Les Grecs avaient la sagesse, en parlant d'homme de faire la différence entre anthropos, membre du genre humain et aner (au génitif andros), le mâle sexué de l'espèce. Les anatomistes, comme les peintres, nous ont offert des descriptions détaillées à l'extrême de ce qui distingue la femme de l'homme, et réciproquement, aurait ajouté de sa voix gouailleuse Pierre Dac. Avec les généticiens, plongée dans les chromosomes : juste une question de XX ou de XY. Coquinement, la queue verticale d'une lettre majuscule - qui n'a jamais été un i en grec (encore eux!) mais un U - constitue un panneau indicateur sans ambiguité.
Première identité binaire, pour notre modernité asservie aux classifications scientifiques, celle du sexe. Dame Génétique roule des mécaniques et nous impose même, jusque dans les énigmes criminelles, voire historiques ou préhistoriques, la puissance impressionnante de ses analyses de l'ADN de nos cellules. Le temps où l'on mesurait la forme du crâne avec les moyens de l'anthropométrie ou les célèbres empreintes digitales d'Alphonse Bertillon (carabin raté, au passage) est déjà lointain.
Plus on en sait, moins l'on en sait sur ce qui distingue chacun de nous de son voisin le plus proche comme le plus lointain. Avec la notion de race, introduite dans la pensée humaine par les grands systématiciens du vivant tout entier, nous avons cru détenir une piste, aussi solide qu'en zoologie ou en botanique. Les conséquences ont été, et sont toujours dans beaucoup trop d'endroits de la planète, absolument terrifiantes pour les sociétés humaines qui en ont été la cible. Aucune mémoire censée ne peut actuellement l'ignorer.
Les sociétés traditionnelles faisaient toujours clairement une différence absolue, quasi ontologique, entre leurs membres et tous les autres. Tout ce qui n'était pas chrétien était païen, tout ce qui n'était pas islamique était infidèle, tout ce qui n'était pas du peuple élu juif était qualifié de gentil : la liste des exclusions est infinie. Jusqu'au plus petit village perdu, tout autre est étranger, donc étrange. Méfiance donc, maintien de son quant-à-soi, même si l'hospitalité d'une culture impose ses règles adoucissantes.
L'identité dans ce sens, c'est bien ce qui rend identique. À défaut des races (notion présente dans bien des esprits) dont les lois ici nous interdisent judicieusement toute utilisation discriminatoire ou infamante, ce sont les communautés qui sont mises en cause. Peu importe qu'elles concernent une appartenance religieuse, une origine géographique, une particularité culturelle, idéologique, sexuelle ou philosophique, ces regroupements communautaires sont facilement accusés de bien des maux. La vieille affaire biblique du bouc émissaire n'a pas pris une ride. Les stéréotypes, quel que soit le niveau d'éducation, ont encore et toujours la vie dure dans les esprits. Que de travail à faire encore pour en démontrer la stupidité et la dangerosité jamais désamorcée.
Je dis stupidité pour une raison simple, et qui n'a rien d'un jugement de valeur. C'est que l'identité, c'est aussi ce qui fait que chacun de nous, y compris dans la gémellité vraie (monozygote), est un modèle unique au monde. Les psychiatres, depuis longtemps, nous montrent du doigt ce que peut être une perte d'identité. Les conseillers, parlant volontiers au nom de la psychologie ou de la philosophie, nous exhortent à découvrir notre identité personnelle, à cultiver ce que nous avons de meilleur en nous pour vivre le mieux possible.
Ce qui est identique se battant contre ce qui est différent, ce qui est collectif s'opposant à ce qui est personnel.
Bon sang, quoi qu'on fasse la carte de l'identité est placée sous le signe du paradoxe. N'est-ce pas cela aussi que d'être un humain ? À la fois totalement semblable aux autres, et irrémédiablement différent de tous.