Là encore pourquoi ne pas envisager un dossier médical unique avec l’UE et un coût partagé entre les pays concernés ?
En attendant l’échéance ministérielle fixée à 2018, on pourrait simplement fournir à chaque patient une clef USB pour mémoriser ses données médicales et le familiariser ainsi avec cette nouvelle évolution
de la relation médecin-malade.
(1)La Bérezina du dossier médical du patient (DMP) G. Nahmani, F-M Michaut LEM 524 http://www.exmed.org/archives07/circu524.html
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