Tous ces gens qui nous souhaitent une bonne année, et une rituelle bonne santé et qui ne se posent même pas la question de savoir comment ils pourraient y contribuer, cela ne finit-il pas par vous énerver ? Quand tous les voyants de l’avenir proche de la profession de médecin généraliste en France sont au rouge, il est difficile de rester bouche cousue qu’on soit du côté des soignants ou de celui des utilisateurs des soins de santé. Qu’une profession aussi indispensable que celle de médecin de famille disparaisse sous nos yeux ne peut pas nous laisser indifférents.
Tous les sondages d’opinion en France depuis un quart de siècle sont incroyablement concordants. Les citoyens disent à plus de 8 sur 10 combien ils sont satisfaits de leur médecin généraliste. En vérité, aucune corporation ne semble jouir d’un tel niveau de confiance dans notre pays. Alors que se passe-t-il donc pour que les jeunes praticiens fuient de plus en plus cette fonction médicale : nos experts affirment que dans 8 ans - autant dire demain étant donné le temps nécessaire à former des professionnels - nous ne pourrons plus disposer du nombre suffisant de généralistes pour soigner toute la population ?
Que s’est-il donc passé que nous en soyons arrivés là ? Il y a un demi siècle, en 1958 pour être exact, De Gaulle revenant au pouvoir donna l’ordre à Robert Debré, professeur de pédiatrie à Paris et père du premier ministre de l’époque, de réformer la médecine en France. Il s’agissait de tailler des croupières aux américains, déjà très lancés dans une médecine hyperspécialisée. Avec quel objectif ? Mais en leur raflant le maximum des prix Nobel qu’ils collectionnaient joyeusement. En mettant en œuvre quels moyens ? Mais en créant des centres hospitalo universitaires (CHU) en recrutant comme médecins fonctionnaires à plein temps l’élite des praticiens des principales villes de France. Ceux-ci devaient consacrer un tiers de leur temps aux soins, un tiers à la recherche médicale et un tiers à la formation des étudiants. Finie la possibilité d’avoir son cabinet privé ! Sont donc alors obligatoirement exclus du corps professoral tous ceux qui ne peuvent pas exercer en dehors des services hospitaliers. Ce qui est le cas des vrais médecins généralistes. La conséquence en a été qu’aucune discipline universitaire de médecine générale dotée de moyens humains et matériels nécessaires n’a pu encore voir le jour. La médecine générale a été condamnée par le délire de grandeur à parfum de revanche anti-américaine de De Gaulle à ne pouvoir avoir aucune existence universitaire.
Les généralistes disparaissent totalement du paysage de l’enseignement médical. On est censé être généraliste quand, après avoir été sélectionné par des disciplines scientifiques fondamentales de plus en plus exigeantes, on a pu acquérir une teinture dans toutes les disciplines spécialisées. En ce temps là, on peut visser sa plaque sans avoir jamais touché un sel malade ! En pratique, et pendant longtemps, les jeunes médecins ont en moyenne passé trois ans après leurs études à effectuer auparavant des remplacements afin ... d’apprendre leur vrai métier avant d’oser se lancer dans la pratique individuelle. Pour la petite histoire : jusqu’à ce jour aucun des médecins français formés depuis la réforme Debré n’a obtenu le moindre prix Nobel.
Deuxième date clé : 1960. C’est la naissance du régime conventionnel en France. Le Dr Monier, président de la Confédération des Syndicats Médicaux Français, au nom des praticiens libéraux, signe avec l’assurance-maladie le premier contrat de collaboration.
L’un de ses principes fondateurs est que le tarif de la consultation du généraliste est remboursé deux fois moins que celle du spécialiste. Le résultat ne se fait pas attendre : les carabins se ruent sur les études de spécialité. Et comme nos hospitalo-universitaires défendent vigoureusement leur citadelle personnelle, la sélection est sévère. C’est ainsi que beaucoup de gens rejetés se retrouvent généralistes ... par défaut. Ces bataillons d’aigris, contraints à exercer un métier qu’ils n’ont pas choisi, qu’ils n’ont jamais eu la possibilité de connaître durant leur longue formation hospitalière, qu’ont-ils pu devenir ? Il ne leur reste qu’une voie : gagner le plus possible d’argent en exerçant la médecine générale. Le paiement à l’acte s’y prête parfaitement. Il suffit de voir le plus de gens possible pour gagner davantage d’argent. Peu importe la qualité du service rendu, le travail clinique bâclé ou morcelé à l’infini, c’est vraiment ce qui rapporte le plus. Des gens de cette époque se vantant dans des réunions médicales de signer une centaine d’actes par jour, cela se voyait. Voici dans leur sécheresse sans pitié deux chiffres qui démontrent la réalité de la tragique évolution de notre discipline. D’abord celui de l’évolution du bénéfice non commercial (BNC) qui sert de base à l’imposition sur le revenu ( Informations de la CARMF 53 de décembre 2006 ). Entre 2003 et 2004, pour les généralistes il y a eu une baisse de 4,99 %, alors que pour les médecins spécialistes, il y a eu une augmentation de 3,92%. Pour mémoire, le BNC moyen par généraliste est de 62 970 euros, alors qu’il est de 91 828 par spécialiste. Le second chiffre montre l’urgence de la situation : l’âge moyen des médecins libéraux cotisants à la retraite obligatoire est de 50,9 ans.
Dans le même demi siècle, la situation de la médecine générale a été très différente dans beaucoup de pays d’Europe. Le Royaume Uni a réservé l’exercice en clientèle aux seuls généralistes. Les spécialistes ( comme en Espagne, en Allemagne, en Autriche ) exercent pratiquement toujours au sein des hôpitaux. On ne peut y accéder qu’à la demande des généralistes.
Parallèlement, comme en Belgique, de puissantes chaires universitaires de médecine de famille ont été crées pour assurer la formation et la recherche en médecine générale.
Certes, nous tirons notre chapeau à nos rares confrères généralistes qui en France ont refusé le sort fait à notre médecine générale en s’investissant dans la formation, la recherche et même l’enseignement universitaire quand cela a été possible. Une bien timide reconnaissance universitaire sur le papier de notre discipline a eu lieu.
Mais, à nos yeux, c’est totalement insuffisant. Le dramatique paradoxe français en matière de médecine générale que nous venons de brosser à grands traits, il est urgent qu’il soit largement connu de tout le monde. Condamner la population à ne pas pouvoir bénéficier de médecins généralistes compétents et heureux de faire leur magnifique métier pour maintenir des dogmes dépassés et datant d’une époque définitivement révolue est tout simplement indigne d’un grand pays.
Un vieux dicton médical prétend qu’un généraliste qui meurt, c’est une bibliothèque qui brûle. Alors, vite, sachons utiliser toutes les compétences, où qu’elles se cachent, même s’il faut pour cela casser des tabous institutionnels et briser des privilèges acquis pour que nous ayons l’espoir d’une “ Meilleure santé 2007”. Puissions-nous collectivement prendre conscience que l’homo medicus generalistus est vraiment une espèce en voie d’extinction en France, faute de moyens de reproduction ( la formation) et de modification radicale du biotope humain et scientifique indispensable ( les conditions d’exercice ).
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