Salut à toi, Dame Méfiance

Docteur François-Marie Michaut lui écrire

Aux accents sonores de l'Air de la Bêtise que chantait Jacques Brel en 1957, et qui n'ont pas pris une ride, le cheminement de notre interrogation à haute voix sur une réalité de nos comportements actuels peut commencer. Nous ne cessons, à chacune de nos Lettres hebdomadaires, de psalmodier qu'il nous faut retrouver la confiance. Et s'il nous faut la retrouver, c'est que nous avons bien conscience de l'avoir perdue.

A sa place vide, où que nous portions nos yeux dans les jeux étranges que nous jouons les uns avec les autres, nous ne voyons s'épanouir que la méfiance. Chacun peut regretter ces temps pas si anciens où il était courant de suivre les yeux fermés les avis et opinions des gens supposés savoir mieux que nous. Notre fréquentation infiniment plus longue, aussi superficielle soit-elle, des établissements scolaires a conduit une proportion importante de la population à être beaucoup moins impressionnée par le pouvoir de " ceux qui ont fait des études". La vulgarisation à outrance de toutes les branches de la connaissance dans la presse écrite, radiophonique et télévisée a répandu un fragile vernis dans tous les esprits, même les plus éloignés des connaissances scolaires. Qu'on le regrette ou que l'on s'en loue, la classique foi du charbonnier n'existe plus dans nos pays.

Dans un tel contexte, il demeure étonnant de constater que lorsque la maladie survient, et que notre précieuse vie est en jeu, tout semble se passer comme si nous ne pouvions que nous livrer pieds et poings liés aux médecins qui nous soignent. Dans une sorte de régression infantile, dès que nous sommes malades, nous perdons facilement une grande partie de notre esprit critique élémentaire, si prompt d'habitude à s'enflammer à la moindre étincelle.
Nous voilà passifs au point parfois d'accepter des choses inacceptables dans un autre contexte. Nous voilà rongés par la peur, celle qui est bien connue pour être une des plus mauvaises de nos conseillères.
Même si les praticiens sont habitués à ce que leurs avis et conseils ne fassent l'objet d'aucune discussion, cette attitude habituelle de subordination est lourde de conséquences néfastes pour les malades. La participation active du patient est un ingrédient indispensable et difficile à obtenir de la qualité des soins de santé. Pour être actif, il faut comprendre au mieux ce qui se passe. C'est toujours difficile tant la machine humaine est complexe, et les renseignements qu'on peut avoir, avec comme sans internet, ne permettent jamais de réaliser ce qui nous arrive, à nous. Les médecins eux-mêmes sont étrangement aveugles aux maux qui les touchent. Pas moyen de s'en sortir sans interroger son médecin, sans lui poser toutes sortes de questions, sans le pousser dans ses retranchements quand il rechigne à répondre. Tout cela demande naturellement du temps. Mais les rencontres successives avec le médecin peuvent être l'occasion de présenter peu à peu ses demandes, en leur laissant aussi le temps de mûrir.

La relation entre patients et médecins est un laborieux apprentissage réciproque, en perpétuelle évolution dans le temps. Elle ne s'apprend dans aucun livre, elle ne se réduit à aucun protocole, à aucune recette toute faite par un quelconque expert. Si elle est biaisée par l'une ou l'autre des deux parties, pour quelque raison que ce soit, une barrière s'élève. D'un côté, il y a celui qui sait, celui qui agit,et de l'autre celui qui se tait parce qu'il a peur, celui qui souffre encore plus dans son isolement humain. D'un côté une élite - ou supposée telle - intouchable, de l'autre le peuple - ou prétendu tel - qui subit. Et les premiers de se méfier aussi systématiquement des seconds que ces derniers des premiers.
Et nous voilà installés dans le face à face médical au sein de l'univers sans issue de la méfiance réciproque, qui ne demande qu'à se transformer en guerre destructrice à la moindre étincelle.
S'il fallait ne retenir qu'une idée de ce texte, c'est qu'un immense effort doit être accompli par tout le monde pour que nos cabinets médicaux ne fonctionnent plus sur le modèle purement mécanique de l'automobile chez le garagiste.