Le Figaro du 5 décembre 2006 a lancé un nouveau pavé dans la mare des bugs médicaux.
Chaque année en France, « 125 000 à 205 000 séjours hospitaliers causés par des événements indésirables liés aux soins pourraient être évités » et ne le sont pas. Résultat d’une enquête baptisée ENEIS (étude épidémiologique nationale sur les événements indésirables graves liés aux soins) réalisée pour les hôpitaux sur 4 839 patients dans 292 unités de soins de 71 établissements.
Inutile de vous préciser que ce n’est pas avec ce genre d’information que la confiance des patients pourra se renforcer. Pourtant ce genre d’enquête est indispensable mais comme toujours… son traitement médiatique partiel, pour ne pas dire partial.
Tout d’abord il s’agit d’événements indésirables liés aux soins c'est-à-dire mettant en cause l’intégralité des actes, exécutés ou pas par des médecins. Le titre de l’article ne fait pas de détail : Erreurs médicales. Les soins ne se résument pas aux actes chirurgicaux qui depuis longtemps font l’objet de procédures ne serait-ce que pour éviter d’enlever le rein sain au lieu du rein malade (et pourtant cela existe encore). Erreurs des infirmières dans la délivrance des médicaments, erreur de transcription dans les dossiers, mauvaise vérification des prescriptions personnelles lors des hospitalisations… La liste est longue, directement proportionnelle au nombre d’actes et d’intervenants.
Comme dans tous les métiers la part de l’erreur humaine est considérable et la technicisation des actes augmentent encore l’incidence des risques.
Proposition de méthodologie pour réduire ces accidents : « l'analyse systémique des accidents » fondée sur le travail du philosophe anglais Jack Reason. Voilà qui va certainement réjouir notre webmaître qui milite depuis longtemps pour l’apprentissage de la systémique en médecine (1).
En effet, aucun acte, le plus minime soit-il, ne peut-être accompli isolément. C’est dans l’aéronautique que ce genre d’analyse a été appliqué tout d’abord. Les fameuses check-lists. Pour pouvoir mettre en place ce genre de procédure, il faut tout d’abord repérer les erreurs du haut en bas de la chaîne d’interventions. Du directeur à l’aide-soignant comme il est spécifié dans l’article. Mais le monde de la santé ne s’arrête pas aux limites de l’hôpital et il faudrait aussi inclure les agents ministériels et tutoriaux. En effet la production de règlements et décrets en tout genre complique infiniment la tache de tous les acteurs des soins.
Mais le repérage minutieux des zones de risques ne suffit pas car pour avoir travaillé justement sur les risques dans une école de formation aéronautique, je me suis aperçue que tous les volants connaissaient par cœur leurs check-lists mais que personne ne se souciait de savoir s’ils avaient mal dormi, s’ils étaient en plein divorce ou s’ils avaient perdu un être cher récemment. Voilà le support informel d’une majorité d’erreurs. Le manque d’attention, de motivation, de conscience, la fatigue. Les processus et protocoles sont indispensables mais ne peuvent être réellement efficaces que lorsque le soignant aura la permission de prendre du recul sur son travail. Comment prendriez-vous un chirurgien qui vous dirait : je ne vous opère pas aujourd’hui car j’ai passé la nuit au chevet de mon père mourant ? Et comment ses confrères le regarderaient-il ? Dans un monde voué à la performance, au toujours plus et plus vite, au « j’exige immédiatement » il est fort à parier qu’on penserait qu’il n’est pas à la hauteur. Quand j’ai vu la tête que faisait le chirurgien qui devait m’opérer j’ai su que quelque chose ne tournait pas rond. Mais, confraternité oblige, je me suis tue… suite opératoire un peu chaotique et j’apprends qu’il avait accouché sa femme dans la nuit et que le bébé avait failli mourir. Oups ! Je lui ai clairement exprimé qu’il n’avait pas été…à la hauteur. Car cette fameuse hauteur c’est celle du respect de soi, des autres et de la qualité de son travail. Messieurs les juges politico-médiatiques, militez pour les check-lists, les processus, les protocoles et autres garde-fous. Mais tant que l’être humain restera dans la soumission à l’image ou à l’autorité, tant qu’il ne se respectera pas, tant qu’il sera jugé pour n’être pas Superman, les fous resteront…fous ! Médecins et soignants compris.
(1) Plus exactement, le webmaître en question plaide pour que la dimension systémique de tout acte médical soit enfin pris en compte par les médecins, en particulier généralistes. NDLR
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