Si par hasard, si par hasard, su' l' Pont des Arts,
Su' l' Pont des Arts … Jolie chanson, pour un départ !
Si Brassens, je l'adore, le hasard, je l'abhorre.
Fatalités ou chances, je les mets toutes d'accord.
La cuisine du destin, brouet des astrologues,
Ou le vilain potage des fous numérologues,
Ne sont que fariboles. Qu'ils soient astres ou chiffres,
Ce sont superstitions dont ma poubelle s'empiffre.
Je les récuse, les hais, et tous les abomine ;
Je suis un rationnel, la science est ma doctrine.
A propos de départ, c'est celui des vacances,
Qu'en lavant ma voiture, je prépare à l'avance.
Achetée pas toute jeune, cette jolie guimbarde
Est le fruit magnifique d'une occasion veinarde.
Cette auto si parfaite, n'avait qu'un seul défaut :
Appelez ça malchance, aubaine ou manque de pot :
Son compteur indiquait, à n'en pas croire mes yeux,
Vingt deux mille kilomètres et puis deux cent vingt deux !
Cinq « 2 » successivement ! Ce n'est rien qu'un hasard,
M'a dit le revendeur. Ça n'a rien de bizarre.
Il fallait donc, prudent, qu'un bout d'essai je fisse,
Jusqu'à ce que je visse, au compteur, un beau six.
Ceci, bien entendu, pour plaire à ma moitié
Qui, à la diablerie, sinon, eut vite crié.
C'est la veille de ce jour qu'une lettre d'un Dupont,
M'enjoignait de transmettre un texte à Tartempion.
Lequel monsieur Machin, le renverrait à Chose,
Créant ainsi une chaîne. Les dires de cette prose,
Me promettaient la lune pour mon obéissance,
Mais d'affreuses menaces en cas de résistance.
On me prenait pour couard, ou pire encore, pour niais !
Ce dérisoire torchon, au panier j'expédiai,
Non sans en avoir fait, pourquoi ? je ne sais trop,
Une prudente copie, à garder in petto.
Les gens sont des gogos, tous pleins d'aliénations …
Et la superstition est à la religion,
Ce que l'astrologie, avec ses contorsions,
Est à l'astronomie aux nobles ambitions.
Ma voiture, rutilante, attire un drôle d'oiseau
Lequel, quelle guigne, quelle poisse ! vient souiller son capot !
Avertissement du ciel ? C'était bien vendredi,
Mais nullement un treize! Quelle est cette perfidie ?
Ah ! c'est une colombe ! Ce n'est donc qu'un message,
Puisque ces animaux tombant du paysage,
Et qui d'un air bizarre soudain vous dévisagent,
Ne servent qu'à cela : aux dires et aux présages.
Cet oiseau de malheur (pardonnez l'expression)
Ne me fera pas perdre la moindre des ambitions.
Je ne suis pas de ceux que le sort impressionne,
Et ne craint pas le pire que le destin mitonne.
Le hasard, c'est mensonge, ne fait pas bien les choses ;
Croyances et interdits ne créent que des psychoses.
Si par hasard, la la la la… Ma voiture brille !
Un dernier coup d'éponge mais … soudain, je sourcille :
Quelque chose de suspect attire mon attention :
Le compteur ! Il indique … mais … c'est une illusion …
C'est trop invraisemblable, ce ne peut être qu'un songe !
Cent onze mille kilomètres et cent onze de rallonge !
Six fois le chiffre « 1 » ! Et me faire ça, à moi !
Ce tacot récidive, il joue sur mon émoi …
Surtout, pas de panique. Si ma femme voyait ça,
Je sais qu'elle triompherait , me ferait un éclat :
Voilà ce qui arrive à tous les incrédules
Aux odieux mécréants dont la foi capitule …
Mais qu'est-ce … quoi donc encore ? Je rêverais, ma parole ?
C'est maintenant la montre, qui doit perdre la boussole !
Onze heures et onze minutes ! Disent ses cristaux liquides !
Je tente un signe de croix, juste comme un test rapide,
Par pure curiosité ; moi qui suis scientifique,
Un athée convaincu : c'était purement tactique.
Quel est ce sortilège ? Le diable serait dans le coup ?
Faut-il prendre la fuite ? Ou bien crier au loup ?
Et si c'était un coup de la « chaîne » de Dupont ?
Ou des numérologues et leurs « onzes » furibonds
Dont c'est le chiffre maudit ? Mes craintes tournent en rond…
Je vais donc faire le tour du pâté de maisons,
Détruisant aisément ces deux coïncidences,
Par allongement du temps ainsi que de distance.
Ouf ! Morte, la sale bête, aurait dit ma moitié,
Si, par affreux malheur, elle avait vérifié.
Dans la sérénité, je pense maintenant vacances,
Lorsqu'un abominable doute me perçant de sa lance,
Vient me glacer les os : et la jauge à essence ?
Il faut mettre le contact pour tuer vite ce suspense …
Oserai-je tourner la clef ? A Dieu vat ! Inch Allah !
Le quartier tout entier va-t-il exploser là ?
Je rouvre enfin les yeux et scrute le cadran
Où la terrible aiguille sa montée entreprend,
Pour pointer son verdict là où vous devinez :
Le onze, encore le onze ! Le Diable exhibe son nez !
A moi, fées Carabosses ! Au secours, alchimistes !
Médiums et fakirs, je veux des exorcistes !
Trou noir des galaxies ? Triangle des Bermudes ?
Occultisme ? Sorcellerie ? Je suis mort d'inquiétude.
Il s'en fallut de peu que je ne sanglotasse,
Que mon affreuse panique malgré moi n'éclatasse.
Je récite à grand peine un pénible Notre Père,
Mais suis pris, tout à coup, de coliques fort sévères.
Et, lorsqu'enfin sauvé, j'eus atteint les toilettes,
Pour une méditation assis sur la lunette,
Mon génie inventif, dans une fulgurance,
Me fit soudain trouver, par une transcendance,
L'idéale solution : mon bidon à essence !
Celui de ma tondeuse qui comme une providence
Pour ma jauge, au garage, m'attend, me sauve la face !
Je tire sur le papier, je tire sur la chasse.
Eureka ! Solution ! Sauvé ! Et grâce à qui ?
Mon sang-froid légendaire, une nouvelle fois vainquit.
J'aurais dû me méfier : car avec ou sans plomb,
Le rouge de cette aiguille sent le nauséabond.
Au diable, les esprits faibles, moins solides que le mien,
Qui de croyances obscures s'empêtrent dans ces liens,
Se laissant envoûter tout comme au moyen-âge,
Par de puériles frayeurs ressenties comme présages.
Quand on pense que certains, des naïfs, des gogos,
La jauge et le compteur auraient changés tout de go !
Ou même leur véhicule auraient vite revendu !
Les pauvres innocents ! Ils eussent tout confondu.
Moi, ma jolie voiture, je la garde sept ans ;
Évidemment pas onze, ce serait embêtant !
Et à cinq ans et demi ? Je la laisserai hors-jeu !
Et lorsque le compteur indiquera six fois « 2 » ?
Ce sera mon beau-frère qui prendra le volant :
Des augures et des signes, il n'est pas partisan.
Ma femme a de la chance , ne le sait pas assez,
D'avoir pris comme mari un homme aussi sensé.
Un esprit rationnel, un sage déterministe
Qui hait les sortilèges, et au hasard résiste,
Dont l'âme cartésienne chaque chose vous explique,
Et a madame Soleil, a toujours fait la nique :
Le trèfle à quatre feuilles ou le brin de muguet,
Sont pour les idolâtres et les crédules benêts.
De la fatalité, du sort, je n'ai pas peur,
Car la superstition, c'est connu, porte malheur.
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