Jubilatoire expression

François-Marie Michaut lui écrire

xxCinquante ans de service sous la blouse blanche, ça vous marque une vie au fer rouge au moins autant que le jubilé cinquantenaire de la religion juive, année consacrée au repos et à l’action de grâce. Notre dernier demi-siècle de sa médecine à lui, voici ce que nous raconte Bernard Hoerni dans son ouvrage << Le crabe et le calame >> publié en 2009 par les éditions Glyphes ( Paris ).
D’un revers de main, car nous ne sommes absolument pas dans ce registre, éliminons cette gentille petite maladie qui pousse régulièrement nos professeurs de médecine, enfin libérés de leurs obligations, à tenter de prendre la plume pour accoucher de << leur >> livre que personne, en vérité, ne lit jamais. Il parait d’ailleurs qu’il s’agit d’une caractéristique très française que ce désir fort répandu d’écrire des livres.
Et puis, je le confesse d’emblée, le fait que son auteur soit né la même année que le signataire de ces lignes, que nous soyons peu éloignés géographiquement, que nous ayons des échanges épistolaires réguliers depuis de longs mois, et un soutien à la Charte d’Hippocrate d’exmed, ne sont pas vraiment étrangers à mon intérêt curieux pour ce bouquin. Voilà qui rend encore un peu plus délicate la rédaction de ces quelques commentaires pour ne pas tomber dans le maniement de la brosse à reluire ou de quelque autre copinage complaisant.

xxBernard Hoerni a été un bon élève, ou, à tout le moins, un sujet studieux. Il s’est trouvé ainsi propulsé, par la voie royale de l’internat des villes de faculté, dans des fonctions de soins, de recherche et d’enseignement dans sa bonne ville de Bordeaux. C’est une nouvelle spécialité qui sut le retenir : la cancérologie. Et notre homme montra un enthousiasme hors du commun au service des patients de l’Institut Bergonié pour améliorer la qualité des soins, tant au niveau technique et scientifique que clinique et surtout humain. Maladie à la réputation effroyable, le fameux << crabe >> avait vraiment besoin de sortir des oubliettes où la reléguait la médecine conquérante des spécialités nobles comme la chirurgie, la pédiatrie ou la cardiologie.
Hoerni nous raconte tout cela par le menu, avec parfois des précisions locales qui peuvent passer au dessus de la tête des non girondins.
Mais le grand souffle de la clinique ouverte aux hommes, à taille et à finalité humaine est présent. Et réconfortant en ces temps de technoscientificité désincarnée dominante et d’appât de l’argent et des honneurs.

xxxxLe travail avec les étudiants a été un souci majeur, souvent exigeant, il l’avoue lui-même. Mais ouvert aussi à un indispensable humour pour mieux faire passer les messages essentiels d’une véritable formation. Et, loin de s’enfermer dans sa spécialité, malgré des participations majeures au niveau international, Hoerni a voulu s’ouvrir sur toute les professions de santé, médicale, aussi bien que paramédicales.
C’est là qu’il a effectué un travail d’écriture gigantesque, quasiment boulimique. Collaboration à de nombreuses revues, et même responsabilités éditoriales afin de travailler à la survie de plusieurs titres qui ont péri, faute de ressources financières. Hélas, en France, où les médecins gagnent généralement honorablement leur vie, les professionnels n’ont pas compris que pour assurer des publications médicales de qualité, donc indépendantes de l’industrie pharmaceutique, ils devaient en payer le juste prix.
Et ce fut la fin des véritables revues médicales de niveau international en France.

 xxxNotre auteur, issu d’une famille sans médecins, donc indemne de tout plan de carrière pré-établi, a su naviguer dans le milieu assez fermé de la médecine bordelaise, auréolée du prestige de son école militaire de santé des troupes de marine en charge de la formation de nos remarquables médecins d’outre-mer, anciennement << coloniaux >>.
Non content de sa carrière hospitalière, Hoerni, est allé à la rencontre des médecins libéraux. D’abord pour organiser des actions de formation professionnelle afin de faire connaître et reconnaître sa toute jeune discipline de cancérologie. Ensuite, pour répondre aux besoins des professions paramédicales, il a mené de multiples actions d’enseignement pour que les malades cancéreux soient mieux soignés, car moins mal connus et entourés de préjugés destructeurs.
Par unique souci d’humanisme, Hoerni s’est engagé dans la seule institution qui rassemble tous les médecins ( sauf les militaires et les fonctionnaires ). On critique volontiers de toutes parts cet organisme jugé poussiéreux et ultra conservateur. Voilà un défit de plus à relever, et, poussé par son intérêt pour tout ce qui touche l’éthique professionnelle ( et personnelle ) Bernard Hoerni a pris la tête de l’Ordre. Nous ne pouvons que rappeler ici sa rédaction d’un serment d’Hippocrate en 1995, qui a inspiré notre charte éponyme.
Bien belle page de l’histoire de notre médecine contemporaine, n’est-ce pas ?
Avec cependant trois bémols :
- Le souci d’exhaustivité a conduit à détailler un peu longuement les rencontres avec des personnages importants de sa médecine, connus des seuls bordelais.
- Le manque professionnel de toute expérience de pratique de la médecine générale, y compris pour de simples remplacements, me parait avoir un peu restreint la vision, pourtant déjà remarquablement large tant sur le plan somatique que psychologique, de la médecine.
- Enfin, mais probablement dans le but de ne pas submerger le lecteur par son abondance exceptionnelle, j’ai regretté de ne pas trouver dans ce livre une bibliographie des innombrables << expressions médicales >> de Bernard Hoerni.
Quelqu’un qui laisse des traces de cette qualité après lui, ça ne court pas les rues. Profitons-en sans bouder notre plaisir.