Les voeux sont donc des choses sérieuses. Le mot lui-même serait emprunté au latin votum (1). Le cousinage avec le vocable politique devenu vote quand nos préférences sont sollicitées mérite une mise en mémoire.
Le rituel contemporain des échanges de voeux en début d'année est tellement usé jusqu'à la trame par tous les manipulateurs d'opinion, dont ceux qui ont quelque chose à nous vendre ne sont ni les derniers ni les moins bruyants, qu'il finit par ne plus avoir aucun sens. Des gens qui ne vous connaissent absolument pas, et qui n'ont aucun désir de savoir qui vous pouvez bien être, vous prophétisent comme des robots la santé, le bonheur et... un porte feuille bien rebondi.
Il est alors un peu difficile de se demander comment et pourquoi ce que nous pouvons souhaiter à d'autres êtres humains peut avoir la moindre action sur les évènements qui vont arriver. En France, jusqu'au XVIIIème siècle, la notion de malédiction est demeurée très forte. Un enfant frappé par une telle prédiction de malheur (quoi que tu puisses faire, tu iras en enfer) est véritablement condamné. Inversement, la bénédiction (dire du bien) est demeuré une prérogative religieuse d'origine biblique de première grandeur. La télévision, aussi laïque se dise-t-elle ne saurait manquer le premier jour de l'an nouveau sans retransmettre de la place Saint Pierre de Rome la bénédiction papale, dite urbi et orbi ( aux présents à Rome et à toute la terre). Un pape qui a pris le nom de Benoit, c'est à dire le béni, c'est tout un programme.
En creusant un tout petit peu la gangue des mots, sorte de virus lent dont je suis chroniquement et incurablement atteint, la dévotion, le fait de se vouer à, n'est pas loin de ce fameux voeu. Se dévouer à améliorer, autant que faire se peut, l'état de santé de ceux qui en ont besoin, c'est un langage qui n'est pas étranger aux soignants en général et aux médecins en particulier. On n'en parle guère, tant cela semble ringard en face du clinquant des prouesses technologiques et des quasi miracles des thérapeutiques de pointe.
La parole comme outil thérapeutique, cela semble tellement aller de soi, qu'on n'en parle guère au cours de la formation des médecins.
Curieusement pour nos esprits gaulois, régulièrement sont publiées par des équipes américaines, des études tentant d'objectiver la dimension thérapeutique de la prière des soignants sur l'évolution des maladies les plus graves. Des infirmiers ou des médecins qui prient, et surtout qui osent cela donne des boutons aux enfants spirituels d'Auguste Comte.
Avons-nous oublié que, dans toutes les civilisations, sur tous les continents la médecine a toujours été indissociablement liée à la religion ?
Notre fameux Hippocrate, pour rester dans notre jus gréco-romain, avait bien quelque chose de fondamental à voir avec le divin Esculape. Et Èpidaure était en même temps, et donc pour le même public, un hôpital, un temple religieux, un théâtre et un stade. Quatre orientations fondamentalement complémentaires au service des humains.
Par souci d'efficacité, par désir de simplification devant des sommes de savoir de plus en plus importantes au fil du temps, nous avons pris l'option de fragmenter le plus finement possible nos centres d'intérêt et nos actions. Engrenage de la spécialisation aussi fertile que dangereux car rendant de plus en plus difficile une vision globale de ce que sait et de ce que fait notre humanité.
Alors, nous qui sommes en contact avec des gens qui ont besoin d'aide, portons un peu plus d'attention à nos paroles et à leur inévitable impact.
Que nous le voulions ou non, à l'image des souhaits traditionnels de début d'année, elles constituent à notre insu un aveu de ce que nous portons en nous. Souhaiter plein de bonnes choses un jour de l'année signifie-t-il pour autant que nous passons le reste du temps à espérer les pires vacheries à nos congénères ?
Selon ce que tu me souhaites, je peux me faire une idée des valeurs que tu portes en toi. Ou, hypothèse moins favorable, dont tu veux me persuader que tu es porteur pour mieux parvenir à tes fins.
Pour terminer par une pirouette plus légère, je ne peux m'empêcher de penser combien il m'était difficile, en tant que médecin de famille, de souhaiter, sans mentir comme un arracheur de dents, une bonne santé à mes patients. Quand je vous disais que tout voeu est un aveu, malgré le conseil de Landru, me voici pris à mon propre piège.
Note:
(1) Dubois J, Miterrant H, Dauziat A. Dictionnaire éthymologique et historique du français, Larousse 2011.
(cliché Cath exmed)