Chèque cher à nos banques comme check du pragmatisme anglo-américain, notre oreille ne nous trompe pas sur un même moule originel. Le brave vieux français est en embuscade, prompt à aiguiller à sa sauce stimulante notre façon de penser. To check veut dire faire échec, nous empêcher de nous tromper, en un mot contrôler (1).
Les médecins, dès le début de leurs longues études, vivent dans la crainte de la faute que pourrait entrainer leur ignorance, et, plus encore, leur défaut d'attention. La responsabilité vis à vis des patients mis en danger qui leur incombe est écrasante, et sans commune mesure avec celle qui pèse sur la plupart des activités humaines. Le recours de moins en moins rare à des demandes de réparation par voie judiciaire est un lourd fardeau pour des gens qui, sans être des saints pour autant, ont comme objectif de vie d'apporter leur aide à ceux qui sont touchés par la maladie.
Le culte ambiant de la performance dans tous les domaines, la recherche infantile d'une sécurité absolue mettant à l'abri de tous les dangers des aléas capricieux de la vie, la mythologie illusoire du risque zéro, autant de renforçateurs de l'énorme jeu d'échec dont nous sommes les pions, sans rois, ni reines, ni tours protectrices.
La certitude dans le domaine de la médecine, plus encore que dans tout autre, n'existe pas. Les praticiens le constatent chaque jour, et les utilisateurs de leurs savoirs et de leurs techniques ne cessent de demander toujours plus d'une sorte d'obligation de résultat. La formule si populaire dans sa démagogie de «droit à la santé» précipite les esprits dans un non sens flagrant.
Les organisateurs des rouages des soins de santé ont-ils dans la tête les procédures adoptées depuis des décennies dans le domaine du vol aérien ? Les fameuses check listes y ont acquis leurs lettres de noblesse. Tant mieux pour notre sécurité de voyageurs des airs, même si elle n'est jamais absolue.
Une médecine se trouvant confrontée à une complexification croissante de ses techniques diagnostiques et thérapeutiques n'a pas pu échapper au développement des ses propres check listes. Un malade de chair, de sang et d'esprit se trouve vivement métamorphosé en un simple dossier numérisé. Pour prendre quelque poids aux yeux des blouses blanches, il lui faut être «documenté» de toute une batterie d'investigations complémentaires au delà d'un examen physique de plus en plus sommaire.
Si vous êtes du côté des allongés (sans avoir cependant atteint leur définitif boulevard) votre dossier, s'il est accepté par l'équipe de ses examinateurs réunie en votre absence, peut vous accorder la chance de pouvoir entrer dans un protocole. Entendez par là que vous allez devenir le bénéficiaire d'un traitement de type standard établi et préconisé par les instances médicales les plus scientifiques.
Faire passer la pilule de ce passage en force d'une réalité purement statistique - donc établie sur un grand nombre de patients - à ce qui vous arrive à vous dans toute votre incompressible singularité devient du grand art. Pour vos soignants, comme pour vous-même, le changement de cadre systémique est lourd d'incompréhensions mutuelles.
Alors, prendre toutes les précautions pour limiter au maximum les erreurs humaines les plus fréquentes et les plus évitables ne peut être qu'une bonne chose. Ne pas donner au patient le sentiment qu'en entrant dans un système de soins, il devient une sorte de bétail dont il faut avant tout assurer la traçabilité constituerait une préoccupation simplement humaine de la plus grande valeur. Quand la maladie est là, même si la vie n'est pas en danger, tout homme se sent fondamentalement seul. Quelques bonnes paroles stéréotypées de ceux qui sont là pour l'aider ne sont pas suffisantes. Le besoin de ne pas se sentir seul exige un tout autre engagement. Ceci ne ressort pas de «techniques de communication» toutes faites, mais d'une compétence d'une autyre nature. Celle d'être et de rester soi-même au milieu d'un univers à la George Orwell où règnent en maîtresses les machines les plus sophistiquées et les plus chronophages. Nous avons oublié que les étabissements de soins ont été d'abord et avant tout des lieux religieux, initialement dans la tradition hébraïque, puis dans l'héritage chrétien depuis le Moyen-Âge.
Renforcer cette compétence, laissée en friche devant l'explosion des techniques, n'est pas une histoire d'altruisme généreux ou de retour à l'obscurantisme de naguère. C'est lutter avec intelligence contre les dérives destructrices de la deshumanisation du monde de la santé.
Que ce chantier ait simplement le droit d'être ouvert ne peut que conduire à ce que des gens de talent y apportent un jour leur contribution personnelle. Et oui, ce n'est au bout du compte, qu'une question de personnes capables de prendre en main leur propre dose d'humanité.
«Vaste programme» n'aurait pas manquer de dire un célèbre grand général de brigade.
Note:
(1) Dictionnaire étymologique et historique du français (Larousse 2011)