Faut-il vraiment effacer les mauvais souvenirs
avec la pilule de loubli ? Cest ce que proposent
certains spécialistes de la mémoire :
la pilule dite anti-trauma donnée
après un événement traumatisant
pour gommer des souvenirs trop douloureux.
Des essais cliniques concluants ont démontré
que certaines molécules prises après
un événement stressant seraient susceptibles
de réduire les risques de SSPT, résistants
aux traitement classiques. Les symptômes
du stress post-traumatique (SSPT) se manifestent,
entre autres, par des souvenirs perturbants, récurrents
et intempestifs: images, pensées, impressions,
rêves. Et de nouvelles générations
de médicament permettraient déliminer
ces manifestations. Pour les neuroscientifiques,
le SSPT sexplique par un excès dhormones
de stress qui impriment le souvenir trop profondément
dans le cerveau. Pour y remédier, le
principe est de bloquer les effets de ces hormones
pour éviter lencodage pathologique du souvenir
traumatique par lamygdale hyperactivée. Car
des mois et des années après lévénement,
un son, une image, une odeur pourra réveiller
la mémoire amygdalienne (la mémoire émotionnelle),
laissant la personne en proie à ses terreurs.
Dans le cadre dune étude pilote réalisée
au Massachusetts Hospital, le Dr Roger Pitman
a sélectionné 19 patients ayant subi récemment
un traumatisme. Pendant 10 jours, ils ont reçu
soit du Propranolol - un bêtabloquant utilisé
contre lhypertension mais qui agit sur les
récepteurs du cerveau impliqués dans le
stockage du souvenir - , soit un placebo.
Trois mois après, ceux qui avaient reçu
du Propranolol ont manifesté moins de symptômes
de stress que ceux ayant pris le placebo. Mais
parfois le SSPT remonte à des années.
Et pour voir si la pilule de l'oubli est aussi
efficace, Roger Pitman, Karim Nader et Alain
Brunet de luniversité McGill, ont recruté
dans la région de Montréal une vingtaine
de personnes ayant subi un traumatisme (mauvais traitement
pendant lenfance, agression sexuelle
ou accident) il y a vingt ou trente ans , et
leur ont prescrit du Propranolol avec des résultats
également probants.
Les médias l'ont surnommée improprement "pilule
de loubli". Le but est n'est pas deffacer
les mauvais souvenirs de lévénement
mais de diminuer leur charge émotionnelle,
pour la rendre accessible aux thérapeutiques
traditionnelles, psychothérapie et traitement
psychiatrique. Seulement voilà, jusqu'où
a -t-on le droit deffacer les souvenirs pénibles
et quel est le revers de la médaille?
Malgré les essais cliniques concluants,
cette génération de médicaments
suscite la controverse sur d'éventuels problèmes
éthiques. Le risque serait dabord
quelle soit prise à tort à tort
et à travers comme le sont les psychotropes,
et que cette pilule de l'oubli devienne un substitut
à tout échange verbal avec les acteurs
de la santé ou avec son entourage. Et jusquoù
peut- on manipuler la mémoire chimiquement sans
manipuler mentalement? Pour certains psychologues, émousser
les émotions ne serait pas la meilleure
solution car les victimes du SSPT sont maintenues dans
un état de dissociation entre leur vécu
et la neutralité émotionnelle, ce
qui rendrait difficile lintégration de
leur expérience, aussi pénible soit-elle.
Ce qui signifie quils sont en état altéré
de conscience sur une longue période de temps.
Retrouver la paix de lesprit ne se réduit
pas à avaler une pilule miracle. Être
à la recherche du temps perdu n'est pas une simple
affaire de molécules chimiques qui robotise notre
part d'humanité. Bons ou mauvais, les souvenirs
font partie intégrante de notre personnalité.
La pilule de loubli: un concept marketing
ou une réelle avancée scientifique?
La quête du bonheur à tout prix serait-elle
aujourd'hui uniquement artificielle?
Sources:
Sciences et Avenir, Mai 2006, La pilule Anti-trauma,
Elena Sender
Le Courrier International -no 800-2 mars 2006, Une pilule
qui efface les mauvais souvenirs, Amkjha, The Guardian
Le Courrier International -no 709-3juin 2004, A-t-on
le droit d?effacer les souvenirs pénibles, Steven
Rose, The Guardian
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