EXMED.org Lire toutes les LEM
La Lettre d'Expression Médicale
Exmed.org

retour sommaire
 
 
 
 
 
 
 
 N° 638
 
 
      2 février 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
     Pour s'inscrire 
 
     
     les LEM 2009
     toutes les lem depuis 1997
 
xxx


La peur encore, partout et toujours

Photo auteur Docteur François-Marie Michaut , lui écrire

xxx  La peur est un mot proscrit au cours des études médicales, comme si cette émotion n’existait pas pour la médecine. Tout au plus évoque-t-on dans les cours, comme une tare, la pusillanimité, c’est à dire le manque de courage, de certains patients face à la douleur.
La peur ainsi mise à l’écart parmi les scories pouvant polluer l’objectivité nécessaire à un diagnostic rigoureux est pourtant au coeur même de toute rencontre médicale, de la plus banale à la plus dramatique.


retrouver la confiance

xxxPourtant le jeune étudiant, soudain plongé dans le monde inconnu de la mort qu’on doit voire en face, toucher et disséquer, de la maladie dont on découvre la description sans fard dans les cours et les livres, ne peut pas y échapper. Les vieilles peurs ancestrales de l’humanité, il doit trouver le moyen de les surmonter d’une façon ou d’une autre pour ne pas se sauver en courant. Le cynisme apparent, l’indifférence extérieure chers aux adolescents sont des parades habituelles qui ne font qu’intérioriser un peu plus cette peur dont on ne parle surtout pas. A qui et où pourrait-on le faire quand la seule obsession est de réussir à tout prix les examens et concours ?
La peur continue pourtant d’habiter le médecin en formation. Est-il capable de faire ce qui est attendu de lui par les patients, ou ceux qui le forment, s’il est confronté à des situations dont il n’a pas l’habitude, s’il se trompe dans un diagnostic, s’il prescrit un traitement inadapté ou dangereux ?, Que de choses se passent dans sa tête, qui continueront peu ou prou, et quel que soit son niveau de compétence et d’habitude, à le tarauder. De moins en moins, quand même, au fil du temps et de l’expérience clinique accumulée.
Quand un patient se décide à pousser la porte d’un cabinet médical, c’est parce qu’il a confiance dans les capacités du médecin de comprendre ce qui lui fait si peur : ce risque de maladie, de handicap, de souffrance et, bien entendu, de mort.

restaurer la conscience

xxxCette peur de quelque chose de grave est le premier symptôme de toute maladie. Il est capital, pour la qualité de la relation médicale ( donc, n’en déplaise à nos experts sur écran, pour son efficacité thérapeutique ) que le médecin ait toujours conscience de cette peur. Vouloir l’éliminer en en niant la réalité, y compris sous le couvert d’un humour caustique, ne conduit qu’à l’impression pour le malade de ne pas avoir été entendu, de ne pas avoir été compris, par le sentiment de ne pas avoir été pris au sérieux.
Laisser le malade l’exprimer, avec ses mots à lui, c’est respecter l’être humain qui est en lui, et s’en faire un allié et non un ennemi à convaincre de la supériorité du médecin. Que veut dire cette volonté d’avoir toujours le dernier mot, sinon qu’on n’est pas du tout certain de sa supériorité ?
Que le médecin ait peur lui-même au cours de la consultation, quoi de plus naturel. Son métier est de toujours envisager la possibilité du pire. Le reconnaître lucidement, sans avoir besoin de le formuler au patient, permet de ne pas avoir à utiliser des subterfuges techniques de temporisation ( examens complémentaires redondants, avis de spécialiste pour la forme, voir hospitalisation “ de prudence” ) pour gagner du temps. Ou pour diluer les responsabilités diagnostiques et thérapeutiques.
Ce n’est que dans un contexte relationnel aussi clair des deux côtés que peut se faire une réassurance solide. Rassurer le malade, c’est l’aider à lutter contre la seule peur qui existe vraiment : celle de l’inconnu. Déjà être deux à vivre ensemble cet inconnu, voilà qui change tout. La relation soignante n’est pas un leurre mais une réalité clinique (1).


renforcer la compétence

XXXAgiter le spectre de la peur est depuis toujours une des seules façons de contraindre les foules à accomplir ce qu’elles ne souhaitent pas faire. Ce n’est pas d’hier que datent les promesses de paradis et d’enfer après la mort ! Le médecin n’échappe pas à la tentation de vouloir manipuler ainsi ses patients pour les contraindre à suivre << la bonne voie >>. Certains y succombent. D’autres se rendent compte plus ou moins vite qu’en agissant ainsi, ils ne font que se disqualifier eux-mêmes, sans obtenir les changements durables de comportement qu’ils souhaitent obtenir en jouant les Père Fouettard.
Tout pouvoir, le médical comme les autres) sécrète obligatoirement un contre-pouvoir qui le contrebalance.
Quand on aborde la dimension collective de la santé et de la prévention des maladies, la peur distillée de façon adroite et répétée demeure encore omniprésente. On en arrive même à nous vendre des yaourts pour éviter les maladies de coeur sans qu’aucune autorité ne semble trouver cela grotesquement trompeur.
Pour tenter de se dédouaner auprès des foules de l’accusation d’agiter le grelot de la peur, nos politiques ont inventé le lénifiant << principe de précaution >>, dont les contre-performances commencent à nous sauter aux yeux (2).
La peur ne concerne jamais le présent - y compris dans les situations les plus extrêmes - mais toujours l’idée que nous faisons de ce qui se passera après dont nous ne connaissons rien (3). Il suffit d’avoir vu sa propre mort de très près pour avoir constaté le calme étonnant, confinant au détachement, qui nous habite.
Alors, peut-être que s’efforcer de vivre pleinement chaque instant quand il se présente et comme il se présente est le seul vaccin contre la peur, sans aucune toxicité ni coût économique prohibitif, dont nous pouvons disposer ?

XXX

Références:
(1) F-M Michaut, Cultivons notre soignitude LEM 554, 23 juin 2008
http://www.exmed.org/archives08/circu554.html
(2) C.Bour, Le principe de précaution, LEM 598 du 27 avril 2009
http://www.exmed.org/archives09/circu598.html
(3) F.Dencuff, Questions de musique, LEM 473 du 20 novembre 2006
http://www.exmed.org/archives/circu473.html

 


Cette lettre illustre l’article 17 de notre Charte d’Hippocrate.
Lien : http://www.exmed.org/archives08/circu532.html repris ci-dessous :
- 17 °) Je participerai à la transmission des connaissances et des savoirs acquis.


Os court : << C’est étrange comme on a peur de quelque chose parce qu’on nous a préparés à avoir peur.>>
Ngugi, écrivain kenyan né en 1938


Recherche sur le site Exmed.org par mot clé :

______________________

Lire la LEM 637  Le mannequin, la nudité et la maladie - Cécile Bour

Lire la LEM 636
 Les archées attendent leur Pasteur - François-Marie Michaut

Lire la LEM 635
Au royaume du Fast thinking - François-Marie Michaut

Lire la LEM 634
Après l'année de toutes les fractures - François-Marie Michaut

Lire la LEM 633 Contenons-nous, conte 2010 - Jacques Grieu