Bien sûr, il y a les écrivains, ceux qui se donnent le mal de rédiger des ouvrages destinés à rencontrer un certain nombre de lecteurs. Ceux qui affrontent le parcours semé d'embûches pour que leur livre soit publié afin qu'il puisse tomber sous les yeux d'autrui. Peu importe qu'ils soient professionnels ou amateurs, qu'ils écrivent des romans, des essais, des poèmes, des témoignages ou des ouvrages scientifiques et techniques, c'est toujours de la meilleure utilisation possible de la langue écrite qu'il s'agit.
Il y a aussi, se renouvelant de façon chronologique ( au sens de logique du temps ) les générations successives d'écoliers, de collégiens, de lycéens et d'étudiants qui apprennent à domestiquer, plus ou moins bien, leur expression écrite. Apprendre à écrire, c'est une incroyable acquisition, dont, nantis que nous sommes, nous avons bien du mal à garder en tête que c'est une fantastique possibilité qui nous a été donnée, sans que nous ayons rien à demander. Des êtres humains ayant acquis la possibilité de transmettre leur pensée au moyen des simples lettres de nos alphabets deviennent des écriveurs. Pour beaucoup, et faute d'exercice, cette capacité demeure sommaire ou s'atrophie complétement au fil des années. Comme si une petite minorité avait le droit d'écrire et une grande masse devait se contenter de déchiffrer, plus ou moins bien, leurs productions écrites.
L'essor inouï des techniques de communication à distance est en train de bouleverser la donne. La place de l'écriture, à côté, et en complément de celle de l'image, du son, donc de la voix, est au coeur de tout le système du réseau planétaire numérique. Nous voici tous contraints d'utiliser chaque jour notre capacité d'écriture.
C'est parfois sommaire, juste pour cocher quelques cases ou donner certains codes. Cela devient plus sophistiqué, et bien plus personnel, avec nos foules de textos, ces petits messages courts véhiculés par les fournisseurs de téléphones nomades (1). Des esprits chagrins y voient le déclin de nos langues et de leurs règles figées dans le marbre au 19ème siècle. Il s'agit d'une matière vivante, donc, pour toute analyse scientifique, appelée à se transformer sans cesse pour ne pas mourir d'inadaptation aux variations de l'environnement.
Nous voici donc tous transformés d'écriveurs en écrivants. Nous n'avons rien demandé, la technologie nous est tombée sur le coin de la figure.
Alors, nous voici placés devant un choix lourd de conséquences pour notre futur à tous. Soit nous demeurons des écrivants malgré nous, plus ou moins rongés par une addiction aliénante, soit nous faisons en sorte de développer sans relâche, pour chacun de nous, nos capacités d'entrer en contact avec d'autres humains parce que nous sommes des écrivants actifs et responsables. Envisager un cheminement possible vers une sortie progressive de nos divers enfermements au moyen de notre cerveau utilisant au mieux sa capacité d'écrivant, est-ce une illusion de rêveur impénitent ? Ou bien est-ce, paradoxalement, un pari sur les ressources encore inexploitées de l'intelligence humaine ?
L'écrivant de service sur cette page - et fier de l'être - a sa petite idée sur la question. Maintenant, choisissez la votre.
Note :
(1) J'attends ( sans impatience) que la communauté médicale dénonce les pathologies, notamment des articulations des deux pouces, induites par l'usage sans modération des SMS dans les jeunes générations.
Os court :
« C'est quelqu'un que l'homme puisqu'il a trouvé l'écriture. L'écriture, la plus noble conquête de l'homme. »
Elsa Triolet