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Le quotidien Sud-Ouest du 17 mars 2011 n'y va pas avec le dos de la cuiller, avec son titre phare de première page. «Angoisse planétaire». Mazette, voilà qui ne peut laisser sans voix un citoyen qui a consacré sa vie à faire en sorte que les autres vivent le moins mal possible quand leur tombent sur la tête les pépins de la vie.
Comme dans une sorte «d'épidémie planétaire» les habitants de notre bonne vieille terre collectionnent depuis quelques mois des catastrophes collectives majeures. Retenons simplement le séisme d'Haïti du 12 janvier 2010, la marée noire du Golfe du Mexique le 3 août de la même année, les révoltes populaires du Maghreb et du Moyen Orient de janvier et février 2011, et enfin les conséquences du terrible tremblement de terre du Japon que nous vivons en ce moment.
Bien entendu, l'accumulation de ces catastrophes peut sembler un simple hasard, chacune d'elle trouvant le plus souvent, et grâce à l'apport précieux des différentes sciences une explication permettant d'en comprendre la cause.
Ici, il est souvent question de raisonnement systémique. Les mathématiciens devant un certain nombre de points sans ordre apparent parlent de chercher un centre géométrique. Tentons donc de nous lancer à la recherche d'un point de vue qui permettrait de percevoir d'un seul regard toutes ces situations dramatiques.
Osons rapprocher un instant des évènements naturels comme les mouvements destructeurs du magma pâteux ( manteau) sur lequel flotte par morceaux en mouvement la mince couche de notre écorce terrestre ( 30 à 65 km), et ceux qui sont la conséquence de l'activité humaine (industries du pétrole, du médicament, du nucléaire, de l'agro-alimentaire, systèmes de gouvernement, systèmes de gestion du domaine économique et financier).
Les graves problèmes qui nous tombent dessus ne sont pas liés à une vengeance particulière d'une nature qui se déchaînerait contre nous.
Aveuglés par un excès de confiance en notre capacité de dominer les forces naturelles, nous nous sommes caché la tête dans le sable. Notre technoscience conquérante a pris de plus en plus de risques, anesthésiée par la fascination de tous les modèles théoriques censés nous permettre de tout prévoir. Il est extraordinaire que ce soit le pays qui a subi la seule utilisation nucléaire qu'ait connu l'histoire humaine qui doive faire face au plus grave accident lié à l'utilisation de l'énergie atomique.
Excès de confiance de la troisième puissance économique du globe dans les promesses d'une marche infinie vers de plus en plus de richesse matérielle, comme objectif suprême d'une société ?
Le temps des réactions émotives passera vite, telle est l'âme humaine.
Viendra obligatoirement le temps des remises en question de ce que nous avons fait de notre vie et de ce vers quoi nous allons si nous ne sommes pas capables de faire les révisions qui s'imposent.
Restaurer la conscience est un voeu, renouvelé comme une incantation rituelle, dans chacune de nos lettres hebdomadaires. Aujourd'hui, elle prend une coloration bien particulière en s'élargissant bien au delà des simples questions liées à notre santé personnelle ou collective. Quelle est donc cette conscience humaine qu'il nous faut restaurer comme si nous en avions perdu même le souvenir ? Si restauration il doit y avoir, c'est quand même bien parce qu'il y a eu perte. Qu'avons nous tenu pour tellement négligeable que sa raréfaction ne fasse vraiment pas vibrer les foules ?
Avec ce site, au risque accepté de nous marginaliser par rapport à la mode culturelle ambiante, nous avons tenté, sans être vraiment suivis, de faire passer l'idée que c'est l'humain, et seulement l'humain, qui doit être l'objet de tous nos soins tant il est chaque jour menacé. Menacé par nos propres créations. Il est inutile d'en faire un inventaire tant la liste est éloquente.
Conscience que chacun de nous est un système dont la médecine nous a révélé l'incroyable complexité, et, bien que ces mots ne soient pas vraiment médicaux, la beauté et l'harmonie. Des atomes constituant la molécule d'ADN à ce cerveau dont, malgré nos moyens d'études perfectionnés et les efforts des neurosciences, nous sommes incapables de savoir quelles peuvent bien être les fonctions des neuf dixièmes de sa substance constituante.
Conscience que nous sommes un minuscule rouage d'un monde planétaire que nous avons le pouvoir de détruire par notre soif d'action sans réflexion sur les conséquences de nos actes.
Conscience enfin d'un manque devenu dramatique pour nous qui cherchons à obtenir le meilleur de ce que nous pouvons faire. Ce manque me fait songer, toute disproportion gardée, à celui qui aurait fait l'acquisition d'une machine incroyablement complexe sans que soit livré, en même temps, l'indispensable manuel de l'utilisateur.
Sur quoi se fonde notre société mondialisée pour orienter ses actions ?
Sur la théorie de l'évolution de Darwin, revisitée par le britannique Julian Huxley ( frère d'Aldous, l'auteur du célèbre « Le meilleur des mondes») en 1942. Tout ce qui se passe dans le monde est la conséquence directe de la suprématie acquise par un monde des sciences ( des plus dures aux plus molles) jusqu'à ce jour incapable de déterminer s'il existe ou non un plan d'ensemble de l'univers que nous connaissons. Hasard ou nécessité se demandait déjà le prix Nobel de médecine Jacques Monod.
La précipitation dans l'action, le faire pour faire, le faire parce qu'on peut le faire, le faire sans tenir compte de l'impact de ce que nous faisons sur la vie des autres : tel est ce dont nous commençons à mesurer les conséquences destructrices.
Alors, renforcer sa compétence personnelle dans un tel contexte, cela passe par le rejet de toute obéissance à un ordre dont il est impossible d'évaluer les retombées dans la réalité.
Renforcer la compétence, c'est ne jamais cesser de creuser ses connaissances, sans se laisser enfermer dans les barrières d'une discipline ou d'un mode de pensée. C'est ne jamais renoncer à poser des questions.
- C'est ne jamais être persuadé, dans quelque domaine que ce soit, qu'on a la réponse définitive.
- C'est ne pas avoir peur de fouiller des domaines de connaissance rejetés ou négligés, sous prétexte - jamais vérifié mais toujours intéressé - que c'est «dépassé». Et si nous avions un jour de notre histoire humaine jeté le bébé avec l'eau du bain de la modernité ?
Renforcer sa compétence, c'est avoir l'idée très simple que l'humain est un être encore incomplet, pas encore terminé ( ce qui ne peut pas choquer les néodarwiniens). Et notre boulot à tous est de travailler, selon nos moyens, à l'achèvement de cet étrange bipède que tous nos savants, dans une exceptionnelle unanimité, ont situé au plus haut sommet du règne du vivant.
Des systèmes dans des systèmes, à la façon de poupées russes, nous le concevons. Des systèmes obéissant au même schéma d'organisation, des atomes aux galaxies, c'est une évidence pour les curieux.
Alors, la vieille question qui agite l'humanité depuis toujours resurgit quand on la pensait «dépassée» par le triomphe depuis 150 ans de la technoscience.
Y-a-t-il un système des systèmes ?
Question de foi dites-vous ?
André Malraux, qui se déclarait sans ambiguité athée (1), a dit à Pierre Desgraupes dans Le Point du 10 novembre 1975 : «Je n'exclus pas la possibilité d'un évènement spirituel à l'échelle planétaire».
(1) L'écrivain André Malraux n'a jamais écrit la phrase qu'on lui prête : « Le XXIème siècle sera religieux ou il ne sera pas ».
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