L'économe est traditionnellement, dans les salles de garde des hôpitaux, l'interne élu par ses pairs, chargé du bon déroulement des repas. Trois règles simples : ne pas parler de médecine, ne pas parler de politique, et demander à l'économe la permission avant de quitter la table.
En dehors de cet aspect folklorique des salles de garde de grand-papa, ce qui ne veut pas dire dénué de tout fondement de bon sens, la médecine ne semble guère soucieuse de la notion d'économie. Il existe, certes, une économie de la santé, mais qui ne se préoccupe guère que de l'organisation de ce qui est censé aller dans le sens de la santé de la collectivité. Santé publique, dit-on, souvent engluée dans des calculs purement comptables du coût des soins, tournant comme une mouche autour du fameux trou de la sécurité sociale. La santé que veut-on dire par là ? Si on se place du côté de chaque personne, la bonne santé pour tous et pour chacun, de la naissance à la mort, la perspective semble hors de toute réalité. En regardant les choses avec la lorgnette du «social», pour désigner le collectif, la machinerie complexe de la fourniture des soins de santé aux citoyens se résume finalement à sa dimension économique. Combien ça coûte de se soigner en France, comment arriver à réduire la progression fantastique des moyens financiers investis pour nos soins ?
Tout le monde semble accepter comme un phénomène parfaitement naturel que la quantité d'argent employée au nom d'une médecine de plus en plus performante suive une progression exponentielle. Le vivant nous le montre sans discussion : rien, absolument rien ne peut être en croissance perpétuelle. Bien entendu, nous pouvons faire comme pour nos énergies fossiles et continuer à les bruler dans nos voitures ou nos chaudières jusqu'au dernier baril sans nous soucier de la suite des évènements.
Le monde agricole, qui fait beaucoup parler de lui en ce moment, a connu une expansion industrielle systématique, avec les résultats destructeurs que nous commençons à percevoir dans toute leur gravité. Le mouvement de l'agriculture dite raisonnée a fait bouger les lignes et... les comportements pour passer du systématique binaire au systémique moins simpliste. La pensée écologique ( à ne pas confondre avec les partis politiques verts et les militants néo-hippies) nous imprègne peu à peu. Irréversiblement.
Le monde médical a été , lui aussi, entrainé depuis la seconde guerre mondiale dans une spirale menée par d'habiles industriels qui ont compris combien ils pouvaient en tirer de bénéfices. Une sorte de règle non dite du «toujours plus» a contaminé les esprits. Les hommes politiques ont sauté sur la valeur dans leur fief électorale des usines à soigner.
Bien des choses, comme les petits hôpitaux, les cabinets médicaux individuels en ville ou en campagne, s'effondrent sous nos yeux. Les fameux «déserts médicaux». Faut-il se taire, comme devant une fatalité imparable ?
Alors, si on se mettait à étudier comment et pourquoi nous gaspillons nos moyens matériels, intellectuels et humains au nom d'une idéologie globalisante qui ne dit jamais son nom et agit sans fin ? La notion de médecin économe, au sens le plus ménager de l'adjectif, mérite la plus grande attention. Oui, ça semble ringard. À première vue seulement.
Parce que si ce n'est pas l'homme médecin (comme tout autre «soignant») qui garde à l'esprit que c'est de lui seul que dépend la réalité d'une médecine judicieusement adaptée à la somme d'argent que notre société est disposée à dépenser pour se soigner, aucune évolution n'est possible.
C'est un retour à la responsabilité incontournable de chaque personne, toute action faite au nom de la collectivité demeure obligatoirement sans effet.
Continuer un chemin qui conduit à un gouffre sans fond n'a vraiment rien de séduisant. De moins en moins de médecins s'installent en France : ce n'est pas une coïncidence.
Un peu d'imagination, une bonne dose d'intelligence, un minimum d'attention à ceux qui sont capables de donner des pistes pour que la médecine, sortant enfin de sa soumission intellectuelle à la domination américano-anglaise, redevienne ce qu'elle a toujours été : un art en constante mutation pour aider au mieux à vivre son propre univers culturel. Et là, pas question de se montrer économes de nos efforts pour soigner encore mieux ceux qui en ont tellement besoin. Les moyens, cela ne peut que suivre, jamais précéder.
Os court :
« L'homme économe se reconnait à ce que, s'éloignant des onctions superflues, il ne se frictionne qu'aux huiles essentielles. »
Philippe Bouvard