Au décours de recherches autour d’une intervention sur le stress auprès de médecins du travail, j’ai lu avec attention les résultats d’une enquête menée auprès des médecins de l’Ile de France par leur URML. Les résultats sont impressionnants :
53 % des médecins répondants se sentent menacés par le burn out. Il s’agit surtout de généralistes, secteur 1, qui réalisent plus de 6 000 actes par an, consultent sans rendez-vous, pratiquent la visite à domicile, âgés entre 45 et 50 ans, célibataires.
Parmi les causes évoquées par ces médecins, l’excès de paperasserie (62,6%) et l’augmentation des contraintes collectives (47,3%) sont les plus cités.
Les conséquences du burn out invoquées par les médecins résident dans la diminution de l’accomplissement professionnel (87,2%), la dégradation de la relation médecin-patient (84,4%) et l’altération de la qualité des soins (82,6%).
12,3% des répondants envisagent de changer de métier. Parmi eux 143, soit 6 % de notre échantillon, sont prêts à mettre à exécution ce désir dans un futur plus ou moins proche.
Finalement les plus menacés sont ceux qui ont gardé une valeur majeure de notre exercice : la disponibilité.
Il m’apparaît intéressant de comprendre les mécanismes profonds de cet épuisement tant en terme physiologiques que psychologiques mais surtout d’en tirer une conclusion: Cet épuisement ne serait-il pas la cause majeure du manque de réaction des toubibs devant les agressions permanentes à l’intégrité de notre métier ?
Avoir conscience des difficultés inhérentes à notre métier : pression des patients, des « Hautes Instances », manque de reconnaissance, de temps…etc., ne me semble pas suffisant pour entrer dans le vif du sujet.
Une notion particulièrement intéressante a été proposée à la fin des années 90 par Mac Ewen : l’allostasie que nous pouvons définir comme le processus adaptatif d’aide au maintien de l’homéostasie et surtout d’accommodation au changement. En lien avec cette notion nous aurons le concept de charge allostatique c'est-à-dire une activation prolongée de nos systèmes d’alarme. C’est donc cette charge qui va peu à peu épuiser nos ressources et nos capacités d’adaptation aux situations stressantes.
Mac Ewen nous propose quatre types de situations associées au développement de la charge allostatique :
Des stresseurs fréquents et répétés
Un défaut d’adaptation à des stresseurs répétés mais ne créant pas de nouvelles menaces (les prises de parole en public par exemple)
Une incapacité à désactiver les réponses allostatiques après la disparition des facteurs de stress (âge ?)
Le déficit de réponse d’un des systèmes allostatiques entraînant l’hyper activation d’un ou plusieurs autres.
Il est évident que nombre d’entre nous sont soumis à ces différents types de situations et donc à une augmentation permanente de notre charge allostatique.
Dufy quant à lui nous permet de faire le lien entre les mécanismes du stress et la notion de système qui nous est chère :
L’être humain est un système ouvert et donc participant à des échanges avec l’extérieur. Ces systèmes ouverts obéissent à des lois : l’entropie qui veut que l’évolution se fasse toujours d’un état structuré vers un état déstructuré (mort) et jamais l’inverse, l’inertie qui nous apprend que pour modifier un état il faut de l’énergie, l’homéostasie bien sur qui veut que pour survivre ces systèmes aient des échanges dynamiques et équilibrés avec l’extérieur et enfin la télentropie qui lie la résistance du système à l’anticipation de l’avenir.
L’évolution de notre métier et de ses obligations devient évidente : notre système est agonisant. Une charge allostatique sans cesse plus élevée, une évolution vers un état déstructuré, plus d’énergie pour accompagner les changements et faire un saut qualitatif indispensable, plus d’échanges équilibrés avec l’extérieur mais une dynamique de repli corporatiste et bien sur aucune anticipation de l’avenir.
Alors se met en place une sorte de léthargie, d’anesthésie qui fait de nous des robots incapables d’imaginer notre vie. La sagesse populaire veut que nous soyons conscients que nous ne pouvons pas faire changer l’autre (le patient, Sa Majesté SÉCU, les Grands Administrateurs, les Politiques) mais nous pouvons changer. Et pour amorcer notre réveil en cessant de nous plaindre, de déprimer et même de mourir trop vite, il nous faut prendre vraiment conscience que la médecine n’existera plus à très court terme.
Si les patients pensent qu’ils peuvent se soigner via Internet : pas de problème, si l’enseignement en faculté continue de privilégier la technique :pas de problème, si les politiques et autres administrations privilégient le fameux principe de précaution et les primes aux résultats : grand bien leur fasse…mais sans nous. Nous les médecins, les besogneux du soin, les coupables d’abus de « bien social », les incompétents du « tout administratif ».
Pour renforcer ou acquérir une compétence il faut d’abord en avoir envie. Reste-t-il au fond de nous assez d’espérance pour que nous relevions nos manches et reprenions le cours de notre art ? Quoi faire et comment le faire ?
Au risque de surprendre, il semble bien que la première des choses à faire est de dire non !
Depuis trop longtemps; peur et culpabilité nous amènent à … dire amen à toutes les contraintes que la société, pleine de « bonnes intentions » bien sûr, veut nous imposer.
Notre Ordre et nos syndicats ne font pas exception et cherchent désespérément la compromission. L’étymologie de ce mot est parlante : s’en remettre à l’arbitrage d’un tiers, sauf que le tiers, sécu ou politique, n’est pas neutre. Quel tiers pourrait servir de médiateur puisque nous serons tous un jour…des patients ?
Et si nous cessions de nous penser autre que celui que nous soignons et que nous réfléchissions à ce que nous n’accepterions jamais pour nous-mêmes ? Et si nous cessions de nous pensez autre que celui qui exerce dans le public ou le privé, que celui qui exécute nos prescription ? Bref si nous nous pensions « normalement » humain.
Alors nous refuserions d’être otages de la peur de manquer, de la peur d’être suspendu, d’être débordé…etc. Nous agirions comme des adultes, certains de nos compétences et de notre envie de les améliorer en refusant le chantage. Nous prendrions en main, vraiment, la formation de nos successeurs, nous ferions gentiment comprendre aux administratifs que, sans nous, ils devraient changer de métier, nous partagerions sans complexe avec nos pairs, nous apprendrions aux patients que leurs exigences sont soumises à leur peur plus souvent qu’à leur état de santé, nous oserions dénoncer tranquillement ceux d’entre nous qui abusent ou qui relèvent de l’hôpital psychiatrique. Bref : nous pourrions faire preuve de bon sens.
Des mots, rien que des mots, êtes-vous en train de penser ! Tout cela est utopie, rêverie, sensiblerie.
Bien passons aux actes. Nous attendons vos propositions concrètes. Depuis plus de 10 ans Exmed vous offre cet espace d’expression et d’élaboration. Alors que ceux qui ne sont pas encore en burn-out se mettent à leurs claviers au risque de tomber très vite dans le trou creusé par notre propre soumission. Dites-nous les NON qui vous semblent urgents et les OUI qui vous animent encore.
Une première proposition a été lancée par notre maitre-toile : une université libre de médecine en ligne … y a-t-il quelqu’un devant l’écran ?
Source : Union Régionale des Médecins Libéraux Île de France, L’épuisement professionnel des médecins libéraux franciliens : témoignages, analyse et perspectives, Juin 2007
NDLR : Cette analyse systémique du fléau que constitue le burn-out ( épuisement personnel par carbonisation professionnelle en français) des médecins démontre l’urgence de développer tout ce à quoi l’université ne se montre pas capable de répondre. Par exemple, parmi beaucoup d’autres, l’introduction de la pensée systémique en médecine.
Il y a là un immense chantier, pour lequel Exmed serait en effet ravi de continuer à apporter sa contribution. Avis aux amateurs : faites-vous connaître.
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