xxxLe rythme biologique humain le plus accessible à chacun est celui de l’alternance nycthémérale de la veille et du sommeil. Dans toutes les traditions culturelles, et religieuses, par exemple pour l’Islam, ce qui peut se passer au cours des rêves a été de la plus haute importance.
Notre scientisme s’est surtout intéressé au fonctionnement du système nerveux central au cours des états de veille. La chanteuse Édith Piaf résume assez bien notre sentiment contemporain : << Dormir, c’est du temps perdu. Dormir me fait peur. C’est une forme de mort >>.
Mais quelques médecins curieux se sont attelés, notamment grâce à l’électroencéphalographie ( enregistrement graphique de l’activité électrique du cerveau) , à ce qui se passe au cours de nos nuits.
Une discipline, dite hypnologie, s’est développée, avec, parmi les pionniers en France, Michel Jouvet (1).
xxxLe sommeil, celui de l’homme comme celui des animaux, est une activité cyclique. Quatre à cinq fois chaque nuit, nous reproduisons le même scénario qui dure 90 minutes. Selon le Pr Damien Léger ( Hôtel-Dieu , Paris ), il faut distinguer deux phénomènes successifs : le sommeil lent, et l’activité paradoxale du système nerveux central.
Le sommeil dit lent, à cause du ralentissement des ondes électriques enregistrées, dure environ 60 à 65 minutes. Il comporte quatre phases successives, avec des manifestations physiques et électroencéphalographiques typiques. L’endormissement, le sommeil léger, le sommeil profond, et le sommeil très profond. Léger y voit là une période de récupération énergétique, une sorte de sommeil réparateur.
A l’issue de ce sommeil lent survient un étrange phénomène. Soudain l’électroencéphalogramme qui était devenu très lent reprend une activité aussi intense que pendant la veille. D’où le qualificatif de paradoxal : abolition de la conscience, hypotonie musculaire comme dans le sommeil lent. Mais activité mentale, autant qu’il soit légitime de coupler avec elle les signes de fonctionnement électriques, particulièrement intense pendant 15 à 20 minutes avant que ne survienne un éveil progressif suivi ou non d’un nouveau cycle de sommeil.
x xxAndré Bourguignon (2) s’est beaucoup intéressé à cette phase paradoxale. Après avoir été chercheur en neurophysiologie, comme le fut en son temps Sigmund Freud, il est devenu psychiatre et psychanalyste, et enseignant aux horizons particulièrement larges avec en particulier le concept de transdsciplinarité (3).
Cet auteur souligne (3) quelques faits expérimentaux particulièrement surprenants. Quand on réveille un sujet en phase paradoxale, il est avec une grande fréquence capable d’évoquer un rêve.
Quand on observe ses muscles oculomoteurs, on se rend compte que les yeux ( paupières fermées, bien entendu) sont animés de mouvements de balayage rapide, comme ceux de quelqu’un qui réfléchit de façon intense.
Enfin, et ceci est assez peu connu, il existe chez les hommes, du bébé au grand vieillard, une érection du pénis durant toute la période paradoxale. Celle-ci n’est absolument pas parallèle aux << performances >> sexuelles des sujets en état de veille ni au contenu érotique ou non du rêve. Les chercheurs admettent, sans donner plus de détail, qu’il doit en exister un équivalent chez les femmes.
xxxBourguignon, avec d’autres auteurs, refuse de classer cette phase paradoxale dans le sommeil. C’est pour lui un contresens de parler de sommeil paradoxal, tant l’activité psychique semble électriquement aussi intense - voir plus, presque de type épileptique - que durant la veille, contrastant avec une coupure profonde avec les perceptions sensitives du monde extérieur et une hypotonie musculaire striée totale.
La durée totale cumulée de cette phase paradoxale au cours d’une nuit est d’environ deux à trois heures.
Plus importante encore à la fin de la vie fœtale et durant les premiers mois de la vie, il est logique de penser qu’elle joue un rôle dans notre maturation. Extrêmement difficile, en dehors des quelques rêves dont on peut se souvenir au réveil, d’avoir une idée précise de sa ou de ses fonctions. Ce qui est certain, c’est que notre vie est plus compliquée et plus riche que ce que nous pouvons penser ou imaginer. Il n’y a pas que l’état de veille et l’état de sommeil, il y a aussi un tiers état de grande activité corticale et sous corticale d’importance vitale, comme en témoignent des expériences de privation, à laquelle notre conscience n’a aucun accès. Il s’y passe des choses, nous ne savons pas vraiment quoi. En tout cas nous rêvons tous plusieurs heures chaque nuit sans en garder grand souvenir au réveil.
Est-ce une spécificité humaine dont nous pourrions nous prévaloir, comme une sorte de signature de notre hominité ?
Absolument pas, tous les animaux étudiés dans les laboratoires du sommeil, en dehors des reptiles, sont eux aussi dotés de cette même étrange boîte noire.
Les questions surgissent en masse, en particulier pour les médecins l’impact sur la phase paradoxale des multiples médicaments, notamment psychotropes, utilisés . Existe-t-il des pathologies de cette phase paradoxale ? Aurons-nous un jour l’envie et les moyens d’aller explorer cette partie de notre vie à laquelle nous n’avons pas accès ?
Plus banalement, un vieux proverbe mainte fois vérifié par chacun reprend un relief saisissant :
la nuit porte conseil.
Et les investigations et hypothèses du docteur Freud, qui se voulait rappelle Bourguignon avant tout un chercheur scientifique même si cela se dit peu, autour de notre inconscient prennent une autre dimension.
(1) Mieux connaître Michel Jouvet http://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Jouvet
(2) Françoise Dencuff, La question de la pluridsiciplinarité. LEM 509, 30 juillet 2007
(3)François-Marie Michaut, André Bourguignon, LEM 510, 6 août 2007
(3) André Bourguignon , , Psychopathologie et épistémologie, Presses Universitaires de France PUF 1998.
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