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Cinquième
tableau (dernier)
(Le médecin et de nouveau « la jeune femme du
début ») |
Le décor est identique, mais on
marque de nouveau un changement de saison, par exemple avec
les lumières, un apport extérieur de soleil par
une vitre, le médecin reçoit cette fois en chemise,
sa veste posée sur le dossier de sa chaise.
Le praticien ouvre la porte pour faire entrer une patiente.
Il s'agit pour sa troisième apparition de celle de la
première et de la troisième séquence, la
jeune femme si fermée au départ, ouverte en deuxième
passage. Elle a changé d'allure, trouvé une aisance,
transformé son apparence. On peut par exemple l'imaginer
comme s'étant coupé les cheveux (avec alors pour
l'actrice une perruque, soit longue pour les deux premières
séquences, et au naturel pour la dernière, soit
l'inverse…) avec une coupe au niveau des lobes des oreilles,
une raie, et une mèche souple couvrant la moitié
du front et un oeil. Elle est vêtue d'une robe d'été
courte, jolie, rose, ou blanche, ou d'un vert clair tonique,
elle s'avance sans aucune gêne et s'installe comme une
habituée. |
La jeune
femme
Avec un grand sourire et une poignée
de main aisée,
Bonjour !
Le médecin
Amusé et souriant,
Bonjour, décidément vous êtes une nouvelle
surprise à chaque fois !
La jeune femme
Je m'adapte à la saison, sans doute !
Le médecin
Ou à la vie ? Comment va-t-elle, justement, la vie ?
La patiente, jeune femme
Plutôt pas mal, je crois !
Le médecin
Mais encore ?
La jeune femme
Eh bien... disons que cela bouge…je…le temps passe.
Le médecin
Souriant,
Vous changez…d'aspect,…cela veut dire que vous êtes
en pleine…rénovation aussi ?
La jeune femme
Elle garde le regard « en interne
» pour elle, en parlant cette fois.
Je suis enceinte.
Et elle lève les yeux, lentement,
avec un regard très insistant.
Et personne ne le sait !
Le médecin
Après un temps prolongé
d'observation,
Vous êtes heureuse ?
La patiente
Elle ne répond pas, mais par son
non verbal, sourire aux oreilles, main dans les cheveux, mouvements
sur sa chaise, puis les doigts sur son visage comme pour en
apaiser la chaleur, elle irradie cette joie et regarde le médecin
avec intensité.
Le médecin
Derrière le fait que vous n'ayez encore informé
personne, si je peux vous demander cela et si vous y avez songé,
qu'est-ce qui intervient ? Une sorte de…réserve
pour vous toute seule, un trésor à garder un moment,
ou bien une attitude de…protection, de défense,
vous vous méfiez d'être trop vite envahie, ou encore
carrément une méthode presque…offensive,
c'est vous qui menez, qui décidez, qui organisez ?
La jeune femme
Elle demeure silencieuse, à réfléchir.
De façon évidente, je présume qu'il y a
un mélange des trois, mais je crois que vous avez bien
résumé l'ordre, pour le moment je me garde le
trésor sans le partager, après cela je vais tenter
de me…prémunir, protéger contre...contre
une forme de dépossession et, en dernier lieu, bien entendu
j'ai envie de diriger moi-même les affaires, le programme…
Le médecin
Et finalement...finalement vous allez profiter de votre expérience
de la grossesse de votre belle-sœur… Vous diriez,
si je comprends dans le bon sens, que vous allez vous...vous
protéger de qui, essentiellement ?
La jeune femme
Elle s'immerge dans la réflexion,
et puis à l'instant de répondre, elle sourit,
amusée.
Je dirais d'abord que je n'ai pas…envie que ma belle-soeur
devienne...devienne une espèce de prof en grossesse et
en accouchement, une…comment dit-on vétéran
au féminin, bon enfin une ancienne, celle qui sait, qui
a vécu, qui…
Le médecin
Mais savez vous pourquoi ? Je veux dire parce que cela vous
agacerait, simplement, trop solennelle, enseignante, trop…
La patiente
Je vous avais dit qu'elle est enseignante, instit… ?
Le médecin
Amusé et souriant,
Non, d'ailleurs je ne l'entendais que sous la forme de la transmission
d'une connaissance, pas comme des cours particuliers…
La patiente rit.
Donc vous ne voudriez pas qu'elle vous enseigne, ou bien vous
souhaitez qu'elle n'empiète pas sur vos découvertes
personnelles, auxquelles vous tenez par dessus tout ?
La jeune femme
Elle sourit.
Cela ne m'étonnerait pas…que ce soit la bonne version,
je veux pouvoir accomplir toute seule ma découverte.
Le médecin
Sérieux et la regardant.
Comme si…comme si elle risquait de vous…voler cela
aussi ?
La jeune femme
Exactement ! Pas me prendre la place, puis me donner des leçons…
Le médecin
Riant presque,
Vous n'allez pas lui laisser vous prendre la priorité
à droite, vous doubler ensuite dans une côte, et
vous imposer des leçons de conduite…ou de code
par dessus le marché !
La jeune femme
La pauvre ! Oh elle est gentille Julie, mais c'est vrai, je
suis sûre que je veux maintenant pouvoir décider
de tout toute seule, j'ai été obligée d'apprendre
la patience, je vais apprendre tranquillement toute seule le
mode d'emploi, et puis je vais décider quand et avec
qui je partage, à mon rythme à moi…
Le médecin
C'est plutôt bien, tout cela, non ? Si vous deviez définir
un…un état d'esprit, le vôtre, par rapport
à toute cette succession d'évènements récents,
et à tout ce que vous avez vécu avant, ce que
vous m'avez raconté, vous vous diriez comment, actuellement
?
La jeune femme
Mûre, terriblement plus mûre, je crois que je suis
arrivée à placer les éléments dans
un ordre un peu logique… Vous voyez, quand j'ai été
sûre que j'étais enceinte, je le savais, je pense
que les femmes le savent très tôt mais j'ai fait
un test minute en plus, la première chose que j'ai pensé
cela a été « je vais leur montrer…
« … Bizarre non ? Parce qu'aussitôt j'ai ajouté,
intérieurement « leur montrer quoi ? Tu ne vas
en parler à personne, au contraire, pas avant un bon
moment » et j'ai compris que « leur montrer »
c'était bien plutôt leur démontrer mes capacités…
Malgré…malgré tout ce qui avait pu m'arriver,
prouver à tout le monde que je suis capable d'avoir un
enfant, de mener ma grossesse, d'accoucher correctement, d'élever
un bébé après cela…
Le médecin
Mais, quand vous faites allusion…à votre passé
en réalité, en fin de compte peu ou pas de gens
sont au courant de tout ce qui vous est arrivé ? Votre
frère, votre mère…
La jeune femme
Oui, c'est très curieux, bien sûr mon mari je lui
ai tout raconté, à qui l'a-t-il répété
je ne sais même pas exactement, mais je me demande, quand
je pensais « je vais leur montrer, leur prouver »
si paradoxalement ce n'est pas aux autres que je pensais, à
ceux d'avant, ceux qui entouraient ma vie…ma vie précédente
oui, quasiment…
Le médecin
Et votre mari, vous avez établi un plan de… (Souriant)
de communication ?
La jeune femme
Lui j'aurais voulu vite, mais je l'imagine comme si j'y étais,
trois minutes après il est au téléphone
avec sa mère, sa soeur, et une heure plus tard elles
sont chez moi pour m'em…
Elle s'arrête.
Le médecin
Vous en…tourer, vous em…brasser, vous en…vahir
?
La patiente
Elle rit.
Honnêtement, j'ai pensé embrasser d'abord, mais
m'envahir aussi, à bien y réfléchir…
Et puis surtout, et de nouveau, me…me voler ma grossesse.
Le médecin
Alors ?
Elle l'observe dans l'expectative.
Votre mari ?
La jeune femme et patiente
Un peu plus tard, quand…
Le médecin
Quand… ?
La jeune femme
J'allais dire quand la grossesse m'appartiendra complètement.
Le médecin
Ce qui signifie, pour vous ?
La jeune femme
Peut-être... Peut-être qu'il y a pas mal d'examens
à faire au départ non ? Et des papiers pour la
déclaration, c'est ça ?
Le médecin approuve de la tête.
Alors je me demande si ce ne sera pas, pour tout le monde, quand
j'aurai mis tout cela en route, fait les prises de sang, rempli
les papiers…
Le médecin
C'est une manière de rendre la grossesse… «
vraie » entre guillemets ?
La patiente
Elle répond rapidement.
Non, elle est vraie ! Non, ce doit être ma façon
de me l'approprier à moi, mes résultats sanguins,
mes bordereaux administratifs, mon…je ne sais pas quand
on fait une échographie ?
Le médecin
C'est plus tard, à douze semaines de grossesse, sauf
en cas de doute, de difficulté, ou d'un besoin de renseignements
complémentaires face à des signes d'anomalie.
La jeune femme
De toute façon, si je vomis, si j'ai des signes inhabituels,
même avant de prendre du ventre, je suppose que mon mari
y songera, il sait parfaitement que j'ai arrêté
ma pilule depuis quelques temps…
Le médecin
Ce qui veut dire...éventuellement qu'il a annoncé
cet arrêt à votre belle-mère ?
La jeune femme
Il en est capable.
Le médecin
Votre belle-mère, vous la...vous l'obligez simplement
à attendre, ou bien vous...vous la condamnez à
se contenter le plus longtemps possible de la grossesse de sa
fille, ou encore vous avez décidé de…la
tenir un peu à l'écart ?
La jeune femme
Elle sourit et hésite longtemps.
Je ne suis pas certaine d'avoir réfléchi à
toutes ces options…Mais je me demande s'il n'y a pas une
vague notion de…revanche, du genre « tu te réjouis
tellement de ta fille, alors tu n'as pas besoin de moi »
ce qui est totalement injuste, parce qu'elle est restée
plus que charmante, délicieuse, affectueuse, tendre avec
moi.
Le médecin
Bon, en résumé, nous sommes dans la phase «
trésor caché » secret à vous toute
seule… ?
La jeune femme et patiente
Oui, et je ressens cela comme agréable, une sorte de…bulle
entre le bébé et moi, à l'abri des autres,
avec un…un rempart qui est uniquement celui de la parole,
c'est amusant, plaisant au possible, en fait… (Elle
sourit largement et en même temps…tendrement)
je trouve qu'il y a des égoïsmes très bénéfiques,
non ?
Le médecin
Il sourit à son tour.
N'attendez pas une confirmation, nous sommes tout simplement
dans le constat, et tous les bénéfices secondaires
imaginables existent dans la vie, avec des centaines d'occasions
de toutes sortes je crois, donc si je vous dis « oui »
c'est dans un sens objectif de constat identique au vôtre,
mais pas dans celui d'une approbation ou d'un refus…
Tous deux restent silencieux un bon moment.
Le médecin
Il reprend la parole après avoir
regardé si sa patiente s'apprêtait à ajouter
quelque chose.
Quelle est…votre attente…je veux dire vis à
vis de moi aujourd'hui ? Vous êtes venue m'informer…me
présenter la femme nouvelle que vous êtes devenue,
extérieurement, et me tenir au courant de la grande nouveauté…intérieure
?
La patiente
Oui, j'en avais envie, bien sûr, et…et je voudrais
continuer....mais je ne sais pas si…
Le médecin
Si ?
La patiente
Je me suis demandée si… si vous suivez des grossesses,
d'abord, j'ignore comment tout ceci évolue, si vous avez
la possibilité, le…le goût pour cela, personne
n'est forcé je suppose ? Si par ailleurs vous pensez,
en cas de réponse positive, que dans mon cas, du fait
que…que je vous ai vu pour tout autre chose au départ,
c'est…c'est opportun, adapté, enfin comment tout
cela se passe, jusqu'à quand un médecin de ville
s'occupe des femmes enceintes, en bref comment tout cela s'organise,
pour moi comme pour les autres, vous voyez ?
Le médecin
Je vois…et j'entends que vous êtes très organisée,
réfléchie, que vous construisez bien tout, et
je pense que vous avez totalement raison. Pour vous répondre,
il me semble que le médecin dit de famille est complètement
adapté pour suivre les grossesses, s'il en a comme vous
dites envie, c'est à dire si cela l'intéresse,
le motive, et de ce fait entraîne une mise à jour
permanence des connaissances…
La patiente
Oui, oh je n'allais même pas jusqu'à mettre en
doute…
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