L'année dernière, les Français, estimaient que ça coûtait de plus en plus cher pour se soigner. Cette année, ce sentiment ne s'arrange pas. 29 % des Français, dit la presse, ont renoncé à se faire soigner. C'est une augmentation par rapport à l'année précédente où ils étaient 23 % et en 2009 un peu plus de 11 %. Il ne s'agit pas que de l'optique et des soins dentaires.C'est sur les soins dits légers, là où il faut mettre la main au portefeuille, que nous renonçons. Parallèlement, les institutions se plaignent aussi de l'augmentation des coûts de santé qui ont flambé.
La consommation de soins et biens médicaux a atteint 175 milliards d'euros. Soit, en 5 ans, une augmentation de 25 milliards ! Cette somme se décompose ainsi: la moitié pour les soins hospitaliers, 1/4 pour les soins de ville et les médicaments, et 1/5 pour les prothèses, seringues et pansements et transport des malades. Les Français dépenseraient 2700 € par an en soins, et 3609 € si on y ajoute la prise en charge des personnes dépendantes, les arrêts de maladie ou de maternité, la recherche, la prévention et les coûts de gestion. La Sécu assumerait donc le remboursement des 3/4 des soins. Les ménages en paieraient directement 9,4%, ce qui serait peu par rapport à nos voisins, la part financée par la sécu restant stable.
L'impression de mettre la main à la poche (déremboursement de médicaments, franchise sur les boîtes de médicaments) serait une fausse idée pour les gestionnaires de la santé. Car la part des maladies chroniques bénéficiant du régime des ALD (Affection longue durée) aurait augmenté, et leur remboursement à plus de 80% ne grèverait pas le budget du patient. On se demande alors pourquoi 29 % des Français ont renoncé à se faire soigner cette année ?
N'est-il pas juste de comparer les défaillances de notre système de financement des ennuis de santé basé sur la solidarité à d'autres modèles européens?
Notamment, au bismarckien comme en Allemagne, Autriche, Belgique, Pays-Bas, ou au modèle beveridgien comme en Grande Bretagne, Finlande, Danemark ou bien encore au modèle libéral américain avec la Suisse?
Ces tendances à européaniser les statistiques sur les coûts de santé omet les différences de systèmes de santé coexistant à l'intérieur de l'Europe, faussent les données et avalisent une vision néolibérale appliquée à la maladie. Celle-ci est conçue comme une marchandise. Le patient est un usager qui doit prendre soin de son «capital santé», un «capital» comme un autre ayant une valeur marchande. La maladie est à considérer comme un désordre de la mauvaise gestion de son capital où le fatum individuel, comme la loterie génétique, n'auraient rien à voir là-dedans.
À côté du système de santé, il faut inclure son corollaire impitoyable: les complémentaires de santé. Ces assurances prendraient en charge 13,5 % de notre consommation des soins et affichent 45 % de coût de gestion.
Depuis 2002, la part des dépenses de santé financée par les organismes complémentaires n'a cessé de progresser, passant de 12,9% en 2002 à 13,8% en 2009. Le reste à la charge des ménages a aussi augmenté de 8,3% en 2004 à 9,4% en 2009. Cela coûte de plus en cher de se soigner, et donc on comprend aisément que nos concitoyens renoncent de plus en plus à se faire soigner s'ils n'ont pas une maladie chronique rentrant dans le cadre d'une ALD.
Sans jouer les oiseaux de malheur, le temps n'arrangera pas ce renoncement aux soins dits légers. L'accès aux soins va s'avérer difficile pour les revenus moyens. La nouvelle taxation des assurances complémentaires de santé entraînera une augmentation moyenne des tarifs de 35 € car le gain des taxes prélevées pour les caisses de l'État doit passer de 3,5 à 7 % pour récolter 1,1 milliard d'euros. Certaines sources affirment que dès le 1er octobre, les cotisations augmenteront de 0, 9%, et de 8% en janvier prochain. Certaines mutuelles prévoient une hausse de 12 à 13%. On estime que 4 à 5 millions de Français ne pouvaient déjà pas se payer une mutuelle, et cette taxation ne pourra qu'augmenter cette exclusion.
D'un autre côté, les «primes à la performance» pour les médecins vont se généraliser au détriment de leur liberté de prescription et du droit des malades à recevoir les meilleurs soins. Tout en reconnaissant, que peut-être, la délivrance d'une ordonnance n'est pas forcément le meilleur acte thérapeutique. De même, que la substitution des médicaments par des génériques chez le pharmacien. Il est maintenant prouvé qu'ils n'ont pas toujours la même efficacité ou la même tolérance que la molécule originale prescrite par le médecin.
Comment ne pas songer à rapprocher l'augmentation des coûts de santé pour les particuliers, l'accès aux soins plus laborieux et la résurgence de certaines maladies que l'on pensait d'un autre âge que celui de la médecine scientifique ? Notamment le réveil de la tuberculose constatée récemment en Seine-Saint-Denis par Médecins du Monde (1)? Les foyers de cette maladie pulmonaire sont les signes de conditions de vie très dégradées (1). Si pour autant alors qu'aujourd'hui, on peut parler de l'augmentation de l'espérance de vie due aux progrès de la médecine scientifique (2), il n'est pas dit que très rapidement, elle diminuera car beaucoup de gens n'auront plus les moyens de consulter aux premiers signes d'une maladie, et là le malade qui verra son état s'aggraver, sera astreint à des soins plus lourds. On évite dans ce cas de figure de parler chiffres!
Le risque majeur est qu'à force de vouloir réduire les coûts de santé, les gestionnaires publics ont tendance à laisser se développer une privatisation aux bons soins des assurance. Comme en Suisse où le système privé est la règle. Là-bas, les cliniques privées font une concurrence féroce aux hôpitaux qui doivent se comporter comme des entreprises, et les cotisations des assurances privées ne cessent d'augmenter pour les citoyens. En France, sans être alarmiste, le système privé risque de plus en plus de céder le pas au système basé sur la solidarité avec la création des ARS qui va faire jouer la concurrence privée des cliniques. Et si les inégalités en matière d'accès aux soins sont manifestes, il faut aussi constater des disparités entre sexe. Elles freinent l'évolution des droits de la femme en France, et en Europe. Le professeur de gynécologie Strasbourgeois Israël Nisand constate qu'au niveau de la contraception si la pilule du lendemain et l'IVG sont remboursées, les pilules de 4e génération et la plupart des méthodes ne le sont pas très bien. Le professeur strasbourgeois observe également que le traitement de la ménopause ne l'est pas non plus alors que celui de la prostate l'est. Cette tendance sexiste au niveau des droits à la santé de la femme suit celle des forces conservatrices en Europe. Toutes les instances internationales ont pourtant affirmé que le développement des populations, y compris économique, passe par des politiques d'égalité femmes/ homme dont entre autres la planification familiale et par un accès facilité à la contraception et à l'avortement. En reconnaissant que l'avortement n'est pas la solution psychologique idéale mais la femme doit avoir le choix. Une maternité peut être un fardeau trop lourd pour elle et pour l'enfant à paraître.
Pour conclure cette LEM, un peu de légèreté ne fait pas de mal ! Une politique de santé idéale devrait tendre vers celle évoquée par Pierre Dac: «Mourir en bonne santé, c'est le voeu le plus cher de tout bon vivant bien portant.»
Sources et notes :
- Nicole Bétrencourt, 2010: « Combien ça coûte pour se soigner ?»
http://www.institutpolanyi.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=227:les-systemes-de-sante-quatre-modeles&catid=42:textes-a-lappui&Itemid=60
http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/09/20/les-droits-des-femmes-sont-remis-en-cause-par-des-forces-conservatrices-en-europe_1575013_3232.html
http://www.lefigaro.fr/societes/2011/09/18/04015-20110918ARTFIG00254-hausse-attendue-des-tarifs-des-complementairessante.php
(1) NDLR : Il est inévitable que des populations vivant dans des pays encore très touchées par la maladie tuberculeuse comme l'Afrique puissent «importer» en France des bacilles de Koch dont la contagiosité est incontestable pour des personnes ne l'ayant jamais rencontré. Attention aux chiffres trop rapidement interprétés.
(2) NDLR : Aucune étude scientifique ne démontre que l'augmentation actuelle de l'espérance de vie est le résultat principal des progrès de la médecine, contrairement à ce que Jacques Attali a laissé entendre il y a quelques jours aux médecins gastro-entérologues du Greeg ( Egora.fr du 28 septembre 2011). Transmis par Jean-François Huet.