Une lectrice attentive m'a fait part d'un certain sentiment d'incomplétude à la lecture de la LEM 779 Valeur, valeur. Objection parfaitement recevable.
Insister sur la valeur remarquable entre toutes pour les humains de la connaissance est en effet un peu court. Il ne suffit pas de dire, en décorticant le mot, qu'il s'agit d'une autre naissance. Encore faut-il prouver que ce n'est pas une simple image de pure rhétorique. Allons un peu plus loin, si vous le voulez bien.
À quoi naît donc celui qui parvient à faire passer ses deux hémisphères cérébraux (et pas simplement le cerveau gauche réputé plus " cognitif") ?
La question ne passionne pas les foules. Serait-ce trop spéculatif pour nos neurones gavés au sirop de l'efficacité, du concret, du rapide, du tout digéré à l'avance pour ne laisser aucun effort à la charge du lecteur-enfant ? Et pourtant, cette histoire de connaissance, elle nous concerne tous, et dans les aspects les plus matériels de notre façon de vivre, comme dans nos choix personnels.
Peut-on faire confiance à notre cerveau humain ? N'est-il pas déjà dépassé par ces merveilleuses petites machines à la capacité d'engranger des informations et à la mémoire ignorant ce que veut dire l'amnésie ? Période à vraie dire sans égale dans toute notre histoire que celle que nous avons le privilège de vivre depuis quelques petites années. Tout se passe comme si la planète elle-même était devenue un immense cerveau, avec ses innombrables circuits neuronaux reliant potentiellement entre eux, de multiples centres diffusant leur savoir. Là nulle frontière géographique, nulle exclusivité linguistique qui ne soit insurmontable, le réseau des réseaux, la toile d'araignée planétaire que suggère le web des anglo-américanophones.
Face à cette fantastique base collective d'information que peut bien peser ce qui tient dans chacune de nos boîtes craniennes ? La mode envahissante des collectifs, des groupes de travail, des entreprises, des équipes, des syndicats, partis et églises laisserait facilement croire, tant les faiseurs d'opinion en font les louanges, a-t-elle envoyé au musée des antiquités le travail que chacun peut faire pour réduire au maximum son ignorance d'être humain ordinaire.
Il y a bien longtemps déjà qu'un Voltaire, bien campé dans son siècle des lumières, fustigeait, avec le talent que l'on sait l'ignorance et l'obscurantisme de ses contemporains. Le combat, ce n'est faire injure à personne, n'est visiblement pas terminé. Ne pas savoir ce que d'autres savent, c'est tomber sous leur coupe.
Le docteur, ce qui ne veut dire que celui qui sait (ou est censé savoir) tire encore une bonne partie de son aura populaire de cette initiation à des formes de connaissance étrangères au plus grand nombre. L'ignorance est un piège majeur, nul ne peut en douter. Songeons simplement un instant à la difficulté considérable que peut occasionner dans les actes ordinaires de la vie de chaque jour l'illetrisme ou l'analphabétisme, encore si fréquents malgré l'école obligatoire et gratuite.
Tous les humains ne sont pas égaux devant les capacités de faire fonctionner leurs capacités intellectuelles, les médecins le constatent chaque jour.
Ceux qui ont la chance, car s'en est une extraordinaire dont nul ne peut se glorifier, de pouvoir faire gambader leurs neurones, ont une obligation morale vis à vis de la collectivité. Faire fructifier au mieux leurs potentialités pour être en mesure de contribuer, chacun à sa façon et dans son domaine, à la construction d'un monde moins inhumain. Ce sentiment d'interaction inévitable et inextricable entre ce qui est individuel et ce qui est collectif est finalement une découverte très contemporaine poussant aux oubliettes du passé dépassé les vieilles lunes de l'individualisme comme du collectivisme.
Apprendre à prendre plaisir à perfectionner nos capacités de connaissance est un programme ambitieux. Il est dommage que nos institutions ne délivrent pas clairement ce message. La dictature des performances, des classements, du dédain de tout ce qui n'est pas répertorié comme discipline universitaire est pesante. Et souvent contre-productive. Combien de jeunes médecins, essorés par des savoirs à ingurgiter de force pour gravir les échelons éprouvent un rejet profond et définitif de tout ce qui est universitaire ? Une université qui ne fait aucun effort pour garder des relations avec leurs anciens étudiants : nous sommes encore dans le règne du travail à la chaîne.
Une connaissance qui enferme les esprits est un contresens. La scholastique médiévale en est une caricature.
Des connaissances cultivées avec soin et curiosité, sachant ne pas se laisser rebuter par les interdits et les exclusions purement idéologiques, que pouvoir souhaiter de plus enthousiasmant et de plus libérateur à ceux qui n'acceptent aucun esclavagisme ?
Pour cela, aucune école n'existe, aucun truc pour éviter les efforts et les incertitudes des choix personnels, et ne parlons pas de quelque forme de "coaching" que ce puisse être !