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 N° 657
 
 
       14 juin 2010  
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
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Soignant pour qui, soignant pour quoi ?

Photo auteur ;;;; ;;;;;; Docteur François-Marie Michaut , lui écrire

xLLLLLe contraste est saisissant. En France, le nombre d’étudiants qui s’inscrivent en première année de faculté de médecine pour se livrer à une sélection sévère ( 15% de réussite au concours de fin de première année ) témoigne de l’attrait pour les métiers du soin. Dans le même temps, le manque de médecins pour soigner la population devient de plus en plus aigu, tant dans les hôpitaux qu’en exercice privé, généralistes et spécialistes confondus (1). La situation du côté des infirmières n’est pas plus brillante, avec une pénurie nécessitant de recourir discrètement à des importations de candidats étrangers. La presse en parle régulièrement. Pour les psychologues exerçant une activité clinique, leur appartenance au monde du soin semble encore, et je le regrette, loin de faire l’unanimité. Difficile donc de saisir leur situation.
Que se passe-t-il donc pour fondent ainsi les effectifs de ceux dont nous avons le plus grand besoin pour nous soigner ?
La question a fait l’objet d’un riche débat dans notre liste interne de discussion. En voici quelques échos.


retrouver la confiance

xLLLLes particuliers continuent de faire largement confiance à leurs médecins et aux autres soignants auxquels ils ont recours. Nos jeunes se lancent en toute confiance dans des études universitaires, qui sont pourtant les plus longues et parmi les plus sélectives de toutes en France. Les professionnels des soins de santé se heurtent de plus en plus douloureusement à tout un monde d’organisation et de réglementation qui leur est imposé par le pouvoir, tout simplement parce que les institutions n’ont plus confiance en eux. Leur libre-arbitre leur est confisqué au nom de l’intérêt supérieur de la nation : de responsables qu’ils pensaient être, on ne leur accorde qu’une place d’exécutants des décisions prises pour eux.
Il est aussi habituel que vain de chercher et de montrer du doigt des personnes, ou des institutions, pour leur faire porter le poids des choses qui ne fonctionnent pas dans notre société. Tentons de pousser au delà des simples contingences conjoncturelles, toujours polémiques, notre analyse.


restaurer la conscience

xLLLFrançoise Dencuff, fort justement, nous invite à modifier notre vocabulaire. Parler des professions de santé est une dangereuse tromperie. C’est mentir que de laisser entendre que nous sommes capables de produire de la santé, comme d’autres fabriquent des fromages. La seule chose que nous sachions faire, et de mieux en mieux dans de nombreux cas, c’est de soigner les humains quand leur santé est atteinte ou menacée.
Faute de nous penser clairement comme des professionnels du soin et non comme des fournisseurs de santé, notre société laisse dans le flou le plus complet notre raison d’être.
Parce que, finalement, en quoi consistent toutes les formations médicales, paramédicales ou psychologiques, si ce n’est à l’acquisition du comment soigner ? Que cela nécessite un détour plus ou moins long par des notions scientifiques ou théoriques pour y parvenir, le << produit fini >> de nos formations est celui qui sait comment soigner.
Le comment soigner occulte tout le reste : la technique et la science ( la technoscience d’Odile Marcel) deviennent la seule colonne vertébrale dont on estime suffisant de doter les étudiants. Et de renforcer au cours des formations continues.


renforcer la compétence

xLLLBruno Blaive, à la longue expérience d’enseignant, soulève deux questions essentielles. Faute d’être prises en compte comme elles le méritent pour que le choix de soigner les autres soit clair, l’impossibilité d’investissement personnel des étudiants dans une vie professionnelle de soignant persistera. Et aucune incitation matérielle, aussi attrayante soit-elle aux yeux de ses promoteurs, ne peut rien y changer.
Pour qui soignons-nous, et pour quoi consacrons-nous notre vie aux soins de santé.
Pour qui soignons-nous ? La réponse est loin d’être facile et univoque.
Pour obéir à une ambition familiale ? Pour nous sentir quelqu’un de bien ? Pour exercer notre pouvoir sur des gens que nous pouvons dominer ? Pour gagner confortablement notre vie ? La liste est longue.
Et pour quoi soignons-nous ?
Pour lutter contre les maladies ? Pour faire reculer le plus possible la mort que nous considérons comme un échec de la médecine ? La croyance en un humain << programmé >> biologiquement pour une durée de 120 à 140 ans met la barre extrêmement haut.
Pour devenir des croisés de la santé, devenue un idéal de vie à faire partager par le plus grand nombre ? Pour donner un peu de nous parce que nous aimons bien les autres ? Pour être au plus près de ceux qui sont faibles et qui souffrent parce que nous aimons bien cela ? Pour pouvoir légalement transgresser des lois qui s’imposent à tous les autres : manipulation de poisons, introduction dans l’intimité physique et psychique des autres, effusion volontaire de sang, risque d’homicide, intrusion dans le corps humain vivant et mort ?
Pour réagir contre des agissements humains qui, volontairement ou non, par goût du profit ou idéalisme politique, philosophique, religieux, conduisent les humains à la maladie ? Pour participer à la meilleure vie possible de la cité, pour ne pas dire avoir une activité politique de toute première nécessité ?
Beaucoup de ces questions sont très gênantes, et dépendent de chacun. Impossible d’en faire un enseignement académique sur le modèle traditionnel. Impensable d’en faire l’objet d’examens.
Faut-il pour autant faire comme si tout ce qui vient d’être rapidement évoqué n’existe pas ?
C’est la plus sûre façon de s’enfoncer durablement dans la pénurie de soignants.
Tout comme le comment soigner, le pour qui soigner et le pour quoi soigner doivent rester une préoccupation individuelle constante, et jamais achevée du premier jour de nos études au dernier jour de notre vie. C’est notre grandeur, et c’est notre servitude : personne n’a le droit de se l’approprier.

Que tous les colistiers d’Exmed qui ont, chacun à leur façon, enrichi ce débat, et qui n’ont pas été cités plus haut, reçoivent les remerciements de l’auteur et des lecteurs de cette LEM pour leurs contributions.


(1) Quotimed.com du 9 juin 2010 Des milliers d’habitants vont manquer de médecins à très brève échéance, prévient Élisabeth Hubert

 

 


Notre Charte d’Hippocrate est consultable à la page
http://www.exmed.org/archives08/circu532.html
Cette lettre en illustre l’article 4
Je résisterai aux pressions extérieures qui me détourneraient de ma fonction, et je resterai avec objectivité du côté de la personne malade.


Os court : <<Je ne peux rien pour qui ne se pose pas de questions. >>
Confucius


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