xxxLorsque le jeune généraliste britannique Jenner, en 1796, inocule à un enfant de huit ans du pus prélevé sur la main d’une femme infectée par la variole de la vache ( cow-pox ), puis trois mois plus tard la véritable variole humaine, inventant ainsi la première vaccination ( dite alors jennerisation), sa méthode empirique ne s’embarrassait guère du principe de précaution.
xxxQue dirions-nous, de nos jours, si le professeur Chris Barnard, pionnier de la greffe cardiaque, renouvelait comme il le fit en 1967 après le décès de son premier patient, une deuxième tentative de greffe un mois plus tard, sans garantie de succès ? Nous crierions au scandale et brandirions le fameux principe de précaution.
Il n’existe pas de définition concrète de ce principe mais l’énoncé dans la loi Barnier concernant l’environnement est le suivant :
"l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable".
Le principe, officiellement entériné en 1992 dans la Convention de Rio, est inclus dans la Constitution française en 2005 par Jacques Chirac, et, depuis largement invoqué, au-delà des questions environnementales, jusque dans le domaine de la santé.
xxxA quoi sert-il donc, ce fameux principe ? Il vise à estimer le risque et le bénéfice d’événements, de nouveautés, sur l’environnement ou la santé des personnes, tendant vers l’objectif utopique du risque zéro, tout au moins le plus réduit possible. Ses avantages sont : premièrement de pousser les décideurs à évaluer et quantifier le risque, deuxièmement de rendre compte au public et d’informer la population en toute transparence.
En matière de santé, le médecin prend un risque avec chaque patient, celui de traiter ou ne pas traiter, d’intervenir ou ne pas intervenir. Dès lors que ce risque est présent, le praticien se trouve dans un dilemme délicat, qui induit soit une pléthore d’examens et donc de dépenses pour le réduire au maximum, ou bien qui conduit, à l’extrême, à une abstention totale, un immobilisme par crainte de poursuites judiciaires.
D’autres effets adverses, plus généraux, du principe de précaution sont développés à partir de trois exemples concrets.
1° Remise en question de l’intérêt général
Dans une société, le groupe est une entité dont l’intérêt, dit général, devient supérieur à la somme des intérêts individuels. Comment le principe de précaution remet-il ceci en cause ?
Récemment, une antenne de téléphonie a été démontée, par décision de justice confirmée en appel, au nom du principe de précaution, sous la pression d’associations. On voit bien là que l’angoisse générée par des groupes particuliers, alors même que le risque n’est qu’éventuel et que même les scientifiques divergent dans leurs conclusions, risque de priver, au nom du principe de précaution, les consommateurs d’un bien et d’une avancée technologique plébiscitée, améliorant la communication et permettant de sauver des vies dans des situations d’urgence ou de danger. Il est bien sûr que l’incertitude scientifique ne doit pas conduire au comportement inverse, dans lequel aucune mesure protectrice n’est entreprise. Il en a été ainsi dans les scandales du sang contaminé ou de l’amiante.
On voit dans notre exemple du démontage d’une antenne de téléphonie mobile que l’intérêt général se retrouve assujetti à un intérêt particulier, ne concernant qu’un groupe de personnes, s’estimant victimes, alors même que le risque est incertain. N’est-on pas enclin à suspecter finalement les décideurs et les juges d’opter pour des solutions qui les protègent de toute accusation de négligence, mais pas forcément justifiées ?
Il est important de se poser un certain nombre de questions avant d’appliquer à l’aveugle le principe de précaution, à savoir si le risque existe réellement, à qui l’activité mise en question profite, et à qui le risque potentiel revient réellement.
2°- Principe de précaution abusif par méconnaissance d’avantages éloignés de notre quotidien, de nos préoccupations.
On prendra comme exemple les OGM. Leurs avantages sont connus alors que leurs éventuels effets délétères sur la santé sont loin d’être formellement démontrés. Les OGM permettent une augmentation du rendement des exploitations agricoles, en même temps qu’une éradication de quelques maladies des céréales, alors qu’une bonne partie du globe, notamment l’Afrique, se meurt de faim. Ils favorisent une diminution de l’utilisation des pesticides et des fongicides, alors que dans certaines contrées ceux-ci sont manipulés par les paysans en dépit de toute précaution, et au mépris de leur santé. Ils diminuent le coût de l’alimentation. Les risques potentiels sur la santé humaine, mis en avant par des écologistes politiques, n’ont JAMAIS été démontrés. Évidemment, les bénéfices des OGM, peu perceptibles dans nos pays développés, paraissent éloignés de nos besoins, éloignés de nos soucis d’occidentaux bien nourris, bien équipés, ne souffrant pas de sous-alimentation, loin s’en faut. D’ailleurs la réglementation en matière d’OGM est exemplaire, et on devrait s’en inspirer dans d’autres domaines car elle prévoit :
- des séries d’évaluation, avant mise en culture, sur l’environnement et sur le risque sanitaire,
- une période complémentaire de surveillance continue et de suivi environnemental et sanitaire avec possibilité de retrait,
- et par dessus tout, une information des consommateurs par étiquetage des produits.
Justement, notre information ne devrait pas se limiter à la présence ou non d’OGM dans un produit, mais devrait porter plus généralement sur l’application salutaire des OGM, au-delà de nos oeillères de consommateurs égoïstes et bien-portants, au-delà des Cassandre écologistes entretenant un climat délétère de méfiance vis à vis de la science et qui se répand insidieusement dans les esprits .
3- Immobilisme et refus du progrès
Une jeune zone de recherche en plein essor est celle des nanotechnologies. Les applications concernent de nombreux domaines, outre celui du quotidien (consoles de jeux plus performantes, écrans haute-résolution, ordinateurs plus puissants, électroménager, domaine de l’optique…) , ou celui de l’environnement (fabrication de panneaux solaires plus solides, de revêtements anticorrosion, de catalyseurs chimiques, de stockage de l’énergie…), mentionnons celui de la santé, à travers les biocapteurs, les biomatériaux, les biopuces, les implants délivrant des médicaments « intelligents » de réparation cellulaire, en matière de cardiologie et de cancérologie.
Appliquer le principe de précaution dans les biotechnologies est illusoire, tant le domaine est vaste. On ne peut tester séparément dans chaque objet les nanoparticules présentes, mais on ne peut pas non plus bloquer un projet aussi prometteur sous prétexte du principe de précaution, qui se retournera alors contre cette recherche fondamentale s’il lui est imposé. Il faudra bien une concertation internationale, politique , scientifique et industrielle sur les moyens et les outils à développer, pour évaluer justement le risque au cas par cas. Il est nécessaire d’informer le public en toute transparence par un débat public, qui porterait plus utilement sur l’opportunité de l’application dans laquelle la nanoparticule est impliquée plutôt que sur la nanotechnologie elle-même.
Concluons par une citation de Bruno Latour, professeur au Cnam ( Conservatoire national des arts et métiers ) :
« Si nous n’y prenons pas garde, le principe de précaution, invention aussi utile que fragile, va se banaliser, au point de se confondre avec la simple prudence… Décider que l’on prend le risque n’interdit pas, bien au contraire, de multiplier les moyens de le mesurer . »
Travaillons à mesurer le risque avec justesse et justice, par des moyens suffisants et appropriés, avec, en perspective, le bénéfice pour l’humanité dans l’application d’une nouvelle invention, d’un nouveau produit, plutôt que brandir prématurément et abusivement d’emblée un principe de précaution, utile s’il n’est pas galvaudé, pour servir certains groupes d’intérêt ou certaines idéologies.
NDLR : Cette lettre illustre l’article 18 de notre
CHARTE D'HIPPOCRATE . Lien
-- 18°) Je conserverai en mémoire l'obligation de surtout ne pas nuire aux malades et les limites de ma compétence que constitue l'état actuel de la science.
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