La vie a fait que je nai jamais connu de
médecin dans mon entourage familial. Lenfant
que jétais se souvient fort bien sêtre
posé la question du fonctionnement du médecin
de la famille. Comment faisait-il donc pour deviner
ainsi la nature de ces maladies pas très rassurantes
? Par quel prodige de la nature se souvenait-il de tant
de noms barbares et jonglait-il avec des noms de remèdes
aussi nombreux ? Vraiment, quand la vulgarisation médicale
nexistait pas encore, cétait , à
mes yeux denfant, aussi admirable que merveilleux,
et ... mystérieux.
En vérité, devenu médecin, je nai
guère cessé de minterroger sur létrange
alchimie mentale qui conduisait en quelques brèves
minutes à la prescription de quelques remèdes
censés améliorer, ou guérir nos
multiples maladies. A moins quun héroïque
bistouri chirurgical ne vienne trancher dans le vif
du sujet, décidément bien patient. Si
lon en croit les préceptes de lenseignement
médical, cest la recherche patiente et
surtout méthodique de tous les symptômes.
Et une fois, dûment consignés par écrit
dans ce que nous appelions jadis une observation médicale,
tous ces signes sont censés permettre de retenir
et de formuler un certain nombre dhypothèses
sur lorigine des troubles pathologiques du patient.
A ce moment là, et à ce moment seulement,
des investigations dites complémentaires devraient
permettre de passer dun diagnostic probable à
un diagnostic de certitude. Telle est la tradition,
je pense encore rapidement évoquée actuellement,
de lenseignement de la médecine.
Dans
la pratique, les choses se passent bien autrement. Le
jeune médecin en formation dans les services
hospitaliers constate immédiatement que la façon
de procéder de ses aînés est aux
antipodes de ce qui lui a été enseigné.
On nécoute guère le malade, et le
temps consacré à son examen succinct ,
quand même il existe, est des plus limité
et ressemble davantage à un rite quà
une activité menée avec conscience . Notre
carabin découvre que le malheureux humain qui
franchit les portes de lhôpital est devenu
une sorte de marchandise inerte et anonyme. Il doit
immédiatement être bilanté,
horrible expression pour désigner la batterie
dexamens systématiques qui est devenue
la règle dès lentrée. Lobservation
dont nous parlions a disparu, comme dans un ministère
ou un tribunal, il nest plus question que de dossier.
Oui, le malade de chair et de sang est devenu un dossier
de papier, dimages, de graphiques et décrans
numériques. Passons rapidement sur le coût
financier faramineux de cette multitudes dexamens,
qui ne sont la plupart du temps pas prescrits en fonction
des symptômes que présente le patient,
mais pratiqué à titre systématique.
De cette masse dinformation ramassée par
ce que nous pouvons nommer un véritable chalut
: vaste filet de pêche en mer tracté de
longues heures par de puissants bateau, on va de temps
en temps extraire un diagnostic médical. Or,
ce type de trouvaille est bien souvent totalement étranger
aux troubles qui ont conduit le patient, et son médecin
traitant, vers le monde hospitalier. Comment sétonner
de la déception de chacun quand le système
est incapable de répondre à la demande
du patient et des médecins, en se contentant
de donner une réponse à côté
? Énorme, ruineux et désespérant
quiproquo pour les usagers. Ouverture de
fait vers de dangereuses voies de soins alternatifs,
remplies de charlatans et dilluminés de
tout poil.
Nous en sommes arrivés, quelque soit le jugement
quon puisse formuler, à une médecine
de papier. On détecte les maladies avec la technique
aveugle des chalutiers. Se lamenter sur le recul des
manières de travailler de jadis, par nécessité
technique et scientifique plus que par vertu fondées
sur la seule clinique, ne sert à rien. Par contre
avoir clairement à lesprit quil existe
une autre façon de penser la pratique médicale
que celle qui domine demeure une nécessité
pour notre santé de demain à tous. La
pêche à la ligne, qui nécessite
certes beaucoup de temps ( ce temps médical quon
veut toujours réduire car il coûterait
trop cher ), beaucoup de patience, beaucoup de savoir-faire,
beaucoup dengagement personnel, demeure une technique
irremplaçable. En médecine clinique comme
sur la mer. La qualité des prises,
quon nous pardonne cette métaphore, nest
tout simplement pas comparable en qualité. Pour
finir sur une note gustative, déguster un bar
de ligne et se nourrir dun bar pêché
au filet nont tout simplement rien à voir.
Car, finalement, et contrairement à ce que nos
puissants disent en permanence, ce ne sont pas eux qui
décideront de la médecine de demain. Ce
ne sera pas non plus les médecins et les soignants,
bien trop empêtrés dans leurs intérêts
immédiats. Ce seront les citoyens. Si toutefois
ils cessent un peu de se laisser berner par des manipulateurs
dopinion pour, enfin, juger et décider
par eux-mêmes.
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