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Dès que quelque chose ne va pas dans le fonctionnement de notre précieuse petite personne, comme mu par un mécanisme à la Pavlov, tel un diable qui sort de sa boîte, l'image du médicament, supposé salvateur, nous est imposée par tous nos canaux d'information. Comment on fait disparaitre une maladie petite ou grande qui vient nous gâcher la vie ? Mais, quelle question stupide pour notre modernité surinformée : en prenant un médicament.
Equation aussi répandue, retour involontaire à un sens premier désuet, que médecine égale médicament. Un véritable message subliminal nous inonde. Cela mérite bien un petit arrêt sur image.
Il est curieux pour un médecin généraliste retraité de rentrer dans une pharmacie. Un énorme rayonnage tapisse les murs de l'officine proposant aux visiteurs une panoplie de médicaments, rangés comme il se doit sous des étiquettes indicatives du genre : sommeil, digestion, circulation, vitamines, nutrition etc... Il s'agit de produits dits grand public, ne nécessitant pas de prescription médicale et ne faisant l'objet d'aucun remboursement de la part de l'assurance maladie. Une sorte de self service, en quelque sorte. Presque tous ces médicaments maintenant en vente ( et marge bénéficiaire) libre étaient naguère prescrits uniquement par les médecins. Nous ne nous faisions guère d'illusion sur l'activité pharmacologique de ces médications, mais elles nous ont rendu le plus grand service pour soigner nos malades, et, en particulier les malades chroniques. Sans trop de danger, les petites pilules prescrites par le médecin en qui on avait mis sa confiance, et avec qui on avait une relation solide, étaient porteuses de cette énergie énorme, et qui défrise tellement les industriels du médicament, qui se nomme l'effet placebo. L'oeil du médecin d'antan s'étonne de la distribution larga manu de molécules qui peuvent avoir de redoutables effets secondaires ( toxicité hépatique redoutable d'un célèbre anti douleur ) ou camoufler des symptômes (anti acides) retardant des investigations cliniques poussées pour diagnostiquer sans tarder une pathologie grave.

La multiplication récente de spots publicitaires pour des médicaments ancre dans l'esprit du public l'idée qu'il s'agit là de produits de consommation absolument comme les autres. Et donc qu'il est normal et bon d'en bouloter en toute occasion. Extraordinaire opération de lobbying de l'industrie pharmaceutique d'avoir fait passer discrètement à la trappe l'interdiction par la loi de toute publicité auprès du grand public. Dont il n'est pas inutile de rappeler qu'elle cherchait à protéger la nation des dangers du charlatanisme.
Les soignants, médecins en tête, auraient du manifester haut et fort leur indignation. Ce n'est pas une question de protectionnisme corporatiste. Infiniment plus grave pour les malades, c'est l'idée rampante que, finalement, notre société pourrait bien faire l'économie des gens qui soignent. Quelques bons robots à distance, et pratiquement plus besoin de chirurgiens. Quelques logiciels adroits, et, hop, plus besoin de médecin pour établir un diagnostic et prescrire un traitement, ou orienter vers un spécialiste.
Il est capital que les soignants conservent pleinement à l'esprit, même s'ils sont placés au mieux pour en percevoir les imperfections et les limites, que le rêve du tout-automatique réalisé dans l'industrie automobile est dans la tête des responsables de la santé. Très aiguillonnés par les appétits industriels, comme le met au jour l'affaire exemplaire du médiator. Médit à tort ? Nous le saurons vite.
Le manque de réaction des institutions devant cette horreur technologique, portée au rouge par des pouvoirs financiers sans frontières qui en tirent les ficelles, fait que le public ne prend pas conscience de la façon totalement inhumaine dont on le traite un peu plus chaque jour. Oui, il s'agit de traite moderne, comme nous avons eu il y a deux siècles la traite des nègres. Nouvelle forme de totalitarisme avez vous dit ?

Exagération d'un esprit ronchon ? Une des amies psychologues d'Exmed nous a judicieusement alertés à propos d'une annonce relevée dans le quotidien Libération du 11 janvier 2011. Sans que soit mentionnée aucune source permettant d'en localiser la provenance, les lecteurs de 18 à 65 ans se sentant «tristes, fatigués, déprimés», prenant ou non un traitement ( actif comme inactif) sont interpellés. S'ils téléphonent à tel numéro (gratuit et anonyme), ils pourront être conviés à participer à « notre recherche clinique en vue d'une prise en charge thérapeutique». Le tout couronné de la promesse miracle : «Participez pour que la dépression ne nous résiste plus».
Comment un journal de bonne notoriété peut-il se faire la courroie de transmission d'une proposition aussi douteuse ? Comment des organismes comme le vieux bureau interprofessionnel de la vérification de la publicité (BIVP) peuvent-ils rester muets ? Comment les institutions chargées de faire respecter les règles de déontologie protectrices des personnes contre les abus de pouvoir, Ordre des médecins en tête, peuvent-elles laisser faire cette instrumentalisation d'un mal être laissant croire que la seule solution est médicamenteuse. Médica menteuse serait-il plus exact d'entendre.
Pourquoi les soignants ne grimpent-t-ils pas aux rideaux en martelant fermement leur credo fondateur ? La dimension psychologique est un constituant incontournable de toute manifestation touchant l'humain, et encore plus quand il est confronté à quelque chose qui ne va pas en lui, et, ou, autour de lui.
Ce qui veut dire que, les professionnels des méthodes psychologiques le prouvent en permanence, la présence humaine et la parole ne sont pas qu'un simple baume pour être gentil avec les malades. La parole verbale et non verbale, quand elle est manipulée par des professionnels sérieusement formés et donc de haute compétence, demeure, et de loin, le plus important des médicaments tant que la maladie n'a pas gagné trop de terrain dans notre corps. Balint, toujours lui, le martèle depuis 70 ans : le principal médicament, c'est le médecin lui-même.
Le public doit le savoir pour ne pas se laisser séduire par tous ceux qui promettent le bonheur par les médicaments pris comme des bonbons, ou, promesse plus folle encore, la santé optimale par des dispositifs supprimant l'intervention- toujours indispensable- des humains pour soigner comme il se doit les humains.
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