Evoquer la notion de confiance fait de vous la cible des quolibets de tous les malins à qui on ne la fait plus. De ceux qui affirment, une main sur le coeur, et l'autre serrée sur la crosse de leur pistolet , que la vie est un combat, et que tous les autres sont des adversaires à vaincre par la ruse, par la dérision ou par la violence. Vous savez, ceux, peu intéressés par l'éthologie, qui croient dur comme fer, et au premier degré, que l'homme est un loup pour l'homme.
De récentes affaires dans des entreprises nationales de tout premier plan ont révélé à quel point, et avec les conséquences dramatiques que l'on sait pour la santé de leurs employés, cette vision guerrière des relations dans le monde du travail est considérée en France comme un dogme.
Plus encore, les syndicats se battent comme ils le peuvent pour faire reconnaitre la pénibilité de nombreux postes de travail.
Lutte, violence, exploitation. Quelle lugubre image nous faisons-nous de ce monde du travail auquel nous consacrons la plus grande partie de notre existence adulte !
Méfiance comme maître-mot et règle de conduite, j'en ai ici même souligné le caractère destructeur pour les professionnels du soin ( Le prix du mépris LEM 664 du 2 août 2010 ).
C'est du royaume du Danemark, le même que celui qu'Hamlet soupçonnait de quelque chose de pourri, mais qu'il serait injuste de juger comme lui, que nous vient une lueur précieuse. Oui, chère à ceux qui affichent à contre courant, sans se lasser, à la suite de Jacques Blais le visionnaire (1), l'importance de retrouver la confiance.
De quoi s'agit-il ? Très simplement, quand on demande aux gens d'une région du sud de ce pays européen : << Pensez-vous que les personnes de votre entourage prêtent généralement les choses en toute confiance ou pas ? >> la réponse obtenue est largement majoritaire. Plus de la moitié de la population a participé à une association, et ils ont presque tous voté à un scrutin électoral. Des citoyens à qui on fait a priori confiance, mais quel intérêt, autre que celui de faire rêver quelques idéalistes à un monde angélique, cela peut-il présenter ? Gert Tinggaard Svenden qui enseigne les sciences politiques à l'université d'Arhus y voit un avantage évident pour les familles comme pour les entreprises industrielles ou commerciales ( article de Claus Worup, dans le journal Jyllands-Posten de Copenhague, repris par Courrier international n° 1039 du 30 septembre au 6 octobre 2010 ).
Accorder sa confiance à des gens qui chercheront à en abuser et vous/nous tromperont, le risque est évident. Il a même été évalué par ces théoriciens nordiques de la confiance. Cela arriverait une fois sur vingt, ou dans 5% des situations de la vie courante si vous préférez. Il s'agit là d'une proportion qui ne surprend pas du tout un médecin clinicien dont l'approche thérapeutique repose toujours sur la confiance réciproque qu'il est bien obligé d'accorder a priori aux personnes qui font appel à ses services.
Résumons donc la situation dans les rapports humains ordinaires, probablement pas fondamentalement différents dans les autres pays du monde : un tricheur pour dix neuf non tricheurs.
Une fois que l'on a intégré cette réalité qui n'est ni belle ni laide par elle-même, mais qui est simplement humaine, à quelques variantes locales et temporelles près, de cette confiance qu'en fait-on ?
Les danois n'hésitent pas à y voir << un capital social >>, et une ressource de premier plan pour l'économie et le bien-être de chacun. Ce bel optimisme mérite une explication.
Le temps et l'énergie dépensés pour éviter à titre préventif les agissements des << tricheurs >> constituent un véritable gouffre financier pour les entreprises. En tout cas sans commune mesure avec les nuisances des 5% de salariés qui ne font pas bien leur travail. Promouvoir ce << capital social >> bouleverse totalement l'esprit régnant dans les entreprises, la productivité pouvant ainsi progresser naturellement de 20 à 25% selon les experts. Impressionnant, non ?
Lorsque ce climat général de confiance est mis en place, selon Tage Søndergard Kristensen ( centre national de recherche sur l'environnement du travail ), les bénéfices sont évidents : les actionnaires voient leur dividende quasiment doubler, et l'absentéisme pour cause de maladie chuter de moitié.
Puissent ceux qui ne font qu'augmenter en permanence les systèmes de contrôles et de vérifications dans notre système de soins ( comme ailleurs ) se pencher de près sur ces travaux danois.
Plus de neuf personnes sur dix, professionnels ou usagers, sont soumises pour rien à des procédures destinées ( et en vain, nous le voyons chaque jour ) à freiner les quelques pour cent inévitables de profiteurs malhonnêtes.
Et, en renforçant sans cesse ce climat général de suspicion, parce qu'il se révèle jamais suffisant pour corriger ce qui ne va pas, c'est le plaisir et la fierté de faire les plus beaux et parmi les plus utiles métiers de nos sociétés qu'on tue définitivement. Enfin, ces jeunes gens qui ne veulent plus devenir médecins ou infirmiers quand ils constatent la façon dont sont traités leurs devanciers, ce n'est pas un symptôme mineur d'un petit bleu à l'âme, c'est un refus franc et massif d'un certain type de << management humain >> fondé sur la méfiance a priori systématique.
Alors, messieurs les dirigeants, faute de sentiments humains ou de préoccupation éthique, sortez simplement vos calculettes et comptez - comme vous savez si bien le faire - tout l'argent que vous nous feriez économiser en faisant la promotion intelligente de la confiance envers les citoyens dans le domaine de la santé qui est ici le notre.
Cessez donc de vouloir nous imposer << pour notre bien >> comme si nous étions incapables d'en décider, toutes vos lubies, nous ne voulons pas du bonheur bien pensant standard que vous concoctez et décidez à notre place. Ce n'est pas votre rôle, et vos échecs réguliers le démontrent depuis tant d'années à nos yeux de professionnels.
Ce qui vous laisserait encore, et enfin, les mains totalement libres pour faire votre travail qui est d'épingler comme ils le méritent, et sans ménagement, les tricheurs et les profiteurs du concept généreux de solidarité collective devant les ennuis de santé des individus.
L'exemple remarquable des danois pour cette véritable culture de la confiance, bien confortée par ses retombées en termes financiers, comme dans le domaine de la qualité de la vie pour tous, trouve un écho dans ce qui s'affiche sans se lasser dans les intertitres de cette lettre hebdomadaire.
-Retrouver la confiance ? Et bien nous voici avec une motivation bien terre à terre et chiffrable à merci qui ne devrait logiquement laisser personne indifférent ou hostile. Tout faire pour que les gens qui ont pour métier de soigner les autres retrouvent cette confiance d'abord envers eux-mêmes et entre eux pour, enfin, vraiment collaborer au service du patient, puis de tous les citoyens avec, en tête, leurs gouvernants, voilà un objectif concret.
-Restaurer la conscience en devient alors une conséquence.
Oui, dans un tel climat psychologique, faire son métier avec conscience, c'est lui redonner toute la valeur qu'il mérite. Mettre du coeur à l'ouvrage, le vieil amour ancien de la belle ouvrage mais c'est du plaisir ! Avoir conscience qu'accéder aux soins de santé, bien plus qu'un droit à la santé théorique, est un privilège dans le monde actuel qu'il ne faut pas gaspiller.
-Renforcer la compétence est alors une obligation personnelle qui coule de source. L'homme de métier consciencieux, tout comme l'artiste véritable ou l'intellectuel digne de ce nom, est en quête permanente d'amélioration de ses compétences et de remise en question de ses connaissances, et il y trouve sa joie et sa raison d'être. Il suffit juste de ne pas l'en détourner.
Notre classique<< Primum, non nocere >> médical peut se dire alors pour une société du XXIème siècle : avant tout ne jamais tuer la confiance
(1) En savoir un peu plus sur le docteur Jacques Blais
http://www.exmed.org/exmed/and.html
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