Le vieil Homme et la Terre
CONTE METEOROLOGIQUE (SUITE)
J’avais fait un poème, un petit conte gentil
Pour dénoncer le temps, les augures pervertis
Les désirs optimistes relevant d’utopies
:
Résultat : on me taxe de basse misanthropie !
Certains m’ont supplié de revoir ma copie
Dont la seule lecture donnait des insomnies !
Je ne sais, paraît-il, que décrire tout
en noir
Et mon vil pessimisme suscite le désespoir.
En demandant pardon, je suis donc allé voir
Un crack en météo dans son laboratoire.
Ce bon ami, Etienne, en très fin spécialiste
M’explique qu’en météo, mes
dires sont passéistes.
« Tu retardes de dix ans,
tu es un défaitiste
Et tes belles conclusions celles d’un obscurantiste.
Les Açores, le Chili, tout ça est dépassé.
Tes vieux anticyclones, chacun en a assez,
Et ton pauvre El Niño totalement surclassé.
Depuis au moins trois ans, on les a remplacés.
La météo, mon cher, est une science moderne
Et c’est toutes les secondes que le temps la concerne.
Ses gros ordinateurs sont maintenant si puissants
Que c’est tous les six mois qu’il faut des
remplaçants !
Toutes tes théories sont cent fois obsolètes,
Jette-les aux orties ; elles ne valent plus tripette.
»
Assommé, fort déçu, par ces révélations,
J’ai renouvelé mes sources et revu la question,
Potassé Internet et tous les bons manuels,
Et de l’environnement étudié le
Grenelle.
C’est donc vrai qu’à côté
de mes bonnes habitudes,
Les nouvelles données m’ont changé
d’attitude.
La météo actuelle, bardée de certitudes,
A de mon vieux savoir montré la désuétude.
Même en géographie, je ne suis plus à
jour ;
Sur les vue-satellites, je perds tous les contours.
Je cherche la mer d’Aral, ne vois rien qu’un
étang
Et de l’immense lac Tchad, il reste tout autant
A Assouan, aux Trois Gorges, c’est l’inverse,
ça s’étend !
Les forets sont exsangues, les déserts galopants
!
De mon temps, les records des terribles typhons
Montaient vers les deux cents, au plus fort des plafonds.
Maintenant, à trois cents kilomètres par
heure,
Personne ne soutiendra que vous êtes un menteur
!
Les cyclones étaient rares ; aujourd’hui,
c’est courant,
Les satellites les voient en chapelets errants.
Tout grossit, tout va vite, tout augmente, tout progresse.
Laissez-moi respirer : cette météo m’agresse
!
Ah, ils sont vraiment forts, tous ces nouveaux cerveaux
!
Je me sens dépassé quand j’admire
leurs travaux
« Tu n’as encore rien
vu » m’assure fièrement Etienne
« Car c’est à
cinquante ans que nos calculs parviennent.
Il faut maintenant s’élever, sortir de
l’atmosphère
Prendre de la hauteur, et voir la troposphère,
Mesurer l’équinoxe, comme le périhélie,
Dont les précessions changent, influant l’aphélie.
Considérer l’orbite, soumis à Jupiter
Dont l’excentricité vient perturber la
terre.
Les protoxydes d’azote, l’anhydride sulfureux,
Le dioxyde de soufre, sont gaz plus pernicieux
Que tes couches d’ozone, tes rayons ionisants.
Quand notre albédo baisse, les frileux sont contents
» .
Ebloui par cette science, je me sens déjà
mieux.
Mais mon ami poursuit sur un ton sentencieux :
« Il faut prendre du recul
: les continents dérivent
La tectonique des plaques, influe ce qui arrive.
Il nous faut réfléchir, sonder la lithosphère,
Sur nos ordinateurs, guetter l’asthénosphère.
Quand tous les permafrosts se seront ramollis
On y sèmera du blé sans grande mélancolie.
Plus de neiges dans les Alpes ? Plus de vaches à
l’étable !
Tout comme en Normandie, leur pâture sera stable.
Le Kilimandjaro n’aura plus de calotte ?
Ce n’est qu’un signe de plus que la chaleur
grignote.
Plus de glaces en arctique ? Vive les mers de Baffin
!
De Barents, du Spitzberg ! Du pôle nord les confins,
Seront des voies nouvelles pour la navigation,
Raccourcissant les routes entre bien des nations.
De nouveaux ports viendront remplacer la banquise ;
Une vraie révolution et bien des convoitises…
Cigognes et hirondelles nous restent en hiver,
Le merle siffle en décembre, le pinson persévère.
La mer Morte disparue ? C’est pas la mer à
boire !
On saura s’adapter, et moi, je veux y croire
»
Etienne est épatant. Quel discours il nous tient
!
Mon moral est revenu qui était bien atteint
Par le nombre des camions, des autos, des avions,
Que je vois enfumer chaque jour nos poumons.
Trop d’arbres disparus, de glaciers rabougris
De pollution des mers : mon caractère s’aigrit.
Mon passé s’étire tant qu’il
risque de claquer,
Mon futur qui s’étrique, je n’ose
le provoquer.
La concordance des temps,n’est pas science facile
;
Grammaire et météo sont mes tendons d’Achille.
Heureusement ce génie a une vision perçante
Et sait scruter l’avenir d’une manière
fort savante.
De l’écouter bouche bée, je ne peux
me lasser,
Alors me laisse convaincre sans plus me tracasser.
J’oublie le CO2, mon âge et le méthane,
Mais craint que mes questions ne viennent chercher chicane.
Il en est une, pourtant, qui me brûle les lèvres,
Mais qui est bien mesquine et peut-être un peu
mièvre.
Je sens qu’elle est osée, peut-être
même indiscrète.
Ne va-t-il pas penser que toujours je répète
?
Pourtant elle m’intéresse, j’insiste
et c’est humain :
« S’il te plait cher
Etienne : fera-t-il beau demain ? »
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Jacques Grieu
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