Un jour, chez les Dupont où j’étais de sortie,
Madame eut des mots rudes pour son très cher mari.
Lequel lui renvoyait sur un ton fort poli,
Diverses choses aimables en une longue litanie.
Si bien que le dîner, tout en casus belli
De reproches en griefs sans trêve fût rempli.
Étienne qui, lui aussi, était leur invité,
Aussitôt enchaîna sur ces « difficultés »
Étienne est un ami. Un ami de trente ans.
Resté célibataire, il a toujours le temps.
Du temps pour discourir, se distraire, bavarder,
Faire du sport ou flirter, voyager, musarder.
Il tient sur le mariage des propos sarcastiques,
Que certains de ses proches trouvent très philosophiques,
Mais que d’autres, des envieux ( ?), qualifient de caustiques,
Et même quelques belles dames, d’honteusement cyniques.
Telle cette blonde, Chloé Z, rouge d’indignation
Qu’il prend malin plaisir à sortir de ses gonds.
« Le mariage, nous dit-il, est une prescription
Qui pour les sociétés, régulait les passions.
Mais il fut inventé il y a si longtemps,
Que l’espérance de vie n’atteignait pas trente ans !
Qu’en est-il aujourd’hui où l’on va vivre centenaires ?
N’est-il pas obsolète, s’il dure jusqu’au cimetière ?
C’est pour cette raison qu’il « fait vieux » comme Hérode,
Qu’on préfère l’union libre ou les PACS à la mode,
Que la fidélité paraît aux antipodes
Et le divorce rapide une sortie bien commode.
De fait de société, le mariage s’est changé
En jeu de satiété, en mirage affligé. »
Les poèmes pour l’amour, la prose pour le mariage
Nous déclara Étienne en jouant les experts sages.
Mariage plus vieux : mariage heureux.
Voilà un bon prétexte pour repousser ses vœux,
Et quel que soit le temps, les remettre aux calendes
Qu’elles soient grecques ou romaines, respectant la légende.
Et quant au mariage blanc, c’est de toutes les couleurs,
Qu’en voit un des conjoints découvrant son malheur.
« Le mariage, dit Étienne, qui doit être un duo,
Se tourne bientôt en duel et devient lamento.
S’il est indissoluble dans toutes les religions :
C’est, à perpétuité une lourde condamnation !
Mais dans sa grande sagesse, l’église ainsi évite,
De voir dans la même vie, cette bêtise reproduite.
Si les filles à marier ne pensent qu’à convoler,
Celles qui ont réussi ne rêvent qu’à divorcer.
Elles ont cru que l’ennui, à deux serait moins rude
Espérant que le temps laverait la lassitude.
Le mariage rend parfois l’homme heureux, il paraît :
Quand il marie sa fille, c’est alors que c’est vrai !
Les doux liens du mariage ne seraient qu’une longue corde,
Pour que les deux mariés en se pendant s’accordent … »
« Un très bel enterrement est certainement moins triste
Qu’un grand mariage d’amour aux espoirs utopistes.
Les déceptions à deux sont le charme du mariage. »
Professait mon Étienne clairvoyant, tel un mage.
« Des naïfs croient qu’en couple elles deviennent supportables ?
On voit bien qu’au contraire, elles sont plus redoutables !
Et que les différents deviennent inconciliables,
Quand le temps les précise sans les rendre acceptables.
C’est donc que le mariage est pour l’homme un péché,
Un des sept capitaux ainsi qu’il est prêché.
Si ses chaînes sont trop lourdes pour les soulever à deux,
C’est qu’il faut être trois pour les soulever mieux ?
C’est l’art de vivre ensemble aussi heureux que seul
A dit un philosophe aussi gai qu’un linceul.
Il avait des excuses car, ayant essayé,
Il en avait conclu que pour s’en libérer,
Les durs liens du divorce sont bien indissolubles
Et jusqu’à votre mort ne sont pas résolubles. »
L’église plus la mairie, pourquoi ce double nœud ?
Pour éviter toute chance d’évasion à l’un d’eux !
« Épouser une veuve ? C’est mauvaise solution :
Plus aucune garantie, c’est mariage d’occasion.
Seule une épouse aveugle, avec un mari sourd
Peut parfois réussir à faire durer l’amour.
L’unique consolation pour les mariés piégés,
Est de voir leurs amis qui les ont imités.
Mais tout cela finit par filtrer, se savoir,
Et chacun se méfie et ne veut plus y croire.
Le mariage fait trop peur, on préfère les essais.
Seule une profession aspire à ses bienfaits,
Car ce sont les curés qui revendiquent maintenant
Le bonheur d’un calvaire qui les tente naïvement !
Pourquoi leur sacerdoce ne les éclaire-t-il pas ?
On a toujours envie de ce qu’on ne sait pas !
Si jamais, par malheur, leur mariage est heureux,
Tout espoir de divorce est envolé pour eux ! »
Telles sont les théories pleines de lucidité
Que proclamait Étienne avec autorité.
La soirée se finit sur son constat austère,
Qu’il formula ainsi comme chez un notaire :
« Le mariage est un bail pour un très long banquet,
Mais c’est par le dessert qu’on vous fait l’attaquer. »
Tout juste un an après ce dîner chez Dupont,
Je reçus une missive en forme d’invitation.
Sans peine, j’y reconnus l’écriture droite d’Étienne,
Qui pour cet événement souhaitait que je vienne.
Car c’était d’un mariage dont il était question :
Celui de Chloé Z avec ce vieux garçon …
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