‘’Mon
objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver
la santé physique et psychique des hommes sur
le plan individuel et collectif. Cet objectif prendra
en compte le contexte de l’environnement professionnel
tout en respectant celui du patient, et du vivant dans
son ensemble’’
Voici , de mon point de vue, un certain nombre de propositions
concrètes pour que nous, médecins, puissions
aller dans le sens de ce premier article de la Charte
d'Hippocrate (1), tant dans notre formation que dans
notre organisation professionnelle .
Répondre
au premier objectif de la charte d’Exmed nécessite
de définir de quels médecins nous avons
besoin pour demain. On peut répondre en citant
Charles Boelen (OMS) (2) : former des soignants pour
répondre aux besoins des patients’’,
c’est-à-dire à leurs besoins de
santé et de bien être, de maintien de leur
autonomie, mais également à leurs demandes
d’information et de participation à la
gestion de leur santé . Cette réponse
complexe impose de respecter les règles d’éthique,
d’équité et d’humanisme et
de prendre également en compte les nouveaux défis
de notre société. Dans cette approche
il est cohérent d’appréhender dans
un même temps la gestion des soins individuels
et de la Santé collective car les besoins d’un
patient et ceux d’une population sont étroitement
liés. On se rend alors rapidement compte que
définir le profil du futur médecin ne
saurait s’envisager sans reconsidérer en
même temps l’organisation globale de notre
système de santé. On conçoit alors
l’ampleur du problème lorsque l’on
connaît les enjeux humains, politiques, économiques,
corporatistes, sociaux que cela implique, mais en cette
période de voeux rien n’est impossible
en Exmédie !.
Le
moyen d’aborder un problème complexe est
de partir de son plus petit dénominateur commun,
on choisira ici le binôme médecin-malade
1-Aujourd’hui l’enseignement de la séméiologie
clinique n’est plus valorisé or le symptôme
est l'élément essentiel de la relation
médecin malade. Car même si son interprétation
est parfois difficile, subjective, trompeuse, c’est
lui qui amène le patient à consulter et
c’est lui qui est le fil conducteur du médecin.
L’examen clinique est lui aussi dévalorisé,
au profit des explorations et des techniques médicales,
car considéré comme insuffisamment fiable
ou exhaustif pour guider à lui seul le médecin
dans son diagnostic. Cette défiance vis-à-vis
de la clinique a de lourdes conséquences car,
sans fil conducteur, le médecin aura peu de chance,
en dehors du hasard, de faire la bonne approche. Ceci
est d’autant plus probable que chaque patient
est un cas particulier et qu’on ne peut trouver,
par définition, que ce que l’on cherche.
La revalorisation de l’enseignement clinique est
donc une priorité dans la formation des futurs
médecins.
2-Aujourd’hui le niveau de santé d’une
population dépend en grande partie des comportements
(addictifs, alimentaires, sexuels, écologiques
...) des individus qui la compose. Nos modes de conduite
sont en grande partie conditionnés par notre
environnement (Médias, publicité) sans
que l’accès à une information libre
- mais le plus souvent pléthorique et peu critique
-puisse en modifier notablement les effets. Demain l’offre
et la demande d’informations médicales
ou de santé ne peut que s’amplifier. Or
seul le médecin a le recul suffisant, du fait
de sa très longue formation (10-15 ans), pour
donner une information médicale juste, utile,
adaptée. Demain il devra donc posséder
des qualités humaines et des compétences
scientifiques mais également être un professionnel
de la communication pour remplir sa fonction dans le
domaine de l’éducation, de la prévention
et de l’environnement.
3-Aujourd’hui les coûts liés à
la santé sont en inflation alors que les moyens
financiers disponibles sont limités. L’équilibre
recherché entre les sources de financements et
les dépenses de santé dépend en
grande partie du comportement des médecins comme
de celui des malades. Les médecins étant
à la fois ordonnateurs des dépenses et
bénéficiaires des prestations du système
de santé, il serait pertinent qu’ils gèrent
les dépenses tout en étant informés
régulièrement du niveau de ressources
du système. Dans cette situation où ils
seraient responsabilisés, les praticiens pourraient
établir leurs priorités de santé,
en respectant le maintien d’une égalité
des soins au sein de la population dont ils auraient
la charge.
A la fois responsables et comptables, ils retrouveraient
une partie de leur autonomie perdue et de leur notabilité.
Cette nouvelle charge nécessiterait qu’ils
soient formés à être de bons gestionnaires
et habitués dans leur pratique à proposer
le meilleur rapport qualité /prix/ efficacité
pour toute action de santé prescrite.
Par ailleurs, en cautionnant l’épargne
de ce qu'on nomme le Capital Santé et l’Education
au bien être de leurs patients, ils participeraient
indirectement à la limitation des dépenses
de santé.
Les ‘économies dégagées par
cette nouvelle gestion des soins et de la santé
pourraient être redéployées au profit
d’autres actions de santé ou pour prendre
en charge de nouvelles pathologies. On conçoit
dans cette optique que les capacités et compétences
habituellement demandées aux médecins
soient complétées par une formation continue
de Gestion en Santé Publique.
4-Aujourd’hui les responsables de Santé
Publique ne disposent pas de données médicales
précises concernant les maladies, notamment celles
liés à l’environnement ou au climat.
Dans ces conditions il est difficile de répondre
aux interrogations des politiques où à
celles du grand public concernant par exemple les effets
à moyen ou à long terme des pollutions
chroniques. Une politique globale de santé nécessite
de disposer d’un Observatoire de la Santé
capable de croiser en permanence des données
environnementales, météorologiques, climatiques,
sociales, professionnelles, et des données d’épidémiologie
de santé. Celles ci permettent de mettre en évidence
d’éventuelles corrélations significatives
ou non qui peuvent être confirmées ou infirmées
ultérieurement par des études de terrain.
Par ailleurs, la constitution, à partir des cabinets
médicaux de réseaux d’informations
(type réseau de la grippe) couvrant l’ensemble
du territoire et centralisant les données au
niveau des centres hospitalo-universitaire permettrait
un suivi épidémiologique des pathologies
courantes ou rares ciblées. Cette implication
placerait nécessairement le Corps Médical
et les Facultés de médecine en véritables
partenaires de Santé Publique, légitimant
là encore institutions médicales et médecins.
Dans cet objectif le médecin de demain devrait
recevoir une formation universitaire en Épidémiologie
de la santé et une formation continue concernant
les effets de l’environnement sur la santé
5-Aujourd’hui la formation médicale doit
être adaptée à la fois à
la grande variété des besoins de santé
et à leur évolution permanente. Les médecins
doivent donc être capables de les identifier pour
les prendre en charge et les suivre. Former un médecin
de campagne, de quartier à risques, ou un hospitalier,
implique certes des connaissances de base communes mais
aussi des connaissances spécifiques à
ces différents milieux (sociales, culturelles,
économiques, psychologiques, géopolitiques.)
Enfin, former un médecin pour demain c’est
le préparer à travailler en réseaux
de soins, en groupe ou en associations pluridisciplinaires
: ceci nécessite une formation pratique en informatique,
en télécommunication, mais surtout de
lui inculquer le plus tôt possible dans sa formation
universitaire la notion d’esprit d’équipe,
c'est-à-dire de corps médical, notions
totalement absente de la formation médicale actuelle.
Une politique de Santé efficace devrait permettre
d’apporter une synergie entre l’éducation,
l’exercice médical et la gestion de la
santé, mais également assurer une cohérence
et une pertinence entre la formation et les besoins
de santé. Elle gagnerait pour cela à replacer
le médecin au cœur du système de
santé à condition de lui assurer une formation
de qualité dans le domaine des soins, et de la
clinique, de la gestion et des dépenses de santé,
de la communication et des réseaux. Cet ensemble
de propositions pourrait faire évoluer notre
système de santé en le rendant plus juste
et plus efficace. La plupart de ces propositions ont
été testées ponctuellement, certains
organismes internationaux(3) ont mené des réflexions
et fait quelques propositions (4) dans ce sens mais
celles-ci sont restées sans effet à ce
jour.
Pour résumer, nous ferons référence,
en le citant, à Charles Boelen auteur du concept
du “médecin 5 étoiles’’où
chaque étoile représente une aptitude
acquise par le futur médecin : garant des soins
de qualité, communicateur, décideur, partenaire
en santé publique, gestionnaire. Ce label ne
représente pas seulement ‘’l’image
d’excellence du médecin de demain, elle
est celle du médecin de toujours, celle de la
profession de santé tout simplement, qui tente
de se mettre au service de l’individu et de la
société indépendamment du temps
et du lieu’’.
Un des grands malaises de la médecine d'aujourd'hui
vient de son fonctionnement et de son financement ambigu.
Les médecins auront-ils le courage d'en changer
, c'est à dire de (re)prendre le pouvoir qu'ils
ont abandonné ? Responsabilité médicale,
juridique, morale, sociale, oui ça on veut bien
dans nos instances dirigeantes, mais pas financière,
car le médecin n'est pas jugé responsable
( traduire crédible en matière de gestion
financière). Si le médecin veut retrouver
ce pouvoir dans la cité et une certaine légitimité,
il faut qu'il accepte une ''certaine responsabilité
'' dans les dépenses qu'il engage que ce soit
dans le système public ou privé.
Cette autonomie financière du médecin
a pourtant été expérimentée
en France pendant plusieurs années dans les départements
de la petite couronne parisienne (Dr P. Bocquet) et
contrôlée comme efficace et de bon rapport
qualité/prix . Ceci impliquerait théoriquement
une formation spécifique des futurs médecins
et pratiquement un regroupement des cabinets médicaux
(pour de multiples raisons nécessaire à
court terme). . Un médecin du groupe pourrait
se consacrer à la gestion ou celle-ci pourrait
être tournante chaque année. Les cabinets
isolés ou situés dans les régions
désertifiées pourraient être regroupés
à distance , ou encore une aide à cette
gestion pourrait être apportée par un ''médecin
conseil.'' C'est ce qui se passe actuellement dans les
hôpitaux universitaires où les Services
sont regroupés en Pôles et gérés
par un médecin élu par ses pairs du pôle
aidé d'un directeur administratif. Les hôpitaux
qui utilisent ce mode de fonctionnement depuis plusieurs
années ne veulent plus revenir à l'ancien
système administratif de gestion car il apporte
un peu de liberté aux médecins.
Cette organisation permettrait de réduire de
moitié le nombre des quelques cent mille employés
de la sécurité sociale qui contrôlent
des papiers et dont une partie pourrait être utilisée
plus intelligemment à aider les médecins
! Cela n'empêcherait pas d'avoir en parallèle
un système de prise en charge gratuit pour les
indigents ou les maladies lourdes.
Bibliographie
(1) La Charte d'Hippocrate, LEM 532, numéro spécial
du 5 janvier 2008 http://www.exmed.org/archives08/circu532.html
(2)-Le médecin 5 étoiles : C. Boelen.
OMS. Actes des journées d’études
Internationales.1998
(3)-Éducation thérapeutique du patient
vers une citoyenneté de santé Colloque
à L’Unesco 1999. BEP V 19. 2000
(4)-Charte de l’éthique des facultés
de Médecine conférences des Doyens et
des Facultés Francophones (CIDMEF) la Faculté
de Médecine face à ses responsabilités
sociales et éthiques. Rapport 2001-2003
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