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 N° 544
 
 
 
    14 avril 2008
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Universités des métiers de la santé ?

Photo de l'auteur Docteur François-Marie Michaut lui écrire

Pas question de laisser dormir en paix le fameux rapport Attali, dont Bruno Blaive nous a parlé dans la LEM 543 du 7 avril (1). A sa lecture (2) deux idées force, assez dérangeantes pour les partisans de l'immobilisme de notre système de santé, méritent qu'on en débatte. Nous le faisons ici en utilisant le filtre des multiples échanges que nous entretenons sur la santé à Exmed depuis des années pour analyser de façon critique les " décisions" ( ainsi parle étrangement la commission Attali ) qui nous concernent directement. Il doit être bien entendu que ces propos n'engagent personne d'autre que le signataire de ces lignes.

retrouver la confiance

Il est une particularité spécifiquement française de l'exercice de la médecine. Pour inciter les médecins à perfectionner leur pratique en la spécialisant depuis la fin des années 1950, et pour faciliter leur adhésion à un système de convention entre leurs syndicats et l'assurance maladie obligatoire, le principe que les honoraires d'une consultation de spécialiste devait être le double de ceux d'un généraliste. Le résultat a été immédiat : le nombre des spécialistes a explosé en France durant des dizaines d'années, de nouvelles spécialités reconnues voyant également le jour au fur et à mesure des progrès des connaissances et des techniques médico-chirurgicales. Depuis des dizaines d'années aussi, les discours des autorités ne cessent de louer les médecins généralistes, leur rôle de pièce majeure dans la distribution des soins, mais la tendance ne s'est jamais inversée. Nous avons, dans nos cabinets médicaux, la moitié des médecins qui sont des spécialistes reconnus par l'ordre des médecins, et la moitié des praticiens qui seraient des généralistes. En effet la réalité est encore plus déséquilibrée tant il existe de modes d'exercice consacrés exclusivement à des sous-spécialités pratiquées par des généralistes en mal de conditions plus confortables de travail.
Dans tous les pays étrangers sanitairement comparables à la France, le nombre des spécialistes n'est pas de un médecin sur deux. Il est de deux sur dix ! Vous avez bien lui : 80% des médecins sont des généralistes.
De leur côté tous les organismes officiels, comme l'ordre des médecins, annoncent que, même sans modifier le ratio spécialistes-généralistes actuel ( très insuffisant, nous l'avons vu), notre pays sera dans l'impossibilité de remplacer les praticiens généralistes partant en retraite. Aucun pays au monde ne peut se passer de médecins généralistes pour soigner ses malades. Peut-être n'est-il pas inutile de garder à l'esprit cette évidence pour comprendre combien la situation est grave et urgente pour tous les futurs malades que nous sommes?
Nous ne sommes pas devant la nécessité politique de résoudre la crise financière des dépenses de santé, nous courons à l'effondrement du système des soins par manque de soignants qualifiés.

restaurer la conscience

L'université doit chaque année limiter le nombre des futurs médecins en fonction du numerus clausus établi par le pouvoir politique. Au passage, est-il bien sain que ce soit le Parlement qui décide chaque année le nombre des futurs médecins à admettre dans nos facultés ? Les critères de sélection des carabins favorisent exclusivement les matières intellectuelles les plus faciles à noter pour que le filtre d'entrée fonctionne avec une apparence d'objectivité et d'impartialité. Forts en maths et en physique, réjouissez-vous ; forts en matières littéraires et artistiques, on ne veut pas de vous.
Et, en fin d'études, c'est à un examen national classant, faisant une place essentielle à la seule mémoire, que sont soumis nos carabins. Selon le rang obtenu, chacun peut alors choisir la discipline qu'il souhaite exercer. Les mieux classés au concours optent tous pour des spécialités, et les postes dits de médecine générale sont les plus boudés. La médecine générale en France est une spécialité par défaut, une spécialité par l'échec, une sorte de parent pauvre de l'université qu'il est important de cacher. Le corps professoral se trouve ainsi mathématiquement constitué quasi exclusivement de spécialistes, qui s'occupent de façon préférentielle de la renommée de leur propre spécialité. Le métier qu'ils savent faire, et ils le font fort bien, c'est de former sur le plan technique des spécialistes comme eux.
Mais, nous l'avons vu, les besoins de la population en matière de soins de santé ne sont pas du tout ceux-là.

renforcer la compétence

Renforcer la compétence des généralistes, leur apprendre à travailler autrement, à collaborer avec des aides professionnelles qui deviendront vite indispensables, nécessite de repenser leur mode de formation. C'est dans le rapport Attali que nous allons chercher ce dont nous avons besoin. Une université de métier(s), capable d'accompagner toute leur vie, et pas simplement au cours de leurs études, nos médecins de famille. Avec un corps enseignant au recrutement souple et au statut à géométrie variable qui permette d'en ouvrir l'accès aux meilleurs professionnels, même s'ils ne sortent pas du giron universitaire traditionnel ou exercent une autre activité. Bien entendu, ces lieux institutionnels doivent être ouverts à tous les métiers de la santé, à tous les acteurs ayant un lien avec ces métiers, par exemple des gestionnaires ou des architectes, des spécialistes de l'informatique etc... Ici ont leur place, toute leur place, y compris dans leur relation évidente avec tous les métiers de la santé, les filières consacrées aux soins infirmiers comme aux différents métiers paramédicaux, et, même si cette idée fait bondir une corporation qui a toujours cultivé sa place à part - liée à la crainte ( légitime) de se faire phagocyter par les médecins, les psychologues. Il n'est pas utile d'insister sur le fait que des enseignants d'un métier puissent contribuer fort utilement à la formation des autres métiers de la santé serait un facteur majeur d'ouverture des esprits. Et de stimulation mutuelle.
Le cadre, pour coller aux réalités et besoins locaux, ne peut être que régional. Le statut, et le financement, doivent-ils en demeurer strictement publics ? Faut-il inventer des formules plus souples ? La question se pose. Sans occulter le fait que le système actuel de classes préparatoires privées (très) payantes pour réussir le concours d'entrée en faculté de médecine a déjà porté un coup majeur à la quasi gratuité des études universitaires.
Tout cela est-il une pure vue de l'esprit ? Sans vouloir céder au travers de penser que ce qui existe ailleurs est meilleur que chez nous, je ne saurais trop vous inciter à aller faire une petite visite à l'université de Sherbrooke au Québec ( Canada ) http://www.usherbrooke.ca/
Nous sommes bien d'accord sur le fait qu'une copie servile de ce qui se fait chez nos cousins ne tiendrait pas compte de nos spécificités françaises. Mais nous ne pouvons pas continuer à faire comme si tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles dans notre système national.
Alors des Universités des métiers de la santé, allons-nous oser un jour nous y atteler ? Former ensemble tous ceux qui ont à soigner les autres, mettre sur un pied d'égalité les différentes disciplines médicales et non médicales, savoir croiser les enseignements au bénéfice des patients, pouvoir utiliser au mieux toutes les compétences de nos professionnels médecins, et non médecins, avoir le souci de bâtir un lieu ( même éclaté géographiquement) où il ferait bon pouvoir se retrouver ensemble toute sa vie pour perfectionner sans cesse ses compétences, apprendre, enseigner, chercher ou simplement tisser des liens humains pour sortir de l'actuel isolement professionnel et intellectuel des médecins ( et autres ) après leur cursus universitaire. Pour cela, il faut oser affronter les citadelles orgueilleuses et poussiéreuses des facultés de médecine que nous avons toujours connues en France depuis le Moyen-Âge, d'abord sous le contrôle de l'Église, puis sous la férule de l'État.
Des gens de qualité ne demanderaient pas mieux que de contribuer à un tel projet. Certains nous l'ont dit clairement à Exmed, ils regrettent beaucoup de ne pas pouvoir faire profiter les plus jeunes des sommes de savoir, de savoir faire et surtout de savoir être qu'ils ont eu la chance et le talent de pouvoir accumuler. Depuis longtemps, visiteurs Internautes connus et inconnus, vous constatez qu'ils le démontrent en publiant librement le fruit de leurs réflexions pour une médecine plus humaine. Faut-il que la collectivité renonce à utiliser de façon intelligente tous ces talents - et de multiples autres laissés jusqu'à ce jour de côté - en n'osant pas mettre en place de telles universités régionales des métiers de la santé ? Juste pour ne pas heurter la tranquillité de nos vieilles universités inadaptées au monde actuel.
Ce serait vraiment intéressant de savoir ce qu'en pensent ... ceux qui ont besoin des professionnels de la santé. Et tous les autres aussi.
Toutes vos réactions nous intéresseraient vivement, écrivez-nous.

Notes :
(1) B. Blaive La santé, un atout pour la croissance. Lettre d'Expression Médicale n° 543 du 7 avril 2008
http://www.exmed.org/archives08/circu543.html
(2) Texte intégral des 300 décisions de la commission Attali
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000041/0000.pdf




Pour ceux qui ne connaissent pas encore notre Charte d’Hippocrate.

Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html




Os court :<< Sachant ce que vous savez, comment se fait-il que vous ne le sachiez pas ? >>
Louis Scutenaire


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Lire la LEM 543 La santé, une chance pour la croissance - Bruno Blaive

Lire la LEM 542 Servitude et grandeur- Gabriel Nahmani

Lire la LEM 541 Salut à toi, Dame Méfiance- François-Marie Michaut