Comme c'est facile de se lamenter ! Il se trouve toujours une oreille compatissante, captive ou, le plus souvent poliment indifférente, pour libérer sa bile noire comme disent les médecins de Molière. L'inspection permanente de tout ce qui peut se passer, et Dieu sait si notre branchement sans trêve sur les écrans y contribue, ne peut guère retenir que ce qui ne fonctionne pas selon nos normes.
De là à entretenir un sentiment général d'un monde dans lequel rien ne marche plus « comme avant » et comme plongé dans une sorte de décadence irrémédiable d'une civilisation condamnée à une mort innéluctable. Nous les vieux, qui avons appris par coeur l'hypocrisie des formules convenues, nous n'osons plus vraiment dire que « de notre temps tout était mieux ». Mais nous n'en pensons généralement pas moins en refusant d'accorder le moindre crédit aux capacités d'inventer notre avenir planétaire aux jeunes générations.
Aurions nous oublié que tout phénomène vivant passe inéluctablement par trois phases, exactement sur le modèle de notre courte vie : naissance, croissance et mort ? Marche en sens unique de tout ce dont nous sommes constitués et environnés : nous ne pouvons pas l'oublier. À une seule condition. Renoncer à cette vision statique et immuable des choses dont l'esprit de notre enfance a su constituer une indispensable protection contre les dangers inhérents à n'importe quel changement.
Des parents éternels, des adultes figés à tout jamais dans leur passé et dans leurs valeurs : c'est à partir de cette image aussi rassurante que fausse que nous avons appris peu à peu la vraie vie.
Il me semble qu'il ne nous a jamais été clairement montré que chaque cycle évolutif quand il est déclaré mort laisse toujours des traces derrière lui. Un peu comme la quintessence de ce que sa vie a produit. C'est sur ses ruines et de ses ruines que peuvent naitre de nouveaux cycles. L'exemple des civilisations oubliées et redécouvertes par la science des siècles ou des millénaires plus tard est éclairant. Comme nous-mêmes, nos ancêtres ne sont pas partis de rien. Ils ont construit leur culture avec les briques de toutes celles qui ont précédé.
Les résultats ne sont pas à l'abri de toute critique, c'est une évidence. Mais la fragile petite espèce humaine, remarquablement médiocre dans ses performances purement animales pour assurer sa survie, grâce à son cerveau unique est plus nombreuse sur la terre qu'elle n'a jamais pu l'être. La performance est remarquable et montre ce qui ressemble à une évolution d'ensemble. Non sans drames, ni soubressauts, ni prises de risque aux conséquences de mieux en mieux connues sur la biosphère.
La difficulté est de percevoir la direction d'ensemble de notre culture devenue pour la première fois, et sans recul possible, mondiale. Coup de chapeau à nos techniques et à l'inventivité sans borne de leurs utilisateurs. Cela prend parfois la forme un peu caricaturale des seuls échanges économiques, cette « mondialisation »? Peu importe, le mouvement ne peut pas plus s'arrêter que la fabrication des protéines par l'ADN.
Quel plaisir de vivre, simplement de vivre sa vie d'homme ordinaire, ce serait si nous apprenions à ne plus nous prendre les pieds dans le tapis des détails qui ne nous semblent pas aller dans notre seul bon sens personnel ?
Quel type d'intelligence ce pourrait bien être que cet optimisme systématique parce que systémique et non centré sur son précieux petit nombril personnel. L'optimisme ? La culture du meilleur, y compris en fouillant à fond et sans dégout les choses les pires que prophétisent les pessimistes.
Vous avez dit la peur de passer pour un esprit naïf incapable de voir la réalité en face. Et alors?