Difficile daborder ce sujet lorsque lon
est médecin. Les générations qui
nous ont précédés, en tout cas
jusquaux années 50, avaient statué
sur la place des unes et des autres. Le métier
de médecin, reconnu, glorieux et celui dinfirmière
tout au service à la fois du seigneur des lieux
(le médecin) et des patients. Il est vrai que
lorigine du métier est liée très
fortement et anciennement à celui de religieuse.
Se donner toute entière au service de Dieu et
des malades, sous le regard autoritaire du chef de service.
Il me semble pourtant que dans la maladie qui gangrène
notre corps de santé, les infirmières
comme les médecins ont leurs responsabilités.
Le corpus economicus nest pas le seul à
blâmer.
Comme souvent le balancier des comportements est allé
trop loin, trop vite, trop fort dans la remise en cause
sans discernement de tout ce que prônaient nos
anciens.
Comme toujours pour retrouver la confiance il nous faut
revenir aux origines. En premier lieu létymologie
: de firmus, ferme qui donnera firmitas : solidité
et infirmitas : faiblesse.
Lorigine de ce mot contient donc lessence
même du rôle de linfirmière.
Vous avez du remarquer que nous parlons de ce métier
au féminin. Vieille habitude des anciens temps,
toujours dactualité puisque le sexe faible
est bien plus important en nombre.
Donc des femmes, en grande majorité, se devant
dassister Le médecin au chevet du patient.
Comme pour le corps médical, la disponibilité
était une valeur sure.
Que sest-il donc passé pour que la pénurie
se fasse grandissante (comme chez les toubib) ?
Il est évident que nous avons certainement confondus
le but et les moyens.
Je mexplique. Jusquà peu, le but
était la réalisation dune sorte
didéal de service. Le sens était
clair : être utile à plus souffrant que
soi. Les moyens étaient la disponibilité,
la générosité, une certaine qualité
de présence, de toucher, de sécurité
dans les gestes techniques.
Je reste convaincue quun certain nombre de soignants,
médecins ou pas, ont toujours cet idéal
au fond du cur. Mais ce qui a changé cest
que la société a transformé la
notion de service. En mieux lorsquil faut remplir
le frigidaire mais en pire lorsque la notion de gratuité
se retrouve casée sur létagère
des antiquités poussiéreuses.
Il est parfaitement normal que lon puisse tirer
profit de lexercice de son métier. Ce nest
donc pas vraiment de la rémunération dont
je parle. Plutôt de lesprit dans lequel
on choisit de servir lautre. Linconscient
collectif assimile encore la notion de service à
la servitude. Pas très loin de lesclavage.
Et il est certain que dans des services souvent surchargés,
soumises aux exigences de plus en plus « féroces
» des patients le sentiment dêtre
esclave de son métier doit exister. Sans parler
des rémunérations.
Et que dire de la relation avec nous, les médecins.
Las ! Quil est loin le temps béni de ladoration
sans partage ! Nous étions les grands couturiers
de nos petites mains dévouées. Sauf que
dhumiliation en parties fines, nous avons montré
trop souvent les limites de notre humanité. Et
voilà, plus dadoration, les syndicats,
les 35 heures et de jeunes infirmières formées
par des protocoles qui ont oublié lindividu.
A force de vouloir tout sécuriser leur formation
ressemble de plus en plus à la nôtre :
grosse tête et cur absent. Il ne faudrait
quun pas dénarque pour inventer le
minutage des poses de perf.
Plus grave encore, elles ont enfilées le costume
préféré des médecins : lurgence.
Souvenez-vous : de longs couloirs traversés à
toute vitesse par les internes et chefs de cliniques,
cols relevés, blouses flottantes
qui me
faisaient penser au lapin dAlice au Pays des Merveilles.
Pas le temps pour sourire, pour échanger, partager,
toucher. Pourtant quelle que soit notre rapidité,
nous mourons tous. Alors prenons notre temps.
En 2004, d'après la Revue de l'infirmière,
60 % des infirmières travaillant dans des services
de long séjour ne participent aux soins dits
" de base " qu'entre 0 et 1 fois par jour.
Comme l'écrivent les auteurs de ce numéro
de la revue: " Pour ce qui concerne des tâches
relevant théoriquement du rôle propre infirmier
avec l'aide à l'alimentation, à la mobilisation
et à l'hygiène, l'organisation actuelle
du travail écarte de fait les infirmières
de ces tâches. "
La partie de ce rôle propre concernant l'hygiène
et la toilette serait-elle en fait un " rôle
sale ", qui ne serait bon qu'à être
délégué à une sous catégorie
de soignants que seraient les aides soignantes. Quel
ressenti ces aides-soignantes peuvent-elles alors avoir
de leur travail et du corps des patients ?
Entre les soins techniques, les réunions, les
formations et lavalanche de paperasseries les
soins de base sont en effet dévolus aux aides
soignants. Avec chez eux aussi un tel sentiment de dévalorisation
que les gestes deviennent impersonnels.
Dailleurs ce sentiment existe dans toute la chaîne
de la santé : le patient dévalorisé
dans sa plainte, le médecin dans la reconnaissance
financière des ses années détude
et par les Grands Administrateurs, les infirmières
par les médecins et les patients, les aides soignants
et les administratifs par tout le monde. Est-ce donc
là que nous pouvons trouver lorigine de
la pourriture du corps de santé ? Est-ce que
la maladie aurait le pouvoir étonnant denlever
de la valeur aux personnes ?
Alors en ce début dannée, nous pouvons
rêver. Rêver que les études valorisent
enfin « les humanités », que les
médiatico-politico-technocrates nous laissent
travailler en paix, que les soignants soient déchargés
des contraintes administratives (téléphone,
rendez-vous radio
, course à la place en
soins de suite
).
Oui, nous pouvons rêver que le mot vocation soit
encore une invitation au service et pas une voix qui
crie dans le désert.
NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver,
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