Les internautes qui font à ce site l'honneur de lire chaque semaine ( ou de temps en temps) la LEM connaissent certainement par coeur les intertitres immuables qui ponctuent le texte. Et cela depuis la bagatelle de 15 ans. Jacques Blais, je ne manque jamais l'occasion de le répéter est l'inventeur de cette mise sur le devant de la scène de la conjonction des trois termes rituels commençant par la lettre c : confiance, conscience et compétence. Trois attitudes et aptitudes purement humaines et strictement personnelles dont les manques et les défaillances sont si lourdes de conséquences dans les grandes tendances que prend notre monde de la santé au début de ce troisième millénaire de notre calendrier grégorien.
Voilà qui mérite une inspection soigneuse, évitant les facilités du catastrophisme passéiste comme les chimères d'un optimisme de principe pour des lendemains qui chantent.
Deuxième semestre de l'année 2011 : où en sommes-nous dans le domaine de la santé ? Si, comme le faisaient si souvent les députés de la IVème République pour renverser un gouvernement, la question de confiance était posée au public, les réponses seraient éloquentes. La prise de distance entre les professionnels de la santé de plus en plus encadrés et les instances dirigeantes étatiques comme de l'assurance maladie obligatoire se creuse de plus en plus. L'autoritarisme des uns, en se durcissant au fur et à mesure que toutes les initiatives prises pour juguler l'accroissement des dépenses, stimule la résistance passive et le désinvestissement professionnel des soignants. Pénaliser toute une profession en lui imposant des contraintes supplémentaires parce qu'une minorité est dominée par le seul goût du gain commence à peser lourdement. La chute de la démographie médicale n'est pas un signe clinique anodin. La médiocrité des résultats obtenus pour y porter remède en disent long sur sa profondeur.
Pour les usagers des cabinets médicaux, autant qu'il est possible de pouvoir en juger à travers les sondages d'opinion régulièrement publiés dans la presse grand public, les médecins semblent conserver leur remarquable image de confiance. Mais, avoir confiance dans des gens dont la moyenne d'âge dépasse les 50 ans assure-t-il l'avenir ? Bientôt, la relève sera prise par ceux qui n'ont plus assez confiance dans notre système à la française de distribution des soins pour se lancer dans l'aventure d'ouvrir un cabinet médical.
Des prises de conscience majeures, encore impensables il y a une poignée d'années, se déroulent sous nos yeux. La première est la faillite des grandes stratégies de la santé publique, tant au niveau national que mondial (OMS). La grippe aviaire tant annoncée jamais ne survint. L'histoire désolante et ruineuse de la récente pandémie grippale qui avorta a démontré à tout le monde à quel point nous n'étions absolument pas maîtres des grandes maladies et des caprices facétieux des bien modestes virus.
Le slogan implicite des pays riches nous incitant à confier intégralement notre santé aux institutions se disant compétentes est tombé aux oubliettes. L'État-mère en a pris un coup. Point besoin pour cela d'invoquer la puissance maléfique (jamais démontrée) en forme de complot ( encore un trait bien actuel) des acteurs de l'Internet. Les discours ne sont qu'une fumée, les faits parlent définitivement.
Une seconde prise de conscience contemporaine mérite, à mes yeux, encore plus d'attention. Je la nommerais la désacralisation du médicament. Donner les bons médicaments pour guérir la maladie, c'est exactement ce que demandaient tous les malades. L'ignorance, infiniment plus importante avant nos facilités actuelles d'information, établissait une équation simpliste : médicament = guérison. Ce que la presse, avec son tropisme pour les formules en guise de prêt à penser sans effort, et au mépris de la propriété des marques déposées nomme «l'effet Médiator» n'est qu'un signe prémonitoire de l'inévitable désamour entre la population française et ses médicaments qu'elle a idolâtrés.
Face à ces évolutions majeures des mentalités qui bouleversent fondamentalement les pratiques des praticiens, comment réagit la communauté scientifique médicale? Et bien, la vérité oblige à dire qu'aucun message audible n'est perceptible. Simple question de presbyacousie de ma part ? Je crains bien, hélas, que non.
Le défi majeur auquel se heurte notre médecine nationale - plus que d'autres comparables - peut, à mon avis doit, se formuler ainsi. Comment faire pour que les praticiens soient assez armés pour sortir de notre système quasi pavlovien de la prescription rituelle de médicaments en guise de réponse facile et rapide aux multiples situations dont viennent se plaindre les patients qui font appel à eux.
La science reste muette, comme si elle était bloquée devant un immense panneau STOP. Depuis combien d'années la médecine n'a connu aucune percée majeure dans sa compréhension de la maladie ?
La question du renforcement de la compétence des soignants, ceux du corps comme ceux de l'esprit, ne peut alors même pas se poser. Les rarissimes audacieux qui osent dire ou proposer des adaptations à la réalité de la médecine de chaque jour demeurent tout simplement transparents. Ce n'est pas la première fois dans l'histoire de la médecine, pour qui veut bien regarder. La belle phrase de Paul Watzlawick, plus que jamais demeure d'actualité : « une des meilleures façons de résoudre un problème est de faire comme s'il n'existait pas». Le statu quo frileux est la règle : chacun fonctionne comme avant dans sa petite sphère, et sans grand souci de l'ensemble du système.
Le jour proche est inévitable où la question de la qualité et de la pertinence des différents types de formation pour ceux qui ont la charge redoutable de nous soigner viendra sur le devant de la scène publique.
Il y aura certainement des pleurs et des grincements de dents, des polémiques et des procès. La vérité finira par s'imposer.
Et là, nous serons bien obligés, collectivement, de mettre en place des méthodes assurant la meilleure utilisation possible des qualités humaines des soignants, dans le respect des contraintes matérielles que la réalité nous imposera toujours, quelques soient les évolutions à venir.
La divine Chimie a vécu son âge d'or. La médecine résolument humaine qu'elle avait marginalisée avec son aura miraculeuse auprès du public ne peut que resurgir.
Si nous le décidons nous-mêmes, cela va de soi.
Au travail, il y a du pain sur la planche pour tout le monde !