Où
il sera question de sexe, dAldous Huxley (1),
des jeunes et détranges courants de fonds,
finalement bien paradoxaux .
Étrangement,
à quelques jours dintervalle, des penseurs
se sont penchés sur la sexualité des Homo
Sapiens.
La première, uniquement par antériorité,
professeur de philosophie à Québec, nous
parle de lhypersexualisation de nos sociétés.
Elaine Larochelle a répondu au défi lancé
par un journal québécois, Le Devoir :
décrypter un fait dactualité à
la lueur des thèses dun grand penseur.
Après publication ce sont les élèves
qui évalueront la copie de leur prof. Sujet choisi
: Huxley et notre société hypersexualisée.
Surexposition du corps féminin, sexualité
dépourvue de signification, sexualisation de
l'enfance : comment ne pas penser au livre Le Meilleur
des mondes d'Aldous Huxley ? Dans ce monde, les activités
sexuelles des enfants sont considérées
non seulement normales mais également souhaitables.
Ils reçoivent un enseignement hypnopédique
de «sexe élémentaire», on
rencontre un petit garçon de sept ans et une
petite fille de huit «s'amusant à un jeu
sexuel rudimentaire» et des centaines d'enfants
rassemblés prenant part «à des jeux
de construction et de modelage, au zip furet et à
des jeux érotiques».
Si notre monde représente l'enfant comme un «adulte
sexuel miniature», Huxley, lui, pousse cette image
jusqu'à la renverser. Selon lui, la précocité
sexuelle provoquée ainsi que l'accès facile
à la sexualité font en sorte que les adultes
demeurent des enfants aux niveaux émotif et moral
: «Des adultes, intellectuellement et pendant
les heures de travail, [...] des bébés
en ce qui concerne le sentiment et le désir.»
La sexualisation précoce rendrait donc la maturité
et l'autonomie, sinon impossibles, du moins très
difficiles et du coup extrêmement rares.
Dans le Meilleur des Mondes Huxley, nous dépeint
une société « heureuse » parce
que libérée des émotions et de
lintériorité.
D'ailleurs, l'intimité est la rencontre de deux
intériorités. Et l'intériorité
se construit dans le calme et la solitude, par les pensées
et les rêves. Or on fait tout pour empêcher
qu'un individu ait de l'intériorité. La
solitude est proscrite. La réflexion aussi. Il
ne doit pas y avoir de sentiments. Dès lors,
la sexualité est ravalée au rang de loisir,
de divertissement. S'il en était autrement, l'ordre
social s'en trouverait menacé. Pour qu'il subsiste,
il faut que tous adhèrent à l'adage selon
lequel «chacun appartient à tous les autres».
Et s'il arrive à quelqu'un de ressentir le vide,
le manque, la tristesse, il a toujours sous la main
le soma, médicament du bonheur.
Pour Huxley, donc, l'hypersexualisation est un instrument
d'abrutissement des humains. Elle contribue à
la perte d'identité (rapport à soi) et
d'intimité (rapport à l'autre) et rend
les gens d'autant plus perméables aux slogans
qui les portent à la consommation de biens futiles.
À l'inverse, malgré le conditionnement,
la perspective de l'intimité est toujours perçue
comme possible et menaçante pour la société
du Meilleur des mondes.
Je suis certaine que ces quelques lignes vous feront
froid dans le dos tant le monde décrit avant
la guerre de 40, et que Huxley situait dans 600 ans,
ressemble fort au nôtre.
Autre penseur, Jean-Philippe de Tonnac, journaliste,
nous présente ces adultes chastes qui seraient
de plus en plus nombreux en Europe et aux USA. Surtout
chez les trentenaires. (La révolution asexuelle
chez Albin Michel)
Pourquoi
donc aborder ce thème dans une LEM ? Tout simplement
parce quil me semble important que les médecins
puissent accompagner des patients de plus en plus déboussolés
par les diktats de certains gourous du sexe qui décident
quil existe une norme absolue et que refuser de
faire « crac-crac » est très mauvais
pour la santé.
Nous ne pouvons que faire un lien entre le monde décrit
par Elaine Larochelle et celui de Jean Philippe de Tonnac.
Trop de sexe tue le sexe. Comment demander à
une partie non négligeable de nos Tanguy de vivre
comme des adultes. Comment leur donner le goût
de la responsabilité, de lengagement, du
désir dans une société qui fait
de lintimité la couverture des journaux
à scandale ?
Comment leur donner confiance en leur compétence
dêtre humains ?
Quelle
est donc notre part de responsabilité, à
nous soignants, médecins ou psy dans cette «
perte didentité et dintimité
». Elle est certainement très grande dans
notre volonté de déculpabilisation, de
tolérance, de dédramatisation
Grande
aussi dans le psy à tout prix pour avoir confiance
en soi.
Combien dentre nous ont eu à expliquer
à une mère que donner la pilule à
sa fille de 12 ans nest peut-être pas judicieux
et combien dentre nous lont-ils fait sous
le fallacieux prétexte quon ne pouvait
pas lempêcher de « séclater
» alors quil valait mieux éviter
le pire ! Combien dactes de chirurgie esthétique
à la limite du supportable pour séduire
à tout prix ? (voir lédifiant concours
de Miss Swann)
Il nest pas ici question de morale, juste de bon
sens. De sens tout court à vrai dire. Le sens
dune vie loin de lhyperconsommation, des
divertissements idiots, des matraquages du genre coupe
du monde par les médias.
Nous lisions il y a quelques jours dans nos LEM que
lhyper technicité galopante de la médecine
retirait toute proximité avec les personnes qui
venaient nous voir. Nous assistons désolés
à la mise en place de deux spécialités
: dun côté les médecins et
leurs batteries dexamens en tous genres et de
lautre les psys, justification facile de labandon
du lien dans la relation de soins.
Loin de moi de penser que lune ou lautre
sont inutiles mais leur éloignement renforce
chaque jour davantage limpression hallucinante
dêtre un des bêtas dAldous.
Mais je peux me rassurer : les alphas veillent !
Je laisserais la conclusion à Elaine Larochelle
:
À la différence du Meilleur des mondes,
nos sociétés libérales n'ont pas
connu de campagne ouverte et violente contre le passé
: personne n'a fermé les musées, détruit
les monuments historiques et supprimé la grande
littérature. Mais dans nos démocraties,
alors que les grandes oeuvres devraient être valorisées
et accessibles à plus de gens (parce qu'elles
stimulent la réflexion et que la réflexion
personnelle est nécessaire pour que la démocratie
ne soit pas démagogie), leurs effets sont neutralisés
à l'avance par une campagne douce et insidieuse
: celle du divertissement facile et de la sexualité,
celle du divertissement empreint de sexualité.
Habitués aux sensations fortes, aux images fortes
qui interpellent directement l'instinct sexuel, quel
intérêt auront les élèves,
et les gens en général, pour les oeuvres
qui demandent un effort, qui s'adressent non pas au
corps mais au coeur et à l'intelligence ?
Quel beau défi pour les soignants que de rester,
envers et contre tout, les médecins du cur
?
_________________________________________________________________________________________________________
(1) NDLR : Aldous Huxley - 1894-1963 - romancier britannique
a écrit en 1932 Brave New World
titre traduit en français par Le meilleur
des mondes. Petit fils dun biologiste partisan
de Darwin, frère dun zoologiste qui fut
le premier directeur de lUNESCO en 1946, et demi-frère
dAndrew Fielding, neurologue et Prix Nobel de
médecine 1963 avec un certain Hogkin.
_________________________________________________________________________________________________________
NDLR : Comme l'Internet est le moyen idéal
pour le faire, il ne faut vraiment pas s'en priver,
ami lecteur. Si ce texte vous touche, vous plaît,
vous déplaît ou vous semble mériter
telle ou telle réponse, d'un simple clic sur
le lien "Lui écrire" en haut de page,
un courrier électronique de votre part parviendra
à l'auteur.
FMM, webmestre.
|