xxxDepuis les lointaines années pré-soixante-huitardes de mes études, j’ai toujours été frappé par le monde séparant le modèle médical idéal selon l’université et les réalités bien triviales de la médecine de tous les jours. Ici la recherche systématique des affections les plus rares domine. Et là, la confrontation quotidienne à des situations médicales dont la banalité ne mérite même pas l’attention des ténors hospitalo-universitaires chargés de l’enseignement médical et tout occupés à << la médecine de pointe >> qui est la leur.

xxx Le patient moyen, si tant est qu’existe cette fiction, quand il rencontre un jeune médecin se sent plutôt rassuré. Au moins, pense-t-il, il est au courant des toutes dernières découvertes de la médecine.
La façon dont les méthodes appliquées dans les services hospitaliers, très spécialisés, peuvent être applicables et appliquées à << son cas >> ne semblent pas du tout problématique au profane.
Du côté du jeune remplaçant, en particulier en médecine générale, c’est plutôt la panique à bord. Ce patient en face de lui n’a rien à voir, ou si peu, avec ceux qu’il a rencontré à l’hôpital. Il décrit des symptômes bizarres, parle de tonnes de choses intraduisibles en langage médical, fait des tas de demandes et pose des questions comme cela ne se fait pas dans les usines de soins où le carabin a appris son métier.
Quand on achète un appareil, il est devenu habituel que le fabricant vous demande quel est votre degré de satisfaction. Comment se fait-il que les médecins débutants, et en particulier les généralistes, ne soient pas régulièrement interrogés par les responsables de la formation médicale sur l’adéquation de leur bagage professionnel aux tâches qu’ils ont à assumer ? Un tout petit peu iconoclaste, mais tant pis. Et si l’on songeait un peu sérieusement à un service après-vente du côté de la médecine générale, pour rester dans le champ professionnel qui m’est le plus familier ? Car l’évolution de l’enseignement de la médecine au fil des siècles a toujours suivi le même chemin : celui du perfectionnement, souvent spectaculaire, des connaissances médicales. La simple hypothèse que cette progression n’aille pas mathématiquement dans le sens d’une amélioration des soins aux personnes malades, donc des besoins de formation de leurs médecins, ne parait pas franchement avoir retenu l’attention de nos grands esprits. Et pourtant !

xxxPourtant, le parachutage des médecins dans un métier dont ils ignorent pratiquement tout est lourd de multiples conséquences néfastes. La première est un rejet massif par les médecins installés de l’institution universitaire qui n’a pas su ou pu les préparer. Quelle crédibilité accorder alors aux enseignements post-universitaires ? La seconde est la nécessité pour chacun d’inventer sur le tas à partir de ses acquis et de sa culture sa pratique professionnelle. Comment s’étonner que fleurissent aussi facilement des cabinets où se pratiquent - en toute légalité - les soins les plus discutables tant scientifiquement qu’éthiquement ? Les << médecines autres >> ont le dos large. Repli sur soi-même, afin d’éviter tout regard extérieur sur la manière dont on pratique son métier grâce à ce qu’on a glané à droite et à gauche au fil des hasards et des rencontres après et en dehors de ses études. Reproduction stéréotypée de routines copiées sur des plus anciens, ou des plus malins pour s’assurer des fins de mois confortables, cela existe aussi. Prétendues formations expresses à des disciplines autoproclamées, la voie de commerces douteux autour de la santé est ainsi largement ouverte.
Une communauté médicale dans laquelle absolument rien, en dehors de l’obtention du doctorat en médecine, n’est commun. Est-ce sérieux, est-ce acceptable dans notre pays au XXIème siècle, est-ce une réalité qui puisse restaurer la conscience de ceux qui ont perdu de vue que nous exerçons l’un des plus beaux et des plus difficiles métiers du monde?
La question de la formation des généralistes est fort complexe. Peut-on même vraiment former de toutes pièces de tels professionnels tant les aspects humains, les qualités d’entrer en relation et de vivre harmonieusement au long cours avec ceux qu’on soigne sont prioritaires ? La recherche rigoureuse de critères de sélection des généralistes prenant en compte ces valeurs semblent toujours aussi peu à l’ordre du jour de nos responsables. Exercer avec succès, fierté et plaisir la médecine générale en cabinet est avant tout une affaire d’homme, bien avant d’être une question de technique et de science.
xxxxxQuand on insiste sur la nécessité d’évaluer le travail des médecins, la profession a tendance à voir rouge, en y voyant le risque d’une intrusion administrative ou politique imposant encore plus de nouvelles contraintes. Parce que, par méconnaissance de notre véritable identité, c’est ainsi que ne cessent d’agir nos responsables. On ne s’occupe pas de la qualité de la formation initiale des praticiens , des services rendus aux patients, ni même des contraintes de leur mode d’exercice, on impose. La qualité des soins fournis n’est jamais ni évaluée, ni prise en compte : seule compte la quantité. On impose des quotas, on impose des protocoles thérapeutiques, des recommandations médicales, des obligations médico-légales, on impose des contraintes fiscales et de gestion, on impose des mesures dites de santé publique. Tout cela est élaboré dans la plus grande discrétion dans de lointains bureaux.
Que cet univers normatif et exclusivement quantitatif, de plus en plus rigide, puisse porter atteinte à la compétence même des médecins généralistes, tout le monde en haut lieu s’en moque totalement.
Disons-le sans détour, des médecins qui ont perdu la fierté de leur métier, et la souplesse de décision indispensable à un exercice de qualité, ne peuvent être que de mauvais médecins. Et des gaspilleurs aveugles et irresponsables des ressources de l’assurance maladie. L’objectif des comptables est uniquement de réduire leur champ d’action.
Alors,et les utilisateurs, eux, que peuvent-ils souhaiter dans leur propre intérêt pour le jour où la maladie les atteint ? Qu’on mette enfin tout à plat, dès le départ, pour avoir et conserver les médecins le plus compétents possible, et tout au long de leur carrière médicale ? Et pourquoi pas, en ces temps de crise où tout est bon à étudier, bien au delà dans des fonctions non soignantes encore négligées?
C’est à eux de répondre, on ne peut pas être juge et partie.
NDLR : Cette lettre illustre l’article 1 de notre Charte d’Hippocrate. Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
NDLR : Cette lettre illustre l’article 1 de notre
CHARTE D'HIPPOCRATE . Lien
- 1°) Mon objectif prioritaire sera de rétablir et de préserver la santé physique et psychique des hommes sur le plan individuel et collectif .
Cet objectif prendra en compte le contexte de l’environnement professionnel tout en respectant celui du patient, et du vivant dans son ensemble.
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