De Temps-en-tant
CONTE METEOROLOGIQUE
De progrès, notre époque est tellement
rassasiée
Qu’elle se sent bénie, s’admirant,
extasiée.
Dans la moindre des sciences, dans toute vie ordinaire,
Il foisonne et s’installe sans même en
avoir l’air,
Tel un baume insidieux qui tout nous envahit.
Partout de ses bienfaits on se trouve investi :
La culture ou l’élevage, les maths ou
la physique,
Philo, biologie, médecine, mécanique,
Du vieillissement des vins au GPS magique,
De l’internet rapide au rap si mélodique,
La perfection approche, grâce à nos belles
techniques.
Du maïs OGN aux club-meds édéniques,
De nos gènes en hélice aux big-bangs
atomiques,
Des porte-containers jusqu’aux films érotiques,
Du paiement de la dette, aux trouvailles politiques,
Des Grenelle du climat, aux déficits chroniques
Tout progresse, s’améliore, se comprend
et s’explique
Sous la férule géniale de fée
informatique
Et de nos grands cerveaux, nos enseignants, nos maîtres,
Pour qui ce bon Platon n’est qu’un naïf
ancêtre.
De nos prix littéraires au savoir des enfants,
Les exemples sont multiples de ces pas de géant.
Ils laisseraient sans voix et Rousseau et Voltaire,
Béats d’admiration, ne sachant que se
taire
S’ils pouvaient contempler notre avancée
immense,
Depuis leur Panthéon, enviant notre chance.
C’est pourquoi le bonheur chaque jour nous inonde
Nous rendant si heureux dans le meilleur des mondes.
Moi qui suis un puriste, il est pourtant une science
Qui me laisse sur ma faim du côté performances.
Tous ces progrès flagrants qui pour notre bien-être
Perfectionnent nos vies, l’auraient omise, peut-être
?
En pensant que le temps
par ces époques modernes
N’intéresserait plus que les vieilles
badernes ?
Le temps ? me direz-vous,
que vient-il donc faire là ?
Il courrait donc trop vite, comme les autres, celui-là
?
S’agit-il de pendules, de chronomètres,
d’horloges,
Ou bien de simples montres que cette science s’arroge
?
Nullement, rassurez-vous : il y a temps et temps.
Le temps qu’il faut qu’on tue, quand l’âme
s’ennuie tant
Ou le temps des cerises, n’est pas ce que j’entends.
Le temps dont je vous parle est beaucoup plus patent
Et celui qui m’occupe n’est pas celui
qui passe
A attendre cent ans que tout siècle trépasse
Le temps dont il s’agit
n’est que celui qu’il fait
A déjà fait hier, même si ce sont
méfaits
Ou nous fera demain en espérant bien mieux.
C’est celui qui commande et les nuages et les
cieux
Qui fait la canicule, la grêle, la pluie, le
vent.
Ou endeuille nos week-ends quand la météo
ment .
Un Noël sans glaçon fait une Pâques
à frissons :
La nouvelle météo aime les mortes-saisons.
Plus d’automnes à grosses pluies, plus
de neiges en hiver
La mode est aux inverses, aux saisons à l’envers.
C’est le climat, disais-je, qui ces temps-ci
(!) m’embête
Car les prévisionnistes nous font trop de courbettes.
Tout leur art, c’est prévoir ce qu’on
désire entendre,
Ce que chacun souhaite et espère bien apprendre.
Comme les extra-lucides , mais en plus onéreux,
Leur astuce est de dire ce qui rendra heureux.
Vous voulez de la pluie pour que vos plantes poussent
?
Une dépression, c’est sûr, s’en
vient à la rescousse.
Ce dimanche à Deauville, il vous faut du soleil
?
Le satellite assure que le bleu appareille.
On voit là les progrès que les savantes
machines
Qui à la météo sont d’énormes
usines
Ont fait faire à la boule autrefois de cristal
Ou au marc de café dont les mages nous régalent.
Ils se trompent dites-vous, ces augures optimistes
?
Mais ce n’est pas leur faute, pauvres prévisionnistes,
Si leur anticyclone, leur chéri des Açores
Ne veut jamais monter aussi nord qu’on l’implore
!
On a beau supplier, lui indiquer l’endroit,
Il fait la sourde oreille ou joue les maladroits.
La météo bafouée, lasse de rester
stoïque
Est allée très-très loin et jusqu’au
Pacifique
Dénicher El Niño comme bouc émissaire
Pour expliquer nos maux de curieuse manière.
Plus c’est loin, plus c’est beau ; et
les côtes chiliennes
Ont cent fois plus d’atouts pour que l’été
revienne !
A bas l’anticyclone, au diable les Açores
Vive donc EL Niño et la pluie s’évapore
!
C’est important, le temps, pour cent mille raisons
:
D’abord et avant tout pour la conversation.
Que dirions-nous sans lui, en montant l’ascenseur,
Les yeux sur nos chaussures avec des airs penseurs
?
Et sur nos cartes postales, si nous n’avions
le ciel
De quoi parler aux gens, sans ce providentiel ?
Le temps meuble les silences, les rencontres, les
« bonjour ! »
Toujours d’actualité il sert la nuit,
le jour.
On peut en commenter les causes et les effets,
Déplorer ses orages, encenser ses étés
Gloser sur son passé, qui hante de vieux souvenirs
Prévoir son futur proche, si lié à
notre avenir.
Il fait le chaud, le froid et parfois il tempête.
Toujours il évolue : jamais ne se répète.
S’il a fait beau samedi et aussi vendredi,
Dimanche sera maussade comme fut aussi jeudi.
Depuis les égyptiens, c’est un sujet
sans fin
Qui passionne les savants, excite les aigrefins.
S’il fit flotter Noë, s’il tua les
dinosaures,
Aujourd’hui, c’est bien pire que sans
doute on déplore.
Le temps fait fondre les glaces et fait monter les
mers
Bientôt, il tuera l’homme qui poursuit
ses chimères
Bouleverse ses climats, massacre sa planète,
Confisque son ozone, la chauffe tant qu’elle
halète.
De la mer sans poisson aux ciels privés d’oiseaux,
Notre race, facilement, accuse la météo
A quand, la fin des temps, la fin de l’homme
sur terre ?
L’extinction : nucléaire ou bien par
effet de serre ?
Le temps menace les temps, il est temps de le voir
On a tant attendu qu’on doute d’un espoir.
Alors, lui aussi passe ? Comme le temps
des montres ?
Trop compliqué tout ça, pour que je
le démontre !
Le temps de ma jeunesse et puis le
temps de chien.
Celui de mes vingt ans ou de l’été
indien.
Je confonds tous les temps et les cite comme ça
vient
En mélangeant l’histoire avec les aoûtiens.
Laissons filer LES temps, puisqu’ils tiennent
à passer.
Il y a temps pour tout, il ne faut pas stresser.
Historiques, climatiques, qu’ils soient de chronomètres
Ou d’été et d’hiver, soumis
au baromètre,
Ils passeront toujours, soit avec, soit sans nous
;
Durées ou bien saisons, nous en prendrons les
coups.
Des sinistres temps-morts aux bons vieux temps jadis,
Chaque temps n’a qu’un temps pour nous
raser gratis.
Si Noël est à Pâques, les tisons
aux balcons,
Ma météo s’aggrave et tombe en
perdition.
Il est temps d’arrêter. Les temps de mes
automnes ,
Quand ils tournent à l’hiver, le déclin
me talonne.
Alzheimer, Parkinson , j’entrevois leurs menaces,
Sans compter d’autres maux qui me font la grimace.
Je ferme mes volets ; dehors les étoiles brillent.
De ma vieille jeunesse, les souvenirs scintillent.
C’est un printemps de plus : pour moi encore
combien ?
Bonsoir, sacrée vieillesse ! Fera-t-il beau
demain ?
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Jacques Grieu