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Le grand jeu traditionnel des bilans de fin d'année est aussi horriblement ennuyeux, qu'il est remarquablement inutile. Rien du passé, même récent, ne nous sert vraiment de leçon pour conduire notre vie. Pour quelle raison ? Sommes-nous tellement amnésiques que nous serions incapable de garder le souvenir de ce qui vient d'arriver ? Aucune raison de le croire.
Il nous a toujours été appris,et l'école en a été le principal amplificateur, la même et unique façon de raisonner. Quand quelque chose ne marche pas dans notre vie, comme par exemple quand survient une maladie ou une catastrophe dite naturelle, la seule méthode reconnue et recommandée est de se livrer à une analyse de la situation. L'origine savante du mot analyse ne doit pas cacher qu'il signifie simplement la décomposition, ou si vous préférez la fragmentation, des différents éléments reconnus comme des parties de cette réalité. Comme des mécaniciens nous démontons toutes les pièces d'un moteur à la recherche de celle qui est défaillante et qu'il suffit de remplacer.
Notre vieil ami Descartes, qui doit souvent se retourner dans sa tombe en humant toutes les sauces auxquelles il est mêlé bien à son corps défendant, nous l'avait bien dit. Si tu rencontres un problème compliqué, tu le découpes en autant de morceaux que tu peux, puis tu réponds ( méthodiquement s'il te plait pour ne pas me froisser) point par point aux difficultés qui se présentent. Nous voici sur un terrain qui a été particulièrement fertile, et a permis à toutes nos connaissances, dont les médicales n'ont pas été les moindres, d'avancer à pas de géant. Dans le domaine des sciences du vivant, pour ne pas trop nous éloigner de notre sphère exmédienne, nous sommes allés de plus en plus vers l'infiniment petit, jusqu'aux limites permises par nos moyens techniques d'investigation. Nous n'avons pas cessé de diviser, nous avons ramifié de façon de plus en plus complexe l'arborescence de nos disciplines, au risque de ne plus pouvoir passer du langage de l'une aux subtilités de l'autre. Comme si nous ne parlions plus la même langue, que nous ne soyons plus soumis exactement aux mêmes lois, toute tentative de synthèse de ce que nous savons du vivant devient impossible.
Dans des sciences plus «dures», astrophysique en tête, des tentatives pour découvrir une sorte de, je ne sais pas comment écrire autrement, dénominateur commun à notre vision du monde demeurent toutes aussi vaines. Quelque chose nous échappe toujours.
En médecine, la vérité oblige à dire nous ne faisons plus depuis trente ans aucune grande découverte comme celles qui ont émaillé les trois siècles précédant le notre. Nous ne faisons que mettre en application les possibilités, souvent époustouflantes, ouvertes par les nouvelles techniques. Mais la machine à découvrir est résolument en panne. L'industrie pharmaceutique elle-même, même si elle ne s'en vante guère, est en grande difficulté d'avenir tant deviennent rares, et ruineuses à exploiter, de nouvelles molécules.
C'est comme si la méthode cartésienne, telle du moins que nous l'avons exploitée, nous avait amené à creuser une énorme trou, tant vers l'infiniment petit que vers l'infiniment grand. Gigantesque filon, mais, qui, comme absolument tous ceux que nous connaissons dans nos mines d'or, de cuivre ou d'uranium a atteint ses limites exploitables.
La science, telle que nous la pratiquons, est-elle donc achevée ?
Certainement pas diront certains, car il y a encore vraiment beaucoup à découvrir dans les quantités de gravas que notre course forcenée a laissés au bord de son chemin sans les exploiter. Elle est à bout de souffle prétendront d'autres esprits. Dans le domaine médical, les deux derniers siècles avaient été obsédés par la recherche d'un système explicatif global de toutes nos maladies. Il suffit de relire de vieux manuels de pathologie des années 1930 pour voir que nos prédecesseurs reliaient pratiquement toutes les pathologies, aussi bien médicales que chirugicales à la tuberculose et à la syphilis. La recherche d'une telle synthèse générale est devenue absolument impensable, ce qui rend impossible à quelque esprit que ce soit d'avoir une pensée globale de l'homme malade.
Les écologistes font beaucoup de bruit, et parfois rendent inaudible leur message central. Nous n'avons qu'une terre, et elle est fragile. Nos activités de prédateurs, si nous les poursuivons sur le même rythme, risquent de la rendre inhabitable. L'espèce vivante la plus vulnérable, et de loin, il suffit de voir la paralysie de notre pays avec quelques centimètres de neige de saison, étant la notre, nous sommes en train de nous suicider. Tout le monde en a pris clairement conscience.
Ce que les scientifiques et les écologistes ne parviennent pas à dire clairement, c'est que notre façon de penser le monde dans lequel nous vivons n'est plus adaptée au XXIème siècle. Nous continuons à nous épuiser dans une causalité linéaire à courte vue et à horizon fermé qui referme chaque problème sur lui-même sans pouvoir le régler. Par exemple la présence des ours dans les Pyrénées. Nous sommes toujours, regardez donc les médias, écoutez nos dirigeants, ouvrez vos oreilles dans les lieux publics, à la recherche de quelque responsable dont la traque et l'élimination nous conduirait à une vie sereine.
Alors, puisque cette causalité linéaire nous a conduit droit dans le mur, nous n'avons plus de choix. Il faut en adopter une autre. Elle existe, même si c'est, dans le domaine scientifique, de façon confidentielle depuis qu'elle a pris sa naissance autour des sciences cybernétiques juste avant les prémices de l'Internet.
C'est en termes de causalité circulaire, c'est à dire de système dont chaque élément constituant modifie les autres et est modifié par eux comme dans un cycle, qu'il nous faut apprendre à observer le monde autour de nous. Cessons d'affirmer que le réchauffement de la planète est du aux activités humaines polluantes. Donc, si la pollution diminue, la planète cessera de prendre trop chaud. Cessons de considérer que tout problème dans le monde n'est finalement qu'une question d'argent.
Raisonnement le plus courant en terme de causalité linéaire.
La réalité n'est-elle pas plus proche de : selon les mesures faites, et les calculs de probabilité établis d'après des modèles mathématiques établis par des experts faillibles, la terre au fonctionnement cyclique est en phase de réchauffement dont on ignore la durée et l'amplitude. Comme les hommes contribuent de plus en plus, dans une mesure connue, à l'élévation de la température de l'atmosphère, la conjonction des deux réalités constitue une menace pour le futur de notre système terre. Nous ne possédons de levier d'action que sur les quantités de chaleur que nous produisons. Quelle direction choisissons-nous alors de suivre ?
C'est cela, tout simplement, un raisonnement systémique : tenir le plus grand compte de tous les systèmes dans lesquels nos vies sont des parties prenantes. Et pour cela, ne pas tomber dans le piège facile des explications simplistes en noir et blanc.
Nous sommes parvenus à une véritable impasse de la connaissance, en particuiier dans le domaine de la médecine, comme il arrive au jeu d'échec quand toutes les combinaisons possibles ont été tentées. Notre fuite dans le toujours plus de technique, de faire pour faire, fait encore et toujours illusion, mais ses effets nocifs sautent de plus en plus aux yeux.
Voilà pourquoi, quelles que soient les résistances des esprits (et elles sont gigantesques), il est inévitable que se développe un jour une façon complémentaire, et beaucoup plus large, de comprendre les situations pathologiques dont je me suis permis de jeter, sans succès, les premiers prémices sous le nom encore inconnu ailleurs, selon le moteur Google, de systémique médicale(1).
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