xxxRetourner ainsi à 180 degrés les trois valeurs humaines dont nous nous faisons chaque semaine les zélateurs dans les intertitres de cette lettre n’est pas un simple jeux avec les mots pour distraire des lecteurs blasés. Peut-être faudrait-il parler de lecteurs fatigués par les tempêtes médiatiques autour de la crise dans laquelle serait empêtrée la grande machinerie économique et financière de la planète, pour une fois unie.
xxxQue ne nous dit-on pas de tous les côtés, avec des surenchères, des luxes de détails, d’anecdotes, des diagnostics péremptoires et des pronostics définitifs qui, gardons-les bien précieusement, feront un jour la joie des humoristes et des bêtisiers du futur ?
xxxLes marchés financiers le disent sans détour. Les différents agents, que ce soit aux USA ou ailleurs n’ont tout simplement plus aucune confiance entre eux. C’est le règne clairement affiché de la plus grande méfiance. Les banques entre elles ne veulent plus se prêter d’argent, bloquant ainsi une grande partie de leur fonctionnement traditionnel. Les investisseurs, par défiance encore, rechignent à risquer leurs fonds dans des entreprises devenues à risque de pertes. Ils avaient tellement l’habitude de gagner de plus en plus. Comment ne pas évoquer devant cet évanouissement du climat de confiance la façon dont les choses se passent dans l’une des activités humaines qui semble offrir le plus de tentation de détournement et de vol ? Les diamantaires d’Anvers constituent depuis longtemps un petit monde très fermé. Vente, revente, importation, exportation et taille des précieux cristaux de carbone pur, c’est leur métier. J’ai appris un jour, dans une émission de télévision dont j’ai oublié la référence, que les professionnels anversois du diamant ne remplissaient jamais le moindre contrat écrit, ni le moindre reçu, au cours de leurs transactions. Tout se passe, selon le témoignage journalistique, à la parole donnée, et cela marcherait fort bien. Celui qui s’aventurerait à abuser de la confiance d’un autre recevrait immédiatement la sanction méritée. Il serait radié à vie de la communauté des diamantaires.
xxxBien entendu, il s’agit d’un tout petit groupe dans lequel tout le monde connaît tout le monde. La dimension mondiale des échanges économiques rend infiniment plus difficile l’établissement de relations de confiance. Quoi que, depuis longtemps, dans le domaine des sciences et de la médecine, les équipes les plus en vue ne cessent de communiquer et d’échanger entre elles tant dans des congrès que dans des publications spécialisées.
xxxA quoi peut bien servir l’économie ? Par qui et comment les échanges de biens et de services doivent-ils faire l’objet de limites pour qu’ils ne conduisent pas à la destruction des humains les plus vulnérables et même de la planète ? Par quel prodige, alors que nous voyons toutes les choses vivantes autour de nous - et en nous - osciller en permanence entre la croissance, la décroissance, et la mort, nos sociétés ( enfin les plus riches d’entre elles ) devraient connaître une expansion économique sans faille ni fin ? Voilà quelques unes des questions que nous avons soigneusement évité de nous poser. Pour notre défense, il était infiniment plus confortable de ne pas rendre conscience de tout cela et de bénéficier, même modestement, des incroyables progressions de nos inventions techniques, et des facilités de vie qui en ont résulté dans nos pays. En un mot, nous nous sommes vautrés avec délice dans la société de consommation sans nous poser trop de questions, en dehors de quelques prurits intellectuels sans lendemain lors de la fin des années 1960.
Soudain, la question de la fonction du pouvoir politique prend une autre dimension. Naguère, la défense intérieure et extérieure des territoires nationaux, celle des intérêts bien limités de tel ou tel drapeau, la définition de lois pour organiser au mieux sa nation résumaient les grandes missions des responsables politiques.
xxxBrutalement la réalité de la dimension non plus nationale, ni même européenne, des échanges économiques entre les hommes nous saute à la figure. Cette mondialisation, largement diabolisée dans des discours militants tentant de s’y opposer pour des raisons idéologiques, qu’on le veuille ou non est déjà là. Le contournement des pouvoirs politiques locaux par de vastes et puissantes sociétés multinationales ne date pas d’hier.
Une partie de bras de fer sans précédent entre les pouvoirs économiques et les pouvoirs politiques a été ouverte avec << la-crise >> . Cela regarde-t-il les petits citoyens que nous sommes ? Mais bien entendu, car sans aucun contre-pouvoir aux puissances d’argent, le respect de notre dimension humaine personnelle est gravement en danger. Le rôle de protection des plus faibles contre les intérêts dévorants des plus forts se révèle plus que jamais le domaine irremplaçable des pouvoirs politiques.
xxxConsidérer ainsi les choses dans leur globalité pour aller à l’essentiel rend bien futiles les querelles entre les partis et entre les leaders de quelque bord qu’ils se situent. Toute querelle d’un équipage quand des récifs sont en vue est suicidaire pour des marins. Inversement, une telle prise de conscience peut conduire chacun de nous à faire entendre bien plus clairement à nos dirigeants ce que nous attendons d’eux.
xxxUne fois de plus, comme ce fut le cas lors de grands événements mondiaux comme l’effondrement du bloc soviétique ou les attentats terroristes du 11 septembre, aucun expert n’a été capable de prévoir l’explosion du système bancaire international. Voilà qui pose la question de la pertinence des observations et des analyses des économistes et des financiers. L’économie est-elle une science ? Est-elle une science pouvant fonctionner avec des modèles mathématiques permettant un certain degré de prédictivité ou bien s’agit-il, plus modestement, d’une science humaine, donc soumise à tous les aléas de nos comportement humains, y compris les moins rationnels ( Amartya Sen , Calcutta, prix Nobel d’économie 1998 ) ? Le débat ne concerne pas seulement les spécialistes des finances et de l’économie, mais aussi tous les citoyens. Puissent des hommes comme Paul Krugman, le dernier prix Nobel en 2008, à la fois chercheur à l’université de Princeton et chroniqueur engagé au New York Times y apporter leur contribution.
cccCar nous l’avions pressenti sur ce site il y a dix ans en tentant d’apporter aux professionnels de la santé quelques éléments d’économie qui nous font totalement défaut (1), il existe un problème majeur. C’est celui de notre ignorance crasse de tous les mécanismes qui gouvernent les échanges matériels entre les humains. A notre décharge collective, reconnaissons que la complexification incessante et systématique de tous les rouages de la finance nous a conduit à un monde incompréhensible pour tout le monde. Les événements actuels montrent combien il est dangereux de faire dépendre le sort de multiples peuples en admettant une réalité les yeux fermés.
Si nous ne savons pas lutter avec intelligence contre le règne de cette incompétence généralisée, ce seront toujours les spécialistes d’une petite portion du système qui tireront profit de leur habileté à manipuler des chimères pour accroître leurs bénéfices immédiats, sans le moindre souci de la vaste collectivité humaine d’aujourd’hui et de demain.
cccAu bout du compte, la fameuse crise est-elle bien une conjonction de la méfiance, de l’inconscience et de l’incompétence dans les échanges de notre vaste monde ? Alors, nous sommes bien là à l’opposé absolu des trois maître mots inventés par le docteur Jacques Blais en 1997 pour rythmer systématiquement comme un message chacune de nos Lettres d’expression médicale.
(1) La vérité nous impose, dix ans après, de reconnaître que nos confrères n’ont absolument pas compris combien il leur était nécessaire d’acquérir ces rudiments pour répondre de façon pertinente à ceux qui ont transformé les enjeux de la médecine en termes strictement financiers.
Pour en savoir plus sur cette expérience, consulter D’un caducée à l’autre http://www.exmed.org/exmed/ecof.html et pages suivantes.
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