On dit qu'on se ressemble, qu'on a des goûts communs,
C'est sans doute pour cela qu'Etienne est mon copain.
Tous deux comme un seul homme, curieuse concomitance,
Nous sommes obnubilés par les coïncidences.
Nous en trouvons partout, en relevons dans chaque phrase,
Nous sentons envahis comme par des métastases.
Il nous en pleut chaque jour un lot impressionnant
Qui du réel nous donne un tableau déroutant.
Nous avons la même taille, le même poids, le même âge :
N'y aurait-il pas là, une magie, un message ?
On se pose des questions comme une litanie,
Et l'absence de réponse nous donne des insomnies :
Pourquoi les champignons que la pluie nous produit,
Ont-ils toujours la forme de divers parapluies ?
Pourquoi est-ce à chaque fois sur mes plus vieilles photos,
Que j'ai l'air tout gaillard et des airs de jeunot ?
Pourquoi les hommes cocus et quels que soient leurs âges,
Epousent-ils sans un doute les femmes les plus volages ?
Les chaines du mariage sont-elles si pesantes,
Qu'il faut être souvent trois pour que l'on s'en contente ?
Pourquoi mes vieilles fatigues paraissent-elles moins intenses
La veille des jours fériés ou avant des vacances ?
Mélangerais-je les causes avec leurs effets ?
Les trèfles à quatre feuilles et le marc de café ?
Pourquoi moins facilement les banques prêtent-elles à ceux,
Dont les besoins réels sont les plus impérieux ?
A gagner encore plus, les plus riches perdent un temps
Dont ils ont tant besoin pour dépenser l'argent.
C'est au moment précis où on loue leur profil
Que les femmes tournent la tête : coïncidence subtile ?
Ce sont les mêmes sans doute qui disent qu'on va trop loin
Dès qu'on les serre de près par égarement soudain.
Pourquoi est-ce en temps de guerre et surtout dans l'armée,
Que la mortalité est la plus affirmée ?
Etienne est fort troublé : hasards, coïncidences ?
Quel est le sens caché de toutes ces occurrences ?
Est-ce juste pour les femmes, est-ce uniquement pour elles,
Que l'organe du cerveau se nomme la cervelle ?
Par quel heureux hasard est-ce au pays des pommes,
Qu'on boit le plus de cidre plutôt que vin ou rhum ?
Si c'est à l'hôpital que les gens meurent le plus,
Pourquoi y entrent-ils dès le moindre virus ?
Lorsque je suis patraque, pourquoi suis-je si bien,
Dès qu'en consultation, j'ai pu voir mon médecin ?
Les belles coïncidences sont aux superstitions
Ce que les grands miracles sont pour les religions.
Comme les concomitances sont à nos certitudes,
Ce que les fanatismes sont aux fois les plus prudes.
Si les surprises, j'adore, le hasard, je l'abhorre.
Fatalités ou chances, je les mets toutes d'accord.
La cuisine du destin, brouet des astrologues,
Ou le vilain potage des fous numérologues,
Ne sont que fariboles. Qu'ils soient astres ou chiffres,
Ce sont superstitions dont ma poubelle s'empiffre.
Je les récuse, les hais, et tous les abomine ;
Je suis un rationnel, la science est ma doctrine.
Farouche déterministe, je crois ce que je vois.
Mais des coïncidences, je crois en voir cent fois !
Petites concomitances ? demande Etienne, narquois;
Je ne sais que répondre et en reste souvent coi.
Certains soutiennent très fort qu'elles n'existeraient pas.
D'autres qu'elles sont partout, expliquent tout, chaque cas.
Ce qui est peu probable le devient totalement
Pour peu que des grands nombres on considère le camp.
Coïncidence encore si notre chère Sécu,
Qui de Sécurité revendique les vertus,
Cultive les plus dangereux des déficits chroniques ?
Il n'y a donc qu'Etienne pour trouver fort comique
Que ce soit vous et moi qui doivent la protéger
Lorsqu'elle crie au secours et risque de se noyer ?
Quand passé et avenir viennent à coïncider,
N'est-ce pas dans le présent qu'ils nous font aborder ?
Si Hitler, aux Beaux Arts avait été reçu,
Quand il avait vingt ans, que serait devenu
Notre Europe et le monde ? Le jour même du concours,
Avait-il trop mangé, rompu un grand amour ?
Ou l'examinateur peut-être était distrait,
Souffrait de la prostate ou préférait l'abstrait :
Plusieurs millions de morts doivent bien se demander
Si c'est le sort ou Dieu qui en a décidé !
Le matin du D-day, la météo anglaise ,
Pessimiste, prévoyait une mer bien plus mauvaise
Qu'elle ne fut réellement. Qui avait joué aux dés ?
Le hasard ou la chance ? Ou bien Ike , inspiré ?
Si plaisirs et morale coïncident rarement,
Ceux qui parlent du destin s'en excusent aisément.
Ces choses-là sont rudes avait dit un grand homme,
Qui faisait des études pour peser qui nous sommes.
Chances et coïncidences gouvernent-elles l'univers ?
Etienne ne comprend plus, il perd tous ses repères.
La seule vraie religion est-elle du Dieu Hasard ?
L'œil était dans la tombe et regardait … nulle part !
Avatars, aléas ? Est-ce la faute à pas de chance,
Si certaines catastrophes ont tellement de fréquence ?
Quand nos heurs et malheurs seront mieux répartis,
Toutes les coïncidences je jetterai aux orties.
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