Et pourtant, s'accumulent les preuves objectives des limites actuelles des capacités de soigner les maladies, et plus encore de faire en sorte que les corps, les esprits et les âmes restent au mieux de leur fonctionnement. La réponse purement médicamenteuse à n'importe quel trouble se révèle non seulement décevante dans ses résultats, mais objectivement dangereuse dans ses conséquences immédiates ou lointaines. Il n'est pas utile de détailler ici ces réalités, dont on ose de plus en plus parler ouvertement. Le crime de lèse-médecine, sous la poussée des mouvements consuméristes et des échanges par internet, est heureusement en voie d'extinction.
Devant les insuffisances ressenties par un certain nombre de patients comme de praticiens observateurs et la mise sur la place publique de la dangerosité (hautement médiatisée et «judiciarisée») de mieux en mieux connue des réponses médicales classiques à nos maladies, un mouvement d'opinion s'est répandu. Pour ne pas tomber dans les écueils réels ou supposés de la médecine conventionnelle, il faut faire appel à d'autres façons de se soigner. La porte était ouverte au domaine sans frontière ni mesure des médecines autres. La boîte de Pandore des pratiques alternatives a fait sauter son couvercle. Les vocables abondent, les affirmations plus ou moins solidement étayées fleurissent, les militantismes flambent. Voilà de quoi faire un lit douillet à tous ceux qui veulent instrumentaliser la médecine pour trois raisons :
-
Celle de faire valoir aux yeux du plus grand nombre leur propre personnalité dont ils ont une haute opinion.
-
Celle de gagner le plus possible d'argent en «surfant» sur un «créneau» à la mode du jour, capable de délier les bourses les plus réticentes du moment que la crédulité humaine peut jouer.
-
Enfin des groupes, en apparence exclusivement mus par un idéal altruiste, n'ont aucun scrupule éthique à viser les personnes affaiblies par la maladie, le souffrance ou le handicap (1).
Les pratiques de soins, dans le monde entier, partent dans tous les sens, comme dans une sorte de kaléidoscope défiant toute logique. Aussi loin que peuvent remonter nos connaissances sur la marche des cultures humaines depuis la survenue d'Homo sapiens sapiens, deux spécificités n'ont cessé de se donner la main. D'une part la religion, ce qui relie l'homme à des forces qui le dépassent, et d'autre part les soins que les humains utilisent pour aider les autres en difficulté . Ce point de départ inconnu de toute autre espèce animale, fondement de toute notre évolution culturelle en perpétuel mouvement, est largement oubliée par les soignants actuels. La séparation entre le religieux et le médical a été tellement difficile dans notre occident depuis le XVIIème siècle que nous en gardons une sorte d'amnésie post-traumatique.
Prendre pleinement conscience de la place unique de la médecine dans l'hominisation, encore en action sous nos yeux, nécessite un guide compétent. Nous avons la chance, en France, d'en avoir un, capable de survoler avec un bel esprit de synthèse toutes les époques et tous les lieux. L'anthropologue Claudine Brelet, hélas trop peu connue des cercles intellectuels et médiatiques, mérite la plus grande attention pour qui veut bien s'interroger de façon systémique sur notre médecine et sur notre société (2).
Depuis plus d'une dizaine d'année, un mouvement d'idée est né aux États-Unis, en Angleterre et en Israël. De façon pragmatique, il s'agit d'ouvrir la médecine conventionnelle, qu'il ne s'agit aucunement de contester dans son domaine de compétence, vers d'autres méthodes de soins quand le besoin des malades s'en fait sentir (3).
Il y a belle lurette que nos cancérologues, par exemple, ont compris l'intérêt thérapeutique de séances de sophrologie, de diététique ou de soins esthétiques pour les patients hospitalisés.
Il est alors question de médecine intégrative. Le mouvement est suivi dans de nombreuses facultés dans le monde. La France, à ma connaissance, demeurant dans une troublante expectative.
Il est vrai que le chantier est immense. Que faut-il donc intégrer à la médecine, pourquoi et comment le faire ? Qu'est-ce qui peut être intègre, qu'est-ce qui ne le peut pas ? La pauvreté des notions scientifiquement acceptables dans des pratiques héritées des traditions est un obstacle. La difficulté d'étudier des notions qui ne sont pas dans notre héritage culturel n'est pas négligeable. Ne risque-t-on pas ainsi de se retrouver dans un syncrétisme médical mou conduisant à une tour de Babel de la connaissance médicale ? De quoi se perdre, aussi bien pour les soignés que pour leurs soignants.
Les retombées financières éventuelles d'une médecine ainsi élargie pour de meilleurs soins aux malades sont certainement importantes. Mais, le sont-elles au point de stimuler comme il serait nécessaire tous les travaux de recherche indispensables ? Point d'industrie à faire tourner à l'horizon.
Les médecins eux-mêmes, hors de toute motivation mercantile éventuelle, disposent d'une potentialité jamais évaluée de faire fonctionner leurs neurones. Les idées, ça ne se vend pas, ça ne s'achète pas. L'aurait-on oublié dans notre dictature des marchés ?
Une vieille formule politique du siècle dernier affirmait sans sourire : «En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées». Des idées made in France pour une meilleure médecine au service des hommes de demain ? Chiche...
Notes :
(1) http://www.prevensectes.com/
(2) F-M Michaut : Médecine sans raçines n'est que... 4 juin 2012 LEM 760
(3) Larry Wilms, Université de nord Ontario (Canada) La médecine intégrative est-elle l'avenir de la médecine familiale ?
Can Fam Physician. 2008 août; 54(8): 1093–1095.
(cliché Cath exmed)